Radio 17 octobre (extraits)

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Radio 17 octobre (extraits) », Revue Quart Monde [En ligne], 145 | 1992/4, mis en ligne le 05 mai 1993, consulté le 25 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3533

Sur quatre continents, des radios ont soutenu des groupes qui voulaient rendre public le refus actuel de la misère. Ces radios ont été en lien avec le parvis des Libertés et des Droits de l’homme à Paris. Autour des plus pauvres, des personnes extrêmement diverses par leurs professions, leurs positions sociales et leurs options philosophiques ou religieuses sont venues témoigner. Voici des extraits des premières heures du studio installé dans le foyer du Théâtre national de Chaillot.

Alain Genestar : Bonjour, permettez-moi de me présenter. Alain Genestar, du « Journal du dimanche. » Je vais animer la première tranche horaire de cette grande journée d’ATD Quart Monde. Il ne s’agit pas de faire un débat – on ne peut pas être pour ou contre la misère – mais d’écouter les gens, d’écouter les témoignages. Je vais aussi vous présenter trois personnes qui resteront avec nous ce matin : Mme Viney, Mme Gautier et M. Gallois, tous trois délégués du Quart Monde. Cette journée est la leur. Je vais donc leur demander de nous dire ce que représente pour eux cette Journée mondiale du refus de la misère.

Mme Gautier : C’est une journée où il faut être entendu par tout le monde, les préfets, les maires, pour qu’ils comprennent qu’en France, il y a des pauvres comme partout ailleurs.

M. Gallois : C’est à Noisy-le-Grand que le père Joseph a commencé. Quand il est arrivé, il a vu les igloos, les tentes, et puis il a vu des enfants mourir, par le froid ou par des, igloos qui brûlaient. Les gens vivaient dans la boue, carrément, et ils étaient carrément rejetés par la mairie. Le père Joseph a dû se battre pour arriver à ce que le Mouvement est maintenant. J’espère qu’il y a beaucoup de personnes qui seront avec nous, plus nombreuses pour nous aider à lutter contre cette misère. Surtout, moi, personnellement, je ne veux plus que les enfants soient retirés de leurs parents. Parce que si vous retirez cet amour entre parents et enfants, eh bien, c’est terminé, il n’y a plus de raison de se battre.

Alain Genestar : Et vous, Madame Viney, qu’est-ce que vous attendez de cette journée ?

Mme Viney : Je souhaite que tout le monde regarde autour de soi, qu’ils ouvrent plus les yeux sur la misère des pauvres. J’espère qu’après cette journée, il y aura plus de gens qui seront pour ATD Quart Monde, qui nous aideront, qui seront plus militants.

On oublie la misère en France. Ou alors on n’en parle vraiment que quand il y a eu des drames. Mais le quotidien de ce que vivent les gens, ça on n’en parle pas. Il n’y a pas assez de porte-parole.

Alain Genestar : Nous rejoignons Noisy-le-Grand en direct pour écouter M. Baillou. Délégué de la cité de promotion familiale, il a accueilli les délégués du Quart Monde de nombreuses villes d’Europe et des anciennes familles du Camp des sans-logis qui s’y sont retrouvées en ce 17 octobre 1992.

