Tous les biens de ce monde, Dieu les a faits pour tous, et tous y ont droit

Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Naziance et 3ème Concile du Latran

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Basile de Césarée, Grégoire de Nysse, Grégoire de Naziance et 3ème Concile du Latran, « Tous les biens de ce monde, Dieu les a faits pour tous, et tous y ont droit », Revue Quart Monde [En ligne], 127 | 1988/2, mis en ligne le 18 juillet 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4053

C'est ce que nous rappellent Basile de Césarée (329-379), Grégoire de Naziance (329-389) et Grégoire de Nysse (330-394). Dieu a créé le riche et le pauvre pareillement, ainsi que tous les biens de ce monde qui lui appartiennent, encore et pour toujours. Tout est venu de Dieu et pour chaque homme. Aussi le riche ne doit-il se considérer que comme l'intendant des biens qu'il possède car il les a reçus de Dieu. Il doit donc les répartir vers les pauvres sinon il commet une grave injustice.

Mais la richesse ne provient-elle pas toujours d'une injustice ? C'est ce que semble penser, quant à lui, Jean Chrysostome (349-407). Quoiqu'il en soit, répartir ses richesses vers les pauvres reste une obligation morale des riches.

Le partage des seules richesses matérielles ne suffit pas et le texte du troisième Concile du Latran (1179) apporte une nouvelle dimension, la richesse de l'esprit. Il énonce, en effet, que la pauvreté ne doit pas être, en soi, un obstacle à l'acquisition et à la transmission du savoir, qui est également un don de Dieu.

Nous tenons à remercier Monsieur Michel Mollat, membre de l'Institut, pour l'aide qu'il apporte à la réalisation de cette rubrique. Nous lui devons, notamment le choix des textes que nous publions ici.

Le riche n'est qu'un intendant

« Homme! sache qui t'a pourvu! Souviens-toi de toi-même: qui tu es, quel bien tu administres, de qui tu l'as reçu, pourquoi tu as été préféré à la plupart. Un Dieu bon t'a fait son serviteur: intendant de tes compagnons d'esclavage; ne crois pas que toutes choses aient été préparées pour ton ventre! Comme pour des biens étrangers délibère sur ceux que tu as entre tes mains: ils te charment un peu de temps pour s'écrouler ensuite et disparaître: mais il t'en sera demandé compte exact. » (Basile, homélie VI sur cette parole: « Je détruirai mes greniers »)

« A qui fais-je du tort, dit l'avare, en gardant ce qui m'apparient ? Quels sont, dis-moi, les biens qui t'appartiennent ? Où as-tu pris quelque chose pour l'introduire dans la vie ?

Tel un homme qui prendrait place dans .un théâtre, et puis écarterait ceux qui voudraient entrer, parce qu'il considère comme son bien propre ce qui est là pour l'usage de tous: tels sont les riches. Car, des biens communs, qu'ils ont occupés les premiers, ils font leurs biens propres, pour cette raison qu'ils les ont pris d'abord. Si chacun en effet, emportait seulement ce qui est requis pour son usage, et que, le superflu, il le laissât à qui est dans le besoin, personne ne serait riche, personne ne serait pauvre, personne indigent.

N'es-tu pas sorti nu du sein de ta mère ? Ne seras-tu pas nu quand tu retourneras en terre ? Les biens présents, d'où te sont-ils venus ? Si tu dis: « du hasard », tu es un athée, car tu ne reconnais pas le créateur, et tu ne sais pas gré à celui qui t'a pourvu. Si tu confesses qu'ils viennent de Dieu, dis-moi la raison pour laquelle tu les as reçus. Est-ce que Dieu serait injuste, lui qui nous partage inégalement les biens nécessaires ?

Es-tu riche et celui-là pauvre? N'est-ce pas absolument pour que ta bonté et ta fidèle administration reçoivent leur récompense, tandis que le pauvre aura l'honneur de se voir attribuer le prix magnifique promis à la patience ? Et toi, qui enveloppes tous tes biens dans les plis d'une insatiable avarice, tu penses ne faire de tort à personne en dépouillant tant de malheureux ? Qui est donc l'avare ? Celui qui ne se contente pas de ce qui suffit. Qui est le spoliateur ? Celui qui enlève les biens de chacun. Et n'es-tu pas un avare ? Tu n'es pas un spoliateur, toi qui, des biens dont tu as reçu la gestion, fais ton bien propre ? Celui qui dépouille un homme de ses vêtements aura nom de pillard; et celui qui ne vêt pas la nudité du malheureux, alors qu'il peut le faire, est-il digne d'un autre nom ?

A l'affamé appartient le pain que tu gardes, à l'homme nu le manteau que tu conserves dans tes coffres, au va-nu-pieds la chaussure qui pourrit chez toi, au besogneux l'argent que tu conserves enfoui. Ainsi tu commets autant d'injustices qu'il y a de gens à qUI tu pouvais donner. » (Basile, homélie VI, VII. Traduction S. Giet « Les idées et l'action sociale de saint Basile », Galbalda. 1941, p. III et p. 97-99).

