La malnutrition, un élément de la crise

Elsa Dauchet De Calignon

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Elsa Dauchet De Calignon, « La malnutrition, un élément de la crise », Revue Quart Monde [Online], 210 | 2009/2, Online since 05 November 2009, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3412

Au niveau national, 13% des français vivent sous le seuil de pauvreté, soit sept millions de personnes vivent avec moins de 681 euros mensuels pour une personne seule ou 1430 euros mensuels pour un couple avec deux jeunes enfants. Ces ménages sont fréquemment contraints de recourir à des démarches d'assistance. Comme les distributions alimentaires, entre autres.

L’auteur de l’article partage  en France la vie de ces femmes et mères ayant vécu à la rue et/ou dans des foyers. Elle s’interroge sur la malnutrition. Comment consommer « bien » dans une société où la sollicitation est permanente, et où les plus pauvres sont les premières victimes des publicités ?

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Alimentation, Santé

La cité de promotion familiale à Noisy-le-Grand est un endroit où sont accueillies des familles qui ont connu l’errance. Ces logements ont le statut de CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) et, à la différence des autres, il accueille les familles ensemble pour une durée de un à trois ans en général. Ainsi, elles ont la possibilité de se reconstruire ensemble, en famille et individuellement, d’apprendre à ne pas vivre dans l’urgence, de scolariser les enfants, d’y développer un projet de réinsertion (travail, famille, etc.).

Ici nous abordons le problème précis de la malnutrition, mais il est important de bien comprendre que la malnutrition est un élément de la crise en général, de bien prendre la pauvreté dans son ensemble pour comprendre comment on arrive à la crise alimentaire.

Pour les familles, la crise dure depuis longtemps

Ainsi, en octobre 2004, Mme R., habitante de la cité de promotion familiale de Noisy-le-Grand, expliquait :

« Le fait d’avoir longtemps galéré sans domicile fixe (camping sauvage, cabane de jardin, voiture…), nous avait rendus sauvages. Mon mari travaillait comme agent de sécurité, mais nous, on ne nous donnait pas de logement. Personne n’assurait notre sécurité ! Alors que nous vivions sous une toile de tente, sous la neige, on nous a dit : ‘ Vous savez, il y a des situations pires que la vôtre !’, alors qu’on ne demandait pas grand-chose, juste un toit. Qu’y avait-t-il de pire ? Je n’avais plus confiance en personne. Pourtant, il faut reconnaître que la Protection Maternelle et Infantile nous a bien aidés. Elle avait écrit au maire de la commune pour dire la honte de laisser ainsi deux personnes vivre dans une voiture et le risque de les retrouver carbonisées. En réalité, je me sentais très exclue. Après avoir vagabondé ainsi pendant trois ans, il nous a fallu réapprendre à savoir vivre en communauté. »

Au quotidien, vivre avec moins que le nécessaire.

Katia et son ami ont quatre enfants. Pour six personnes, ils ont en tout et pour tout 1136 euros (RMI1 et prestations familiales). Une fois le loyer et les charges payés, il reste très peu pour vivre.

Katia : « Moi je fais les courses pour le mois parce que j’ai toujours peur. Au moins s’il y a un gros imprévu dans le mois et qu’on n’a plus d’argent, je sais que mes petites auront à manger pour le mois. » C’est une logique qu'elle a acquise parce qu'elle a connu le manque et qu'elle sait ce que c’est que de ne pas manger.

Quand il n'y a plus rien, elle dépend de l'entraide du voisinage. Parfois elle ne mange pas  pour que ses filles puissent manger. Derrière tout ça, il y a bien sûr une grande angoisse.

Un jour, la baguette de pain a augmenté de cinq centimes d’euros. Ca fait une grande différence pour les familles qui ont peu d’argent. Il est arrivé qu’une maman que je croise vers l’heure du goûter m’explique qu’elle n’a pas assez d’argent pour acheter une baguette de pain ; elle rentre chez elle pour leur cuisiner des pâtes afin que ses petits mangent quelque chose en sortant de l’école.

Comment gérer un budget dans ces conditions quand tout est tellement serré, quand tout est calculé ? Les familles n’ont pas le droit d’avoir un imprévu dans le mois, sinon il y a forcément une dépense qui ne peut être faite (comme les charges, le loyer, la nourriture…) Et des imprévus, il y en a malheureusement.

Souvent, des mamans me parlent des aides, des allocations, du RMI. Il arrive de temps en temps qu’une maman ne reçoive pas son RMI (papier perdu, ou une fois il y avait eu un problème informatique, ou droits non renouvelés) et il y a toujours un doute (RMI ou pas RMI le mois suivant). Quand il y a un problème avec le RMI, les familles n’ont rien car il est impossible d’économiser sur le mois pour le mois suivant et elles n’ont rien de côté. On est dans une survie du budget et tous les mois ça recommence.