M. Baillou : (…) On risque de se trouver à la rue lorsque surtout la maladie ou la perte d’un emploi survient. Ce qui conduit trop souvent à l’éclatement de la famille : la plupart du temps, les enfants sont placés, et les parents logés dans des foyers de fortune. Il faut avoir vécu dans cette situation pour savoir tout le courage et toute la volonté qu’il faut avoir pour affronter la vie de tous les jours, et surtout pour préserver le dernier bien qui reste, c’est-à-dire les enfants. Il n’est pas impossible que les bidonvilles qui avaient disparu dans les années 1970 refassent leur apparition autour de Paris et autour des grandes villes. A cause de cela, une cité de promotion familiale comme celle de Noisy-le-Grand, dans la région parisienne, est d’une importance capitale. Car, d’une part, elle permet à des familles en situation de grande pauvreté de se stabiliser pour un certain temps et de respirer un peu. Et, d’autre part, d’envisager des projets pour leurs enfants et pour eux-mêmes : la scolarisation, acquérir un métier, trouver un emploi, et surtout régler des problèmes de santé. De plus, cela leur permet de renouer contact avec d’autres gens, et de repartir dans la vie sur de nouvelles bases. Il est donc urgent que partout en France se construisent des cités de promotion  familiale. Evidemment, ceci ne saurait être la seule solution au problème du logement : il est impératif que l’Etat mette en route un vaste programme de construction de logements sociaux accessibles surtout aux familles les plus démunies. Car, sans un toit, il leur est impossible de s’en sortir. Pour finir, il ne faut pas oublier qu’en ce 17 octobre, 237 familles dont 900 enfants vivent dans la boue et le froid aux abords du Château de Vincennes, et qu’il serait grand temps qu’on s’occupe enfin d’eux. Voilà merci (applaudissements).

Alain Genestar : Nous sommes de nouveau au studio installé dans le foyer du Théâtre national de Chaillot. Au-dessus de nous, à quelques mètres, il y a des centaines de jeunes qui sont là pour témoigner, autour de la dalle dont Mme Gautier va nous parler. Parmi eux, la comédienne Brigitte Fossey.

Mme Gautier : que représente cette Dalle gravée sur le parvis du Trocadéro ? Cette Dalle représente la réunion des personnes pauvres qui peuvent parler librement de leur misère, grâce au père Joseph qui l’a fait poser. Toutes les personnes, pauvres et riches à la fois, doivent s’unir pour faire respecter les droits des plus pauvres. Il faut que les familles qui ont vraiment des soucis soient reconnues comme des personnes normales et pas comme des personnes un peu débiles ou des choses comme ça. En réalité, les pauvres n’ont pas choisi la misère, elle leur est venue la plupart du temps du manque de travail ou de logement, ce qui a détruit la famille. Tant qu’ils auront leur étiquette, les pauvres ne pourront pas être reconnus par la société.

Alain Genestar : Nous allons maintenant rejoindre en direct ce qui se déroule autour de cette Dalle. Brigitte Fossey, la comédienne, est en train d’y accueillir des enfants.

Brigitte Fossey : J’ai rencontré le père Joseph. Il m’a fait comprendre que là où nous sommes, nous sommes tous intimement liés dans ce combat pour les Droits de l’homme. Et qui que nous soyons, nous pouvons faire quelque chose. Voici trois jeunes Tapori de la région parisienne qui veulent nous parler au nom de tous les autres. Les Tapori sont des enfants pauvres ou riches, des enfants de partout, qui veulent bâtir un monde fraternel. Et aujourd’hui, dans beaucoup de pays, des Tapori se réunissent. Je les accueille maintenant : Cyrille, Katia et Claude.

Cyrille : Je voudrais raconter l’histoire du père Joseph. Il est né à Angers an 1917. Sa famille était très pauvre. Dès l’âge de 5 ans, Joseph commença à gagner de l’argent. La bouchère lui disait : « Fais mes courses et tu auras 2 francs de viande de cheval. » Joseph ne pouvait que dire oui car il était pauvre et il devait aider à nourrir sa famille. Quand il devint une grande personne, il est allé à Noisy-le-Grand. Il y avait un bidonville où personne ne voulait aller. Il a pensé qu’il y avait plus malheureux que lui et il est resté. Il a commencé le mouvement ATD Quart Monde. En Inde, il a rencontré des enfants – on les appelait Tapori – c’étaient des enfants qui montaient dans les trains pour récupérer les restes de nourriture et les partager entre eux. Le père Joseph e eu l’idée de donner le nom de Tapori aux enfants du monde entier qui disaient : « Nous, les Tapori, on partage et on se donne la main pour que l’amitié soit plus forte que la misère. »

Brigitte Fossey : Cyrille a appris pendant la préparation de cette journée que ce que vivent ses parents, qui sont sans adresse et luttent contre la misère, ne s’appelle pas la honte, mais courage.

