Interdit de fumer

Daniel Fayard

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Daniel Fayard, « Interdit de fumer », Revue Quart Monde [En ligne], 128 | 1988/3, mis en ligne le 05 février 1989, consulté le 12 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3971

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Santé

« Un juge a ordonné à une femme qui comparaissait devant le tribunal de cesser de fumer, arguant qu’elle ne pouvait se permettre cette dépense car elle se trouvait sans emploi et avait cinq enfants à charge. Arrêtée pour avoir volé des aliments dans un supermarché, cette femme a plaidé la pauvreté. Sachant qu’elle fumait, le juge a considéré que les impôts versés par les contribuables pour financer l’assistance publique dont bénéficie cette femme ne devaient pas être utilisés pour payer le tabac, drogue d’accoutumance. » (La Croix 31 mai 1988)

« Quand on est pauvre assisté, on doit dépenser « à bon escient ». Vouloir consommer ce que consomment ceux qui gagnent leur vie apparaît comme un comportement répréhensible. À chacun son rang, telle serait la norme d’une sage conduite.

Ce jugement en bonne et due forme n’est pas aussi insolite qu’il paraît. Il traduit même une bienveillance émérite. N’est-ce pas pour son bien que cette femme est condamnée ? La peine qu’elle doit subir ne paraît-elle pas plutôt clémente ?

Oui, mais voilà, les causes de son malheur ne connaissent pas de remède. Elle demeure sans soutien, sans emploi, sans ressources suffisantes et régulières pour pouvoir se nourrir ainsi que ses cinq enfants. Quant à l’amélioration de son sort pour les années à venir, mieux vaut ne pas y songer.

Alors, demain, même avec les économies réalisées grâce à l’abstinence de tabac, le vol d’aliments au supermarché ne sera-t-il pas encore une nécessité ?

Où donc réside la libération pour cette femme ? Elle réside dans son droit de vivre comme son juge, de disposer sinon des mêmes moyens d’existence, du moins des mêmes moyens de faire valoir une égale dignité.

La bienveillance et la clémence des juges ne peuvent tenir lieu de justice. Pour les plus pauvres, le droit de vivre dignement passe par une loi qui leur garantit les moyens d’un avenir possible.

« Une loi ? » Oui, pour que soit bien manifesté que c’est là la volonté de la nation. « Une loi ? mais ça va nous créer des obligations ! » Justement.

Daniel Fayard

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