De plus, les familles subissent les augmentations des prix alimentaires :

« Il y a cinq ans, avec cinquante euros, on mettait un caddie plein. Mais maintenant je mange toujours ‘hard discount’, et avec cinquante euros c’est la moitié du caddie. »

Les distributions alimentaires

La plupart des familles se rendent aux distributions alimentaires et ont leur semaine organisée par rapport à ces moments de distribution

Les personnes n’ont pas d’autre choix que de se rendre à des distributions alimentaires, mais ressentent une ambiguïté. Comme le dit Martine : « Sans les restos du cœur, je ne peux pas ».

Mais Katia ajoute : « Je pense que c’est bien mais il faudrait trouver une autre solution. Aller au resto du cœur, c’est comme mendier quelque part. »

Il y a ceux qui s’y rendent la tête baissée, ceux qui se cachent, ceux qui disent ne pas y aller.

Il n’y a pas de valorisation à se rendre à ces distributions et ça prend tellement de temps (y aller, car ce n'est pas à côté ; faire la queue ; repartir avec les courses...)

Avec les distributions alimentaires quelles qu’elles soient, il y a impossibilité de se projeter  plus loin que la semaine suivante (s’organiser pour s’y rendre, et avec qui ?). C’est un temps qu’on ne passe pas à chercher du travail, à se construire en tant qu’individu ; au contraire, on se déconstruit. Une assistante sociale m'a expliqué : « Quand une femme est inscrite aux distributions alimentaires, une demi-journée voire deux demi- journées par semaine cela prend du temps. Pendant ces demi-journées, tu ne peux rien faire avec elle, pas de projet d’insertion. Donc on est dans une espèce de cercle vicieux où tout le temps est occupé par des questions de court terme. »

Les familles n'ont pas accès à une nourriture saine

Quand elles sont à la rue ou dans les hôtels, elles ne peuvent pas se faire à manger. Il faut donc trouver des endroits pour faire cuire son repas et si ça n’est pas possible, elles ne mangent que des sandwiches, des fast food, des hamburgers.

« Ca, mes filles (elles ont trois, deux et un ans), elles en ont mangé des sandwiches et des hamburgers, on pouvait pas faire autrement », dit Katia.

Certaines familles ne cuisinent plus, ont perdu l’habitude ou n’ont jamais appris. C’est important de comprendre le parcours qu’elles ont eu. La façon de consommer est de ce fait complètement autre et j’ai compris que je ne devais pas me baser sur mes propres repères car je n’ai jamais connu le manque.

Une femme dit : « Manger tout le temps des nouilles, c'est de la malnutrition. »

Nous constatons l'augmentation de l'obésité et du diabète. Comment acheter des produits équilibrés avec ces budgets ?

Quelques pistes

Après plusieurs décennies de mise en œuvre de politiques spécifiques qui ont montré leurs limites, il faudrait mettre la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale au cœur des politiques publiques, car seules des politiques globales qui ont pour ambition d’atteindre les plus vulnérables, permettront de lutter réellement contre les discriminations et la stigmatisation.

Il faudrait avoir conscience et connaissance des personnes qui sont au bout du maillon et qui subissent les conséquences des augmentations des prix.

Il faudrait que les populations concernées soient réellement associées aux recherches, politiques et pratiques sociales dont elles sont bénéficiaires. C’est la condition même de leur réussite, ce qui va à l’encontre du discours culpabilisateur qui se met en place vis-à-vis des personnes les plus pauvres. Nous sommes plus dans une logique de sanction que de soutien, que ça soit dans le domaine du travail (augmentation des contrôles), de l’éducation (non versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire ou pour les parents d’enfants en situation irrégulières).

Il faudrait soutenir également la formation civique et professionnelle de tous ceux qui, par leurs contacts réguliers, travaillent avec les populations les plus fragilisées. Assurer l’effectivité de tous les droits fondamentaux. Il faudrait être prêt à réfléchir et prêt à remettre en cause la société de consommation.

1 Revenu Minimum d’Insertion.
1 Revenu Minimum d’Insertion.

Elsa Dauchet De Calignon

Après des études de lettres classiques et une spécialisation dans les métiers du livre, Elsa Dauchet-de Calignon découvre les bibliothèques de rue et y participe durant quatre années comme alliée. En 2007, elle intègre le volontariat d’ATD Quart Monde avec son mari

CC BY-NC-ND