Katia : Moi, j’appartiens à une famille qui vit normalement. Je suis fille de volontaires. Nous sommes ici près de la Dalle, mais cette journée du refus de la misère se déroule dans tous les continents. En arrivant, vous avez vu les bannières, avec les noms des enfants de beaucoup de pays, et leurs messages dans des langues différentes. Des cartes postales de soutien sont arrivées des Etats-Unis, de Haïti, de Madagascar, d’Algérie, du Congo, de Belgique et de beaucoup d’autres pays encore. Partout, aujourd’hui, des gens s’unissent pour célébrer cette journée, même les jeunes et les enfants. Par exemple, les Scouts du monde entier diffusent le texte de l’appel par radio fax de la Tour Eiffel vers les 17 plus hautes tours du monde. A Clermont-Ferrand, les enfants Tapori tiennent un stand sur le marché. En Roumanie, des enfants se réunissent pour penser à toutes les familles pauvres du monde ; au Cameroun, des enfants d’un centre d’accueil passent la journée dans un village très défavorisé pour travailler avec des enfants plus malheureux qu’eux. Si nous nous y mettons tous, un jour il n’y aura plus de misère dans le monde.

Claude : avez tous lu la phrase gravée sur la dalle : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. » Je voudrais dire ce que cette phrase signifie : lorsque des gens ne peuvent faire autrement que de vivre dans la pauvreté, ce n’est pas normal. Le droit de toute personne de vivre comme tout le monde n’est pas respecté. Par exemple, il y a 35 ans, à Noisy-le-Grand, un camp avait été installé pour des familles, sans eau, sans électricité, dans la boue et le froid. Et encore maintenant, dans beaucoup de pays et même en France, il y a des gens qui n’ont pas de logement, pas de travail, des enfants qui ne vont pas à l’école, des gens qui n’ont aucun loisir. Pour faire respecter ces droits, il faut s’unir, ne pas rester tout seul. S’il y a des droits de l’homme, ce n’est pas pour faire joli.

Brigitte Fossey : Katia, Claude, merci(applaudissements)

(…) Beaucoup de gens ont voulu qu’il n’y ait plus de guerre et de misère, et ont agi toute leur vie pour cela. Une de ces personnes en France fut M. René Cassin. Il fut choisi par les Nations-Unies pour écrire la Déclaration universelle des Droits de l’homme qui a été signée ici, dans une salle au-dessous de ce parvis, le 10 décembre 1948. M. René Cassin est mort, mais personne n’oublie ce à quoi il croyait. Nous avons beaucoup de chance parce que Mme René Cassin a voulu venir vous parler.

Mme René Cassin : Je remercie Mme Brigitte Fossey : elle vous a dit l’essentiel. René Cassin, pendant la guerre, avait souhaité que l’humanité devienne une grande famille où tous les hommes pourraient s’entendre. C’était évidemment un peu utopique à l’époque, mais cela devient de plus en plus vrai. La preuve, c’est que vous êtes tous là. Il a, en effet, rédigé la Charte universelle des Droits de l’homme qui a été acceptée par toutes les nations du monde.

Alain Genestar : Un message téléphoné nous parvient de l’Inde, de M Shaudari, Secrétaire général de Ghandi Seva. M. Shaudari a étudié les liens de la pensée de Ghandi avec celle du père Joseph qu’il avait rencontré en 1960 à Noisy-le-Grand. Il est engagé dans le mouvement Tapori.

