Le partenariat et la sécurité d’existence

Vasso Papandreou, Leona Van den Wijngaert, Freddy Leheureux et Marcelle Cornet-Santé

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Vasso Papandreou, Leona Van den Wijngaert, Freddy Leheureux et Marcelle Cornet-Santé, « Le partenariat et la sécurité d’existence », Revue Quart Monde [En ligne], 131 | 1989/2, mis en ligne le 01 mars 1990, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4095

Dans son message aux délégués des universités populaires (UP) du Quart Monde, Mme Vasso Papandreou s’engageait avec la Commission européenne sur les questions du partenariat et de la sécurité d’existence des familles en grande pauvreté.

Les contributions des délégués des Universités Populaires de Belgique éclairent sur ce que représente ces deux priorités dans la vie de ces familles.

« Je suis particulièrement heureuse de m’adresser à vous ce matin, et d’avoir ainsi l’occasion de manifester le soutien que la Commission et moi même apportons à votre séminaire, et, plus généralement, l’intérêt que nous portons à votre action pour lutter contre la pauvreté.

Ce séminaire est l’une des sessions de l’université populaire du Quart Monde. Il ne pose donc pas la question du partenariat avec les familles les plus pauvres comme une question abstraite ou comme un simple slogan. Il la met en pratique, ici et maintenant, en manifestant que les pauvres ne sont pas muets, qu’ils ne sont pas condamnés à n’avoir que des porte-parole, c’est-à-dire des gens qui parleraient à leur place. Je remercie donc par avance tout particulièrement les familles qui sont présentes ici et qui s’exprimeront au cours de cette journée, pour la contribution qu’elles apporteront à nos réflexions.

La Commission a accordé son soutien financier à une étude menée par le Mouvement ATD Quart Monde sur les systèmes de garanties de ressources qui existent dans plusieurs pays européens. Vous aurez l’occasion de présenter cette étude, d’en préciser les limites et d’en discuter les conclusions. Pour ma part, je voudrais souligner ici l’importance que la Commission accorde à la reconnaissance d’un droit à un revenu minimum parmi les droits sociaux fondamentaux que la communauté doit affirmer solennellement. C’est pourquoi nous l’avons prévu dans l’avant-projet de charte des droits sociaux fondamentaux qui constitue l’un des prochains thèmes de discussion de la Communauté. Bien entendu, la mise en place d’un revenu minimum ne règle pas tous les problèmes et la lutte contre la pauvreté et l’exclusion nécessite une politique plus globale. Mais ce serait déjà une étape politique significative que d’avancer dans le voie d’un droit au revenu reconnu à tous et la Commission s’efforcera d’y contribuer ».

Vasso Papandreou

Avec le « minimex », nous pouvons oser

Depuis 1974, les Belges qui n’ont pas assez de revenus provenant de leur travail ou de la sécurité sociale ont droit au « minimex ».

Auparavant, nous étions dépendants de la bonne volonté des autres. Nous ne savions jamais de quoi nous allions vivre demain. L’incertitude, la honte, la dépendance nous empêchaient d’avancer dans la vie et de donner des chances à nos enfants.

Le « minimex » ne suffit pas pour vivre, comme le dit la loi, « une vie qui réponde à la dignité humaine ». Mais à partir du moment où nous pouvons compter sur un revenu régulier et fixe, nous osons faire des démarches nouvelles.

Quand vous vivez constamment au jour le jour, quand vous vous demandez ce que vous allez manger, où vous allez dormir… alors un revenu régulier est un changement énorme.

Ceux d’entre nous qui n’avaient absolument rien, aucune sécurité, ont dû apprendre à vivre avec une somme d’argent fixe. Après ils ont pu commencer à apprendre à lire et à écrire.

Grâce au « minimex » une femme de notre commune a eu le courage de se présenter pour une formation d’aide-ménagère. Deux ans plus tard avec l’encouragement des autres, elle a obtenu un diplôme.

Sans travail, sans revenu, les jeunes ne peuvent pas habiter en couple avec leurs enfants. Ils sont obligés d’habiter chez leurs parents. Le « minimex » leur donne plus de liberté. Ils peuvent avoir leur propre logement.

Sans revenus, on a du mal à élever nos enfants. Beaucoup d’entre eux sont placés. C’est une chance pour leur avenir quand le « minimex » permet d’éviter cela.

Le « minimex » est pour nous un droit. Nous voulons que ce droit soit respecté. Ce n’est pas toujours facile. Plusieurs communes ont déjà voulu interrompre le paiement du « minimex ». C’est inhumain. De nombreuses familles ont à nouveau été obligées d’aller chercher des paquets de nourriture. À nouveau, elles allaient mendier. Et mendier aujourd’hui ce n’est pas facile. Elles risquaient de retomber dans la grande misère.

Avec les autres familles du Quart Monde, nous sommes allés au tribunal pour défendre le droit au « minimex » pour tous. Le tribunal a obligé la caisse à reprendre les versements.