Le riche et le pauvre sont également l'œuvre de Dieu

« Mes frères, ne soyons pas les mauvais économes des biens que l'on nous a confiés... Ne nous tuons pas à amasser de l'argent quand nos frères meurent de faim, pour ne point nous exposer aux sévères remontrances d'Amos: «Prenez garde, vous qui dites: quand le mois sera-t-il passé afin que nous vendions, et le sabbat écoulé, pour que nous ouvrions nos dépôts ?» Et il menace encore de la colère de Dieu les marchands qui truquent leurs balances... Soyez des dieux pour les pauvres en imitant la miséricorde de Dieu. L'homme n'a rien de plus commun avec Dieu que la faculté de faire le bien. » (Grégoire de Nazianze, De l'amour des pauvres, 24-27. Trad. F. Quéré-aulmes, Riches et pauvres, p. 121-124).

« Si en méprisant les pauvres, on outrage Dieu, inversement on honore le Créateur en respectant sa création. Et lorsqu'on lit dans l'Écriture : «Le riche et le pauvre se rencontrent. Le Seigneur les a faits tous deux» (Proverbes 22, 2), ne vous imaginez pas qu'il les a créés tels l'un et l'autre, pour en tirer une raison de plus de vous dresser contre le pauvre, car je ne suis pas sûr que la distinction entre riches et pauvres vienne de Dieu. Mais l'un et l'autre sont également l'œuvre de Dieu, comme dit l'Ecriture, aussi opposées que semblent leurs conditions extérieures. » (Grégoire de Nazianze, De l'amour des pauvres, 36. Trad. F. Quéré-Jaulmes, p. 131.)

« Ne gardez pas tout pour vous, mais partagez avec les pauvres qui sont les préférés de Dieu. Tout appartient à Dieu, notre commun Père. Et nous sommes tous les frères d'une famille unique; tous nous aurions dû recueillir une part égale d'héritage, c'était justice. Mais puisque en notre ordre imparfait, il en est toujours qui accaparent le gros de l'héritage, qu'au moins les autres ne soient pas entièrement frustrés. Un homme qui voudrait tout garder pour lui et empêcherait ses frères de toucher le tiers ou même le cinquième de l'héritage, cet homme serait un tyran brutal, un barbare intraitable, une bête affamée, toujours la gueule ouverte par voracié - que dis-je ? Ce serait la bête de loin la plus féroce de tout le règne animal. Car le loup tolère un autre loup à ses côtés pour déchiqueter la proie. Et les chiens se rassemblent pour dévorer une même pâture. Mais lui, toujours inassouvi, refuserait de rien partager avec son semblable. » (Grégoire de Nysse, De l'amour des pauvres, I Trad. F. Quéré-Jaulmes, p. 144).

La richesse n'est pas mauvaise, à condition...

« Toi, dis-moi, d'où provient ta richesse ? - J'ai hérité de mes biens - Et de qui cet autre les a-t-il reçus ? - De mon aïeul - Et de qui celui-là ? - De son père. - Pourrais-tu, en remontant de génération en génération, me montrer qu'ils ont été justement acquis ?

Non, tu ne le pourrais pas et, nécessairement à leur origine et à leur source, il y a eu quelque injustice. Pourquoi ? Parce que Dieu, à l'origine, n'a pas créé de riche et de pauvre; il n'a pas non plus amené l'un en présence d'une masse d'or, et empêché l'autre de le découvrir, mais il a livré à tous la même terre. Pourquoi donc puisqu'elle est commune, as-tu tant et tant de plèthres de terre, alors que ton voisin n'en a même pas une poignée ? - C'est mon père, dis-tu, qui me les a transmis. - Et lui, de qui les avait-il reçus ?

De ses ancêtres. - Mais en remontant assez haut on trouvera nécessairement l'origine. Jacob est devenu riche, mais en recevant la récompense de ses peines. D'ailleurs, je n'en discute pas: admettons que ta richesse est juste et pure de toute rapine, mais tu n'as pas volé toi-même. Admettons même que ton père n'a pas volé non plus, mais qu'il s'est trouvé en possession de cet or qui a jailli du sein de la terre. Eh bien, la richesse est-elle bonne pour cela ? Nullement ! Tu dis qu'elle n'est pas mauvaise non plus. Elle ne l'est pas à condition que le riche ne commette pas de rapines, et en fasse part à ceux qui sont dans le besoin. » (Jean Chrysostome, Homélie 12 sur la 1ère Épître à Timothée, 4. Patrologie grecque 62, col. 562-563).

Les pauvres ont droit aux richesses de l'esprit

« L'Église de Dieu est tenue de pourvoir comme une mère attentive aux indigents, à la fois dans ce qui touche au soutien du corps et dans ce qui contribue au progrès de l'âme. Aussi, pour éviter que les pauvres sans fortune familiale ne soient dans l'impossibilité d'étudier et de progresser, on attribuera dans chaque église cathédrale, au maître chargé d'enseigner gratuitement les clercs de cette église et les étudiants pauvres, un bénéfice convenable, pour subvenir aux besoins du professeur et ouvrir aux étudiants le chemin du savoir. Dans les autres églises ou monastères, où il existait autrefois une fondation à cet effet, on la rétablira. Mais personne n'exigera de rétribution pour la collatio de la licence d'enseignement, personne ne réclamera quoi que ce soit aux professeurs sous le couvert de quelque coutume établie, personne n'interdira d'enseigner à quiconque, s'il demande la licence et dans la mesure où il en est capable... » (Troisième concile du Latran (1179), canon 18. Trad. N. Bériou, dans Histoire de l'Eglise par elle-même, Fayard, 1978, p. 219-220).

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