Nilu Shaudari : ( extraits traduits) J’aimerais d’abord souhaiter la bienvenue à nos amis français, remercier et féliciter tous les volontaires d’ATD Quart Monde. Le père Joseph nous sert de guide en cette journée du 17 octobre, journée du refus de la misère dans le monde entier. En effet, il nous a insufflé l’enthousiasme nécessaire pour combattre. Nous aimerions honorer le courage du père Joseph qui a aidé les plus pauvres d’entre les pauvres à dire non à la misère. Il a jeté la lumière sur la misère à Noisy-le-Grand dans le bidonville, et dans le monde entier (…) Il a ouvert les yeux du monde sur la misère dans le monde (…) Et c’est lui qui a eu l’initiative du rassemblement des pauvres dans le monde entier pour combattre la misère, pour développer la compréhension, la compassion, pour œuvrer en faveur du développement et du progrès (…)

Alain Genestar : Le moment est venu de donner la parole à M. Guy Aurenche, avocat et fondateur de l’Association des Chrétiens pour l’abolition de la Torture.

Guy Aurenche : qui m’a le plus frappé en rencontrant en particulier des tortionnaires ou des gens responsables d’actes de torture, c’est de constater qu’en brisant une femme ou un homme, ils n’avaient pas le sentiment de briser un être humain. Ils torturaient une étiquette, une idéologie, quelqu’un qu’ils avaient réduit à un crime ou à une couleur de peau. Alors, la première chose tout à fait commune dans le combat de l’ACAT et celui d’ATD, et contre la misère en général, est la lutte contre cette facilité à réduire des gens aux étiquettes (…) Quand vous frappez une étiquette, ce n’est pas grave pour vous moralement. Dans ce lieu symbolique des droits de l’homme, je voudrais que cette journée nous ramène à cette certitude que derrière une idée, ou une couleur de peau, il y a un homme, il y a une femme.

Une deuxième chose m’a frappé, ATD en fait aussi chaque jour l’expérience, c’est qu’à plusieurs, on sauve des hommes et des femmes de la mort (…) De loin, on a l’impression que manifester, écrire un petit bout d’article dans un journal, ne sert à rien. Eh bien, moi je viens témoigner après 18 ans de démarches que nous sauvons des gens, que des gens se sauvent parce qu’ils ont retrouvé la force de leur combat. Des torturés ont témoigné en disant : « Lorsque nous avons appris que des campagnes de presse étaient faites en notre faveur, nous n’avons pas été libérés forcément, les tortures ont continué, mais nous étions sauvés, immédiatement, car nous n’étions plus seuls. »

Je souhaite que cette journée nous apporte à tous la certitude qu’en s’y mettant à quelques-uns, aujourd’hui et non pas demain, nous sauvons des hommes et nous sauvons des femmes.

Alain Genestar : Merci Guy Aurenche, vous étiez aujourd’hui avocat de la meilleure des causes. Nous accueillons maintenant Chantal Crepey et Marie Sauret, des Equipes Saint Vincent.

Mme Crepey (Présidente des Equipes Saint Vincent) : Nous sommes engagés dans ce refus de la misère depuis 375 ans (…). Car un grand ancêtre du père Wresinski est Monsieur Vincent. Saint Vincent de Paul a travaillé au même objectif, inlassablement pendant 40 ans, avec cette même recherche de la dignité de l’homme et de la justice, et avec cette même recherche de l’union des riches et des pauvres que vous avez évoquée tout à l’heure. Aujourd’hui, ce combat contre la pauvreté est poursuivi par les équipes Saint-Vincent.

Mme Sauret (Vice présidente) : Dans la permanence dont je suis responsable, nous permettons à des hommes, qu’on appelle aussi clochards, d’avoir une carte d’identité, première chose pour leur reconnaissance. Et cette carte d’identité leur ouvre tous les droits sociaux : soins, inscription à l’ANPE, mais aussi un droit fondamental pour eux et qu’ils demandent, le droit de vote. C’est un droit civique que l’on perd quand on devient sans domicile fixe et il est très important pour ces gens de pouvoir exprimer eux aussi leurs idées, leurs demandes. Nous avons permis à plusieurs d’obtenir des cartes d’électeur.

