Scoutisme : une brèche dans le mur de l’exclusion…

Dominique Weerts

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Dominique Weerts, « Scoutisme : une brèche dans le mur de l’exclusion… », Revue Quart Monde [En ligne], 142 | 1992/1, mis en ligne le 05 août 1992, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3631

Pour s’ouvrir vers les milieux les moins favorisés, un mouvement de jeunes comme le scoutisme append, en Belgique, à reconnaître, à soutenir et à faire sienne une initiative venant d’un de ces milieux.

Index de mots-clés

Jeunesse

La plus nombreuse fédération du Mouvement scout en Belgique, la FSC (Fédération des Scouts Catholiques) compte actuellement près de 40 000 jeunes et plus de 8 000 animateurs. Ces 48 000 jeunes se retrouvent dans plus de 18 régions réparties en Communauté française de Belgique ainsi qu’en Communauté germanophone.

Chaque jeune trouve sa place à la FSC puisque l’animateur est spécifique pour chaque groupe d’âge. C’est ainsi que les Baladins accueillent les enfants de 6 à 8 ans, les Louveteaux, ceux de 8 à 12 ans, les Scouts-Eclaireurs ceux de 12 à 16 ans, les Scouts-Aînés et Pionniers, ceux de 16 à 18 ans et enfin les Jeunes en Route, ceux de 18 ans et plus.

Pour chaque section, il existe une animation dont la pédagogie est adaptée à l’âge des participants.

Une pédagogie spécifique. Chaque section se retrouve dans une unité qui est présente dans un quartier donné. Il existe, à la FSC, près de 500 unités. Chaque unité est rattachée à une région qui compte en moyenne une vingtaine d’unités.

Le scoutisme vécu à la FSC s’inspire des fondements du scoutisme, révélés par Baden Powell, fondateur du scoutisme. C’est ainsi que nous sommes convaincus que le jeune est capable de s’éduquer lui-même. Pour le scoutisme, chaque homme, chaque femme possède les ressources nécessaires à son développement personnel. Dans le scoutisme, avec des jeunes adultes, en groupe, l’enfant et le jeune ont l’occasion de s’éduquer tous ensemble et de progresser.

La proposition d’action. Partant de là, le scoutisme fait une proposition d’action à l’enfant ou au jeune. C’est le jeune (enfant ou adolescent) qui construit le groupe. L’équipe, en échange, va lui faire confiance. Par le truchement de ce pari de confiance, le scoutisme fait au jeune une proposition de progression par l’action : agissons ensemble, mettons en jeu nos énergies.

Histoire d’un projet. Les objectifs éducatifs et pédagogiques sont généralement bien atteints dans les unités qui existent. Mais il y a quelques années (1988), la Fédération avait constaté que le Mouvement scout ne concernait globalement que des enfants favorisés dans des quartiers où n’existaient ni misère, ni exclusion sociale. Elle avait aussi remarqué que seuls restaient dans le mouvement les enfants et les jeunes les plus dynamiques. C’étaient eux qui contribuaient le mieux à la réussite du groupe. En tant qu’organisation de jeunesse reconnue officiellement par les pouvoirs publics belges, elle se devait de prendre ses responsabilités face aux situations de plus en plus criantes d’injustice sociale, d’exclusion et de racisme. C’est ainsi qu’elle a mis sur pied un programme d’ouverture du scoutisme en milieu immigré et défavorisé.

Durant les premiers mois, les différentes actions que la Fédération a entreprises dans ce sens s’adressaient essentiellement aux familles immigrées. Cependant, suite à des contacts avec la Maison des savoirs de Molenbeek – lieu de rencontre et de formation animé par des volontaires d’ATD Quart Monde Belgique en milieu très pauvre – et grâce à quelques animateurs scouts sensibilisés par le combat d’ATD Quart Monde, la FSC a décidé de s’ouvrir aussi aux familles les plus défavorisées.