En Belgique, il y a encore beaucoup de gens qui vivent dans la misère et qui n’ont pas le droit au « minimex ». Ils sont sans-abri. Ils ne connaissent pas ce droit ou pensent que ce n’est pas pour eux. Ils ont honte…

Aux réunions du Quart Monde, nous les encourageons à faire valoir leurs droits. Souvent l’un d’entre nous les accompagne au service social pour les soutenir quand ils font leur demande.

Dans notre pays, on considère le « minimex » comme un droit. C’est dans cette direction que tous les pays d’Europe doivent aller. Un « minimex » est indispensable pour être capable de mener une vie normale. Mais, ce n’est pas suffisant. Il faut prendre des mesures dans tous les domaines de la vie.

Leona Van den Wyngaert

Oser ne pas rester seul

Pour sortir de la misère, nous avons besoin de gens pour lesquels nous ne sommes pas que des problèmes, mais aussi des personnes.

Nous ne voulons pas rester seuls, enfermés en nous-mêmes. Nous avons besoin de rencontrer des gens différents qui nous aident à découvrir le monde. Nous avons besoin de rencontrer des gens qui ont les mêmes problèmes que nous, pour échanger des idées, pour se donner du courage et apprendre ensemble à faire face aux difficultés.

Nous avons des choses à dire dans les associations de parents d’élèves, nous avons des choses à dire dans les associations de quartier, dans les syndicats, dans les partis politiques…

Mais il nous est difficile de participer à une association. Nous sommes marqués par l’exclusion. Nous avons peur de ne pas savoir nous exprimer. Nous avons peur lorsque nous rencontrons une nouvelle personne. Cette timidité nous vient de notre enfance. À l’école, on nous montrait du doigt : on n’était pas habillés comme les autres ; on n’avait pas le matériel qu’il fallait ; on ne savait pas bien lire. De tout cela nous gardons la peur d’être encore repoussés.

En plus, il y a la question de l’argent. Payer la cotisation, acheter un uniforme posent souvent quelques problèmes. Mais il nous est encore plus difficile de faire face aux gros frais de voyage ou de camp. Les autres partent sans nous et on se sent exclu car c’est dans ces moments-là qu’un groupe se renforce.

Quand on est au chômage, on a besoin de se rendre utile. Mais on s’énerve, on tourne en rond les problèmes dans la tête. On ne peut plus penser à autre chose. On cherche du travail, on est prêt à prendre n’importe quoi. On ne sait jamais si on aura encore du temps libre demain.

Comme nous n’avons pas de diplôme, nous prenons les emplois dont personne ne veut. Nous travaillons le soir, la nuit, le week-end. Nos horaires sont irréguliers. Nous sommes épuisés par des travaux lourds.

Dans ces conditions, il est difficile de participer à une association.

Pourtant, nous sommes ensemble, ici, aujourd’hui. Pourtant nous participons au Mouvement ATD Quart Monde. Certains d’entre nous font partie d’autres associations. Nous y prenons même des responsabilités. Par exemple, pour accueillir ceux qui ont le plus de difficultés dans une maison de quartier ou dans une consultation de nourrissons.

Au départ, on n’ose pas aller vers les autres. Mais quelqu’un est venu à notre rencontre et nous a pris au sérieux. Alors, on a osé rencontrer d’autres personnes. On a osé dire les choses telles qu’on les vit dans la réalité, sans devoir rien inventer.

Tout le monde doit avoir cette chance. Surtout les enfants car ils ont toute la vie devant eux. Pour qu’ils puissent se développer, il est indispensable qu’ils participent à des mouvements de jeunesse, à des groupes sportifs, aux activités organisées dans les écoles et dans les quartiers.

Participer à la vie culturelle, sportive, sociale, cela fait partie des droits élémentaires de la personne humaine. C’est une responsabilité de chacun à son niveau, pour que cela devienne possible pour tous.

Freddy Leheureux, Marcelle Cornet-Santé

L’Université populaire du Quart Monde de Bruxelles

Crée en 1975, l’Université populaire de Bruxelles rassemble plusieurs centaines de délégués des familles les plus pauvres de toute la Belgique et d’autres citoyens venus de tous les horizons. Ils expérimentent ensemble une nouvelle manière d’être citoyen, s’ouvrent à une nouvelle intelligence du monde basée sur la conviction que les plus pauvres, comme tous les êtres humains, aspirent à tenir leur rang dans l’histoire de l’humanité. Située au cœur de la capitale de l’Europe, elle a comme responsabilité particulière de faire progresser le partenariat et la représentation du Quart Monde auprès des institutions des Communautés européennes.

Vasso Papandreou

Membre de la Commission des Communautés européennes chargée de l’emploi et des affaires sociales.

Leona Van den Wijngaert

Déléguée de l’université populaire de Bruxelles, Bruxelles, 30 juin 1989.

Freddy Leheureux

Délégués de l’université populaire de Bruxelles, Bruxelles, 30 juin 1989

Marcelle Cornet-Santé

CC BY-NC-ND