Alain Genestar : Je laisse M. Gallois, délégué du Quart Monde, conclure cette matinée. Ensuite, Noël Mamère prendra ma relève.

M. Gallois : suis très content parce que des personnalités sont venues nous rejoindre ici, de France et d’ailleurs, et d’autres encore viendront qui se battent avec nous contre la misère (applaudissements – musique).

Noël Mamère : Je viens passer une heure avec vous sur ce plateau, comme mon confrère Genestar et beaucoup d’autres de la profession qui veulent donner de leur temps pour ces questions essentielles de la misère dans une société qui, paraît-il, est développée et riche. Pendant longtemps, j’ai assuré sur A2 l’émission « Résistances », dans laquelle nous nous sommes beaucoup préoccupés de la misère, en France comme dans le Tiers Monde et nous avons beaucoup travaillé avec ATD. Je me souviens particulièrement d’une émission d’un 17 octobre ; il faisait froid, nous avons passé une heure et demie sur le parvis du Trocadéro avec les militants du Quart Monde : c’est pour moi un grand souvenir de journaliste, un grand souvenir de militant pour la cause des droits de l’homme. Voici Mme Graindépice, déléguée du Quart Monde.

Mme Graindépice : J’habite à Trappes mais avant j’étais en caravane. Il y a trois ans, j’ai repéré une famille en caravane au bord de l’autoroute A 12 et nous avons essayé plusieurs fois de la contacter mais ils s’enfermaient ; ils avaient honte, peur de nous, peur qu’on les chasse, alors qu’on voulait les aider. Nous y sommes retournés dernièrement : ils venaient d’être expulsés.

Cela a été pareil pour nous, pour avoir notre dignité. Quand j’habitais en caravane, route de Dreux, j’allais à la Mairie parce que je n’avais pas de carte d’électeur et aucun droit, mais ils me refusaient ma carte en me disant que j’étais de nulle part. Depuis, j’ai rencontré ATD Quart Monde, c’est eux qui m’ont sortie de la misère ; j’ai réussi quand même à obtenir une carte d’électeur, et j’étais très fière de moi.

Maintenant je me sens mieux dans ma peau, et c’est moi qui aide les autres. Je suis connue dans le coin ! (applaudissements).

Noël Mamère : Merci.  Je voudrais parler maintenant avec M. Broutin. Président fédéral de la ligue des droits de l’homme pour le Val d’Oise. Vous êtes aussi militant d’ATD Quart Monde ?

M. Broutin : Ligue des droits de l’homme privilégie bien entendu le droit et il est évident que dans la misère profonde on n’a plus aucun droit. Je reviendrai sur ce que nous a dit Mme Graindépice tout à l’heure en parlant de la citoyenneté : il est bien entendu que partant de là, la Ligue des droits de l’homme ne peut que s’investir totalement dans l’action d’ATD Quart Monde.

Nous avons travaillé, pendant toute cette semaine, sur le thème de la protection de l’enfance, avec ATD qui présentait ses bibliothèques de rue et, bien entendu, le mouvement Tapori et la grande fresque que ces jeunes ont réalisée. Vous pouvez voir aujourd’hui cette fresque absolument magnifique, nous l’avons rapportée hier soir au Trocadéro après l’avoir mise à l’honneur pendant les cinq jours d’Auvers-sur-Oise.

Noël Mamère : Merci, monsieur Broutin. Nous sommes maintenant en liaison avec Noldi Christen, volontaire en Suisse.

