Armée du Salut

Robert Chevalley

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Robert Chevalley, « Armée du Salut », Revue Quart Monde [En ligne], 129 | 1988/4, mis en ligne le 05 mai 1989, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4035

Le groupe donne aux OING qui veulent être quotidiennement fidèles aux plus défavorisés l’occasion d’un coude à coude entre elles. L’Armée du Salut qui est au côté des populations sans abri depuis un siècle cherche dans cet échange, entre autres, à mieux apprécier les possibilités de mobiliser ces populations.

Au début des années soixante dix, le commissaire Charles Péan, officier chargé de représentation auprès des Nations Unies à Genève, rencontrait le père Joseph Wresinski Impressionné par sa pensée, son action et son rayonnement, le commissaire décidait l’entrée de l’Armée du Salut dans le Groupe OING Quart Monde.

L’Armée du Salut a agi, bien avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dans le sens d’une expression de ces droits. Par sa présence et son travail sur le terrain, elle a révélé la réalité de misères aiguës et de graves frustrations dans lesquelles croupissait une frange notable des populations principalement urbaines de Grande-Bretagne.

Le « combat » de la milice salutiste est devenu une lutte pour plus de justice et de solidarité, lutte contre les formes d’oppression, de dégradation morale et d’abêtissement. De tels services se sont étendus à de nombreuses villes du monde industrialisé et s’y sont maintenus sous diverses formes, suivant les besoins. Aujourd’hui, force est d’admettre que, dans les années quatre-vingt, la faim et la malnutrition n’ont pas régressé sur notre planète, bien au contraire. C’est le cas en particulier dans le Tiers Monde où l’Armée du Salut a mis en place dans de nombreux pays des projets et des programmes à l’intention des enfants et des jeunes fréquentant nos établissements scolaires et qui reçoivent là souvent le seul repas de leur journée. On vise aussi à procurer une aide plus permanente en offrant des possibilités d’apprentissage ouvertes également aux femmes et aux handicapés.

Le contact avec le groupe OING Quart Monde ne nous apporte pas à proprement parler une intensification de nos services : les salutistes « alliés de toujours des sans-abri » comme le soulignait le Père Joseph, sont déjà fortement engagés sur le terrain.

Par exemple de mi-novembre à fin décembre 1986, l’Armée du Salut a dépensé à Paris, en aide de secours d’urgence, 3,4 millions de francs. Elle a mis à disposition mille cent lits d’urgence supplémentaires dans ses propres institutions. Cela a porté à quatre mille lits par jour, la capacité du logement d’urgence fournie par l’Armée du Salut en France.

Lorsqu’au début 1987, le grand froid sévit avec une rigueur extrême, l’Armée du Salut lança alors une opération SOS Survie dans le cadre du plan, « Précarité-Pauvreté » mis en place par les pouvoirs publics. Parmi les diverses initiatives et actions, il vaut la peine de mentionner les Banques Alimentaires, aujourd’hui au nombre de trente-et-une dispersées à travers toute la France, lesquelles voient une collaboration fructueuse entre Secours Catholique, Emmaüs et Armée du Salut. On sait qu’en faveur de tels établissements, la CEE a accepté de mettre à disposition une part de ses surplus alimentaires, en sus des fonds alloués par le gouvernement français.

Il n’est pas douteux que notre participation au Groupe OING Quart Monde permette un coude à coude toujours profitable avec d’autres ONG à la fois par la rencontre des personnes présentes avec leur optique et leurs missions particulières, et aussi parce qu’on se sent là plus à l’aise et plus utile que dans les grandes assemblées comme celle de l’ECOSOC, où l’on est facilement gagné par l’impression de sombrer dans l’insignifiance.

L’œuvre et le rayonnement du père Joseph Wresinski, tout en confirmant la réalité des misères et des dénuements qu’il met en lumière avec un relief particulier, nous incitent à mieux apprécier les possibilités de mobiliser en quelque sorte les gens du Quart Monde dans la prise de conscience et l’affirmation de leurs droits. Nous reconnaissons que sur ce terrain nous avons quelque chose à apprendre et à recevoir.

Pour ce qui est de la transmission au sein de notre ONG, elle ne s’est pas beaucoup concrétisée jusqu’ici, probablement parce que dans notre milieu, tous ne sont pas encore libérés des méfiances qu’à beaucoup suscitées ce qui portait une teinte de catholicisme et d’appartenance à l’ONU, organisation réputée inefficace car fondée sur des bases purement humanistes et non point chrétiennes. Cela dit, il convient de relever que depuis quelques années, nos frères catholiques nous ont souvent étonnés par leur ouverture de cœur et d’esprit qui donne lieu à d’heureuses occasions d’action et de témoignage communs. Comme le disait le Pape Jean Paul II aux membres de la Communauté de Travail des Églises Chrétiennes de la Suisse – dont le soussigné était membre – « il faut démolir patiemment les vieux préjugés. Malgré tout, l’œcuménisme est en marche, lentement sans doute, mais sûrement ! »

On ne peut que garder le souvenir lumineux du père Joseph Wresinski et de son dynamisme d’amour ; il a puissamment fortifié chez les plus pauvres le sentiment de leur profonde dignité et l’assurance de leurs potentialités. En même temps il produisait une remarquable conscientisation des pouvoirs publics.

On ne peut que souhaiter pleine réussite dans leur mission à ceux qui ont repris le flambeau.

Robert Chevalley

Ancien Chef de l’Armée du Salut en Suisse chargé de 1984 à 1988 de la représentation auprès des instances internationales

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