Jacques Pradel : Nous accueillons maintenant Mme René Cassin en compagnie de Mme Geneviève de Gaulle-Anthonioz et de M. Jean-Pierre Bloch pour un moment très important : Mme René Cassin remet aujourd’hui au Mouvement ATD Quart Monde, ici dans cette salle, ô combien symbolique, le manuscrit du préambule de la Déclaration des Droits de l’homme que René Cassin avait écrit. Et cette remise va s’effectuer en présence de trois ministres, Bernard Kouchner, Jacques Lang, René Teulade, qui ont désiré s’associer à cette manifestation (applaudissements).
Mme de Gaulle-Anthonioz : Nous sommes reconnaissants, profondément reconnaissants de ce geste de Mme René Cassin. Non seulement il nous touche profondément mais nous engage : c’est le préambule de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, dont le professeur René Cassin avait été vraiment l’inspirateur, la cheville ouvrière. Sa vie et toute son œuvre ont été exemplaires. Il a toujours été au service des droits de l’homme. Je n’oublie pas non plus, et je veux le redire devant Mme René Cassin qui était aussi à Londres en juin 40, que René Cassin a été parmi les premiers à rejoindre le Général de Gaulle. Il a été son précieux collaborateur comme le général le disait lui-même. Il a été de ceux qui, sans moyens, se sont d’emblée rangés du côté de la défense de la liberté. Il a présenté cette Déclaration, dont voici le manuscrit, comme un acte historique dans le combat millénaire contre l’oppression et la misère. Véritable appel à l’effort de tous, individus et groupes sociaux, pour améliorer la condition humaine, programme d’action offert aux générations présentes et futures. Il y a une connivence qui nous touche profondément entre la pensée du père Joseph Wresinski, l’action du Mouvement ATD Quart Monde et cette Déclaration érigée aux fins, dit René Cassin, « de protéger la personne humaine écrasée par l’oppression du milieu, le mépris, la misère, l’ignorance. » C’est un dépôt sacré, Madame, que vous nous remettez. Il est remis aux mains des plus pauvres et de ceux qui luttent à leurs côtés pour une solidarité avec eux. (applaudissements).
Mme René Cassin : Madame de Gaulle, je suis très heureuse et très touchée de vous remettre le brouillon du préambule de la charte des Droits de l’homme ; j’ai voulu la donner au Quart Monde car l’œuvre du Quart Monde est celle des droits de l’homme.
Jacques Pradel : Je vous propose tout de suite de retrouver ce texte de la Déclaration des droits de l’homme lu par les comédiens Michel Etcheverry et Jean Négroni, qui sont avec nous également cet après-midi…
Michel Etcheverry : « Dans la charte, les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine et dans l’égalité des droits des hommes et des femmes. Ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer des meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires. Il a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans tous les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales. Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelques moyens d’expression que ce soit. »
Jean Négroni : Extrait du discours de René Cassin sur la Déclaration des Droits de l’homme, prononcé le 8 décembre 1958 à l’Académie des Sciences morales et politiques : « Animé de cet idéalisme pratique que Jacques Maritain avait appelé de ses vœux en août 1948, les participants ont exprimé une foi commune dans la destinée de l’homme, dégagé des principes d’action pouvant rallier toutes les bonnes volontés en vue d’élever les êtres humains, présents et à venir, en dignité et en aptitudes. L’obtention d’un tel accord a pu sembler une gageure mais c’est un fait que, loin de heurter fondamentalement des grands groupements humains, Etats ou confessions, elle a obtenu l’adhésion de l’ensemble des pays démocratiques, des démocraties populaires, des nations récemment émancipées des divers continents, et celle des Eglises. Certains ont audacieusement comparé l’ensemble de l’édifice à un temple. Plus modestement, et nous souvenant de la Tour de Babel, nous avons comparé la Déclaration à un portique dont le parvis est constitué par l’unité de la famille humaine. Le soubassement est formé par les principes généraux : liberté, égalité, non-discrimination et fraternité. Nous touchons ici à un des traits essentiels de la Déclaration universelle, érigée pour protéger la personne humaine trop souvent écrasée par l’oppression du milieu, le mépris, la misère et l’ignorance. Elle s’est bien gardée de reconnaître à l’homme des droits sans limitation ni contrepartie. Non seulement chacun a le devoir négatif de ne pas abuser de ses droits et facultés, mais il a encore le devoir positif de respecter les droits et libertés d’autrui. » (applaudissements.