Noldi Christen : au studio de Radio-Cité, à Genève, nous sommes accueillis ensemble, enfants, parents et jeunes du Quart Monde, volontaires et alliés. Nous faisons appel à votre soutien partout pour faire connaître les espoirs des enfants. Il y a des stands dans tout le pays, il y a des enfants des quartiers qui arrivent et qui aimeraient vous donner leur bonjour. Il veulent vous parler.

- Bonjour, j’ai 10 ans et demi, j’habite à Genève.

- Bonjour, je m’appelle Karina, j’habite dans un immeuble, je vous embrasse bien fort, je travaille bien à l’école

- Je m’appelle Pablo, j’ai 8 ans

- Moi, je vais vous lire le témoignage de mon cousin Jérôme : « J’ai 13 ans, je voudrais être pompier ou inventeur électricien, mais pour cela il faut que j’apprenne à lire et à écrire. J’ai réfléchi : aujourd’hui, on veut combattre jusqu’au bout, on vote le refus de la misère, on parle au président. La misère existe, c’est comme au tribunal, on doit la condamner. Les enfants votent aussi pour qu’ils aident leurs parents à gagner ce procès. » (applaudissements).

Noël Mamère : Nous allons parler maintenant avec un sénateur, vice-président du Conseil général de Paris, élu depuis 27 ans. Monsieur Chérioux, tous les 17 octobre, dans la plus grande discrétion, vous êtes venu sur le parvis. C’est l’occasion de vous demander pourquoi.

Jean Chérioux : Tout simplement Monsieur Mamère, parce que je pense qu’il faut mobiliser l’opinion publique sur ce problème de misère. La misère n’est pas admissible, et il faut que les gens soient conscients du rôle important qu’ils peuvent jouer pour lutter contre. Il faut aussi sensibiliser les pouvoirs publics au fait qu’il ne s’agit pas seulement dans cette lutte d’aider matériellement les gens mais que le plus important est de respecter leur dignité d’homme. Et voyez-vous, depuis 27 ans, je me suis toujours efforcé de faire passer ce message qui, à mon avis, est très important.

Tout à l’heure, j’entendais dire que ceux qui sont dans la misère n’ont pas de droits. Je pense que les hommes politiques doivent comprendre que l’Aide Sociale, même quand elle est facultative, est le droit de ceux qui n’ont pas d’autres droits.

J’ajouterai qu’il faut aussi dans un jour comme celui-ci privilégier la personne du père Wresinski. Car, il n’a pas été seulement le créateur d’ATD Quart Monde, mais par son action et notamment son rapport au Conseil économique et social, il a joué un rôle prédominant. Vous savez, si au Sénat j’ai participé aux travaux de la Commission des Affaires sociales sur les problèmes de la misère, c’est parce que j’avais lu ce rapport et y avais trouvé beaucoup de choses : du cœur, il y a en a plein, c’est vrai, mais aussi beaucoup d’idées justes, beaucoup de réalisme. Car le père Wresinski alliait le génie d’un homme de cœur, avec le réalisme d’un homme pratique, et d’un homme de combat. ( applaudissements ).

Noël Mamère : Merci Monsieur Chérioux (…) Nous avons en ligne la Thaïlande.

Eric Sackstein : bonjour. Ici Eric à Bangkok ; il est 5 heures et demie de l’après-midi. Ce matin, la fondation des amis d’ATD en Thaïlande a organisé un mini-marathon qui a rassemblé des gens de partout. Près de 500 personnes sont venues pour manifester leur refus de la misère, et je crois que c’était vraiment un moment de joie et de fierté pour les gens du slum de pouvoir participer. Nous avons ici une jeune fille qui s’appelle Nem et qui voudrait témoigner.

Nem : J’habite dans un slum. Un jour, j’ai rencontré une enfant très pauvre qui devait aller chercher à manger pour ses parents et les aider. Ils n’avaient pas de maison, ils en ont construit une toute petite avec des vieux morceaux de bois. Ils sont trop serrés les uns contre les autres pour pouvoir vraiment dormir. Quand il pleut, l’enfant rentre à la maison mais s’il n’a pas trouvé assez d’argent pour ses parents, il doit repartir en chercher (…).

