Contre le travail précaire

Gilles Lavarec

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Gilles Lavarec, « Contre le travail précaire », Revue Quart Monde [En ligne], 135 | 1990/2, mis en ligne le 01 décembre 1990, consulté le 04 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3876

Un accord CFDT-Patronat du Bâtiment et Travaux Publics (BTP) en Bretagne montre que les syndicats peuvent avoir un rôle important contre le travail précaire. Leur esprit d’invention et leur recherche de l’accord peuvent ouvrir de nouvelles voies.

Aujourd’hui, dans le Morbihan, grâce en partie au développement des constructions touristiques et surtout à la concertation des partenaires sociaux, le bâtiment est peut-être en train de sortir d’une des plus mauvaises passes de son histoire.

Jusqu’à ces dernières années, non seulement l’activité stagnait mais, avec le rachat des entreprises familiales par des groupes nationaux, la précarité de l’emploi était devenue la règle : licenciements, sous-traitance, travail au noir, appel exagéré à l’intérieur et aux contrats à durée déterminée.

L’Union Régionale Construction-Bois de la CFDT et la Chambre syndicale du BTP ont conclu un accord de « moralisation du travail précaire » à l’initiative de la CFDT.

Il s’agissait de limiter l’utilisation du travail précaire malgré les fortes fluctuations de charge de travail de chaque entreprise. D’une part, les fluctuations de charge entraînaient alternativement des licenciements et des embauches précaires ; d’autre part, les adjudications au moins-disant favorisaient une sous-traitance en cascade auprès d’entrepreneurs eux-mêmes en situation précaire qui se tournaient vers le travail au noir d’ouvriers en chômage.

C’est pour absorber ces fluctuations de charge sans licenciements qu’a été conclu l’accord de 1987 prévoyant le prêt de main-d’œuvre entre entreprises. Les ouvriers peuvent venir dans une entreprise momentanément en surcharge en restant attachés à leur entreprise d’origine, momentanément moins chargée, sans perdre leur contrat de travail ni leur ancienneté.

Par ailleurs l’accord préconise la généralisation de la procédure d’offres comportant la sélection des entreprises qualifiées et l’abandon de la procédure d’adjudication au moins-disant. Des mesures d’adaptation des salariés aux nouveaux emplois sont prévues. Enfin, des stages spéciaux de formation (adaptation des connaissances, acquisition de qualifications complémentaires) assurent une meilleure polyvalence de la main-d’œuvre pour les salariés du bâtiment risquant de faire objet de licenciements ou se trouvant au chômage. On améliore ainsi l’employabilité de tout le personnel tout en assurant la souplesse interne dans l’entreprise.

De plus en plus, le CFDT devient une force de proposition et non plus seulement de contestation. L’accord BTP sert notamment de support de négociation à l’échelon national.

La sous-traitance en cascade

L’entreprise qui remporte un marché le fait exécuter en tout ou en partie par des entreprises généralement plus petites et moins puissantes en leur imposant des conditions de prix qu’elle ne pourrait souvent pas tenir elle-même. Cela peut être fondé si les sous-traitants économisent de cette manière des frais commerciaux et financiers importants ou si leur spécialisation leur donne sur certaines parties du marché une meilleure rentabilité. Mais c’est souvent faute de pouvoir honorer un marché passé à un prix trop bas que l’entreprise titulaire du marché cherche des sous-traitants. Un sous-traitant peut lui aussi sous-traiter et ainsi de suite en cascade.

Pourquoi ? C’est la conjoncture du fait que le client n’est pas prêt à payer un prix qui couvre les coûts normaux de la production – tel est souvent le résultat des procédures d’adjudication au moins-disant (le plus bas prix) – et du fait que la conjoncture du bâtiment a été tellement dégradée que, pour obtenir des marchés, des entreprises proposent des prix qu’elles ne peuvent tenir et que pour obtenir un travail, des travailleurs acceptent des conditions extrêmes. Par exemple, d’être considérés comme indépendants au lieu d’être salariés : dans ce cas ils acceptent un prix forfaitaire pour un ouvrage donné et l’entreprise échappe ainsi à ses responsabilités de charges sociales, de sécurité voire de qualité qu'elle impose sans en payer le prix.

Quelles conséquences ? C’est surtout un cercle vicieux de pression à la baisse des prix qui entraîne faillites et précarité de l’emploi. Ceci maintient les conditions du système avec ses conséquences plus lointaines du fait du non-paiement de certaines cotisations sociales et ses conséquences plus immédiates sur les conditions de sécurité des chantiers et sur la qualité des ouvrages.

Gilles Lavarec

Gilles Lavarec, marié et père de 3 enfants, a 44 ans. Professionnel du Bâtiment depuis 1967, il milite à la CFDT depuis 1969. Il est actuellement secrétaire permanent CFDT de l’Union Régionale Construction et Bois à Rennes.

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