Le projet qui nous concerne n’aurait jamais pu voir le jour sans la présence active de M. Wandewater, ferrailleur et père de famille qui depuis plusieurs années faisait du scoutisme avec les enfants de la rue « parce que le scoutisme les empêche de faire des bêtises et leur apprend beaucoup. » La FSC a décidé de reconnaître officiellement l’unité de M. Wandewater, ce qui n’avait jamais pu être fait auparavant, suite à un camp de dix jours où la FSC avait invité l'unité de M.Wandewater. Ce camp, organisé en août 1990, accueillait aussi des animateurs de la Fédération. De ce camp est née une collaboration entre la FSC et ATD Quart Monde. Du premier camp dans les Ardennes, nous n’avions rien à craindre. Nous y participions tous sans nous demander si quelque chose de nouveau allait naître à la fin du camp. Nous venions tous pour dix jours. Le camp s’est assez bien passé à tel point qu’une poignée d’animateurs et animatrices de la FSC qui avaient participé au camp ont décidé avec l’équipe de M. Wandewater de continuer pendant l’année. La FSC apporterait son soutien logistique et surtout pédagogique. Des animateurs de la troupe, issus du quartier et de la FSC, sont allés deux fois se former avec plusieurs jeunes de l’unité à Champeaux, secrétariat international et lieu de rassemblement et de formation de la branche jeunesse du Mouvement ATD Quart Monde. La création de M. Wandewater est ainsi devenue la 125è unité scoute de la FSC acquérant de cette manière une peine reconnaissance.

Les objectifs. Cette rencontre entre le Mouvement scout et les familles les plus pauvres a été riche en enseignements pour la Fédération. En collaboration avec M.Wandewater et la Maison des savoirs, plusieurs objectifs avaient ainsi été fixés.

* Opter pour en encadrement mixte où animent ensemble des jeunes de milieux défavorisés et animateurs de la Fédération. Qui, mieux que ces jeunes, peut connaître les enfants et les jeunes les plus défavorisés ? Qui, mieux qu’eux, pourra être animateur du scoutisme dans leur propre milieu ? Les animateurs de la FSC doivent collaborer en restant eux-mêmes, en se mettant à leur écoute tout en regardant les exigences de la pédagogie scoute. Tous ces jeunes se formeront mutuellement par l’échange de leurs expériences, en partageant leurs objectifs pour progresser ensemble.

* Former :

Les animateurs de la FSC aux réalités vécues par les jeunes et les familles les plus exclues.

Les animateurs issus de milieux défavorisés au scoutisme et à ses outils pédagogiques.

* Faire participer les familles et l’école. Le scoutisme n’a pas à faire de la formation professionnelle, ni des écoles de devoirs. Il ne doit pas non plus accompagner les jeunes dans des démarches administratives. Chacun doit tenir clairement son rôle. Le scoutisme se situe dans le domaine des loisirs actifs et de l’animation socioculturelle.

En cours d’année et au camp de 1991, des tensions apparurent dans les sections entre l’animateur issu du milieu et celui venant de la Fédération. Les moyens des uns et des autres étaient différents et personne ne percevait vraiment les complémentarités. Au niveau de l’unité, par contre, M.Wandewater et Yves Gaffarel, alliés du Mouvement ATD Quart Monde et à la base du projet, avaient moins de problèmes de communication. Loin du terrain et adultes, ils avaient plus de recul et leurs avis n’entraient pas trop en concurrence. Nous avons alors décidé d’évaluer toute l’action depuis le début, ensemble, avec le soutien des volontaires de la Maison des savoirs. Ce long travail a duré un mois et demi.