Noël Mamère : Marie-Claire Droz, vous êtes volontaire ATD Quart Monde. Je sais que le travail que vous faites à Bangkok est très difficile. Vous êtes une petite équipe et les conditions ne sont pas simples.

Marie-Claire Droz : Ce n’est simple nulle part. Ici, en tant qu’étrangers, nous avons évidemment en plus à apprendre la langue, la culture, enfin tout (…) Nous sommes une équipe de quatre, très internationale. Nong qui travaille avec nous depuis 5 ans, est Thaïe, Robert Chang, Américain d’adoption, né à Taïwan, est Chinois d’origine, Eric que vous venez d’entendre est Franco-Américain. Moi je suis Suisse d’origine, je suis dans le mouvement ATD depuis une vingtaine d’année. J’ai connu en Suisse des familles très pauvres qui m’ont encouragée dans cette grande aventure de partir pour l’Asie, pour rencontrer d’autres très pauvres. J’aimerais qu’un jour, ils puissent tous se rencontrer (…)

Noël Mamère : Maintenant nous avons au téléphone Louis Chedid.

Louis Chedid : suis dans l’impossibilité d’être avec vous, mais, évidemment, je suis plus que solidaire. J’ai la chance de pouvoir nourrir mes enfants et habiter sous un  toit, mais je n’oublie pas que beaucoup de gens n’ont pas cette chance, et je trouve cela d’une injustice et d’une absurdité absolues… et je voudrais essayer de faire changer cette mentalité des yeux fermés.

Noël Mamère : Voici Catherine Peugeot, du journal Astrapi, avec une troupe d’enfants. D’où viennent-ils ?

Catherine Peugeot : C’est une école du 19ème arrondissement où il y a 65 nationalités différentes. Ils ont quelque chose à dire.

- Un enfant : pour nous, le refus de la misère, c’est d’empêcher qu’il y ait dans la rue des gens qui dorment par terre, alors que nous sommes dans des lits douillets. C’est empêcher qu’en Afrique, il n’y ait pas de toit, pas de nourriture et que les bébés meurent. Si on s’unit, on peut empêcher que cela aille mal.

Noël Mamère : Les enfants, on ne peut vous faire parler plus, faute de temps. Voici des jeunes de Brétigny-sur-Orge qui arrivent comme appentis reporters. Arrive aussi Pascal Montel ; toi, tu as 26 ans et tu es délégué du Quart Monde. Que fais-tu ?

Pascal Montel : Je ne sais ni lire, ni écrire. Je me bats pour cela et je veux dire aux jeunes qu’il faut qu’ils se battent pour arriver à quelque chose. Je travaille dans la restauration et je voudrais avoir un restaurant plus tard.

Noël Mamère : Beau projet. Que représente ATD Quart Monde pour toi ?

Pascal Montel : J’avais des difficultés dans ma vie, dans ma formation… j’allais sur la Dalle du Trocadéro et une voix intérieure me disait : « Courage, il y a plus malheureux que toi. »

Noël Mamère : Merci de ce témoignage. Les délégués du Quart Monde vous donnent envie de vous battre, de retrouver votre dignité et de partager. Alain Souchon, le chanteur, est au téléphone.

Alain Souchon : (…) Il y a de plus en plus de gens très riches ou très pauvres, avec du  travail ou sans travail. Le monde est de plus en plus manichéen. L’avenir ne peut aller que si ceux qui ont de la chance donnent la main aux autres. On ne parle pas assez du Quart Monde qui est à côté de nous.

Noël Mamère : As-tu le temps de t’occuper du Quart Monde ?

Alain Souchon : je suis juste venu voir. Mais peut être, à l’avenir je ferai quelque chose...

Rédaction de la Revue Quart Monde

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