Au départ, à la FSC, nous avions bien saisi les spécificités de la 125ème et son objectif : atteindre les enfants des familles les plus défavorisées. Cet objectif exigeait que l’encadrement comporte des jeunes du quartier, et cela d’autant plus que l’unité existait avant l’arrivée de la FSC. Les animateurs FSC apportaient une meilleure connaissance de l’outil pédagogique. L’évaluation a été l’occasion d’échanges entre tous les animateurs (trices) à partir des difficultés qu’ils (elles) avaient rencontrées. Ensemble, nous avons pu définir ces limites et nous en sommes arrivés à nous dire que nous avions à les accepter si nous voulions construire cette 125ème unité pour longtemps.

Nous avons pris conscience qu’au début du projet, les animateurs de la FSC s’étaient donné des objectifs sans en discuter avec les animateurs qui avaient créé cette unité scoute. Nous avons donc redéfini ensemble les objectifs, en tenant compte de ceux que nous nous étions fixés au début du projet :

* Faire du scoutisme de qualité et donc ne pas brader le scoutisme avec les enfants et les jeunes les plus pauvres.

* Collaborer, animateurs issus du milieu et animateurs venant de la FSC.

* Aider les enfants et les jeunes à prendre confiance en eux-mêmes pour que demain ils puissent, eux aussi, devenir animateurs.

* Considérer les parents des enfants et des jeunes comme des partenaires de la 125ème unité.

Actuellement, il semble que cette période d’évaluation qui a été très dure pour les animateurs du quartier – pendant cette période les réunions n’avaient pas lieu – porte doucement ses fruits. Le fait de s’être retrouvés autour d’une table pour parler des aspects fondamentaux de la 125ème unité a ressoudé les liens qui existaient. Tout le monde comprend mieux la place importante qu’il a dans l’unité.

Les leçons d’une expérience. Pour la FSC, le scoutisme doit être un outil efficace d’éducation au service de tous et donc au service des familles les plus défavorisées. L’unité de M.Wandewater est, pour le Mouvement scout, un exemple de ce que peut être la lutte contre l’exclusion sociale. En faisant cela, nous remettons en question le scoutisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui : un scoutisme s’adressant le plus souvent aux enfants et aux jeunes plus favorisés et attentif aux plus dynamiques. Nous commençons avec ce projet à développer le scoutisme au-delà de ses frontières actuelles. Il s’y développe une interaction, une relation d’échanges mutuels entre des jeunes de milieux éloignés les uns des autres. Si nous avons quelque chose à apporter au niveau pédagogique, les jeunes ont, eux aussi, beaucoup à nous apporter : l’expérience de vie et les aspirations de tout un milieu, la soif d’apprendre à des enfants et des jeunes de ce milieu, l’envie de témoigner du vécu de leurs proches, le sentiment de responsabilité de ces jeunes à l’égard des plus jeunes qu’eux. Les volontaires de la Maison des savoirs que nous rencontrons nous questionnent surtout sur un domaine que vise la pédagogie scoute et qu’elle doit réinventer avec les enfants et les jeunes des milieux les plus défavorisées. Ce domaine est celui de la responsabilité. Comment les aider à aller jusqu’au bout de leurs responsabilités en tant que scouts, en assumant, entre autres, leur formation scolaire et professionnelle, alors que ces domaines ne peuvent être du ressort du scoutisme ?

Cette expérience en milieu très défavorisé a permis de déterminer une ligne d’action pour la création de nouvelles unités comme la 125ème ailleurs en Belgique. Cette ligne d’action consiste simplement à respecter les objectifs qui avaient été fixés avec M.Wandewater, à la création de l’unité.

* Souscrire à une équipe mixte d’animateurs (du milieu et de la FSC)

* Former.

* Faire participer les familles et l’école au projet.

Dominique Weerts

Journaliste de formation. Dominique Weerts (28ans) travaille comme consultant en communication sociale. Allié du Mouvement ATD Quart Monde depuis plusieurs années, il est coresponsable, à la Fédération des Scouts catholiques (FSC), du programme d’ouverture du scoutisme en milieu immigré et défavorisé.

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