Même criante, la misère reste cachée

Carl Egner

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Carl Egner, « Même criante, la misère reste cachée », Revue Quart Monde [En ligne], 132 | 1989/3, mis en ligne le 05 février 1990, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4134

Volontaire américain, après quatre ans de travail avec l'équipe d'ATD Quart Monde à New York, me voilà en France pour quelques mois. Comme je l'avais déjà remarqué lors de mes autres séjours en France, je note que la presse parle beaucoup des États-Unis et souvent de la misère qui y sévit.

C'est sûr, la misère aux USA est immense. Et criante, car pas du tout cachée. La ville de New York en est certainement une bonne illustration. Les journalistes décrivent longuement, avec force détails et statistiques, des problèmes que je ne connais que trop bien : la drogue, les quartiers entiers détruits, les familles cassées, les enfants abandonnés, les sans abri, la crise de logement, les enfants à la rue, les adultes qui dorment dehors ou dans une gare, la violence, la peur, un taux de mortalité infantile qui dépasse parfois celui de certains pays du tiers monde, etc.

Je connais beaucoup de familles qui subissent certains ou plusieurs de ces maux. Mais je ne les retrouve pourtant pas dans ces articles. Ces familles ont des problèmes, bien sûr, mais elles sont infiniment plus qu'une liste de problèmes. Pour moi, ce sont surtout des gens qui luttent sans cesse contre cette misère, contre ces injustices. Ce sont des enfants assoiffés d'apprendre, et qui aiment jouer, partager avec d'autres. Ce sont des familles qui abritent d'autres familles « parce qu'il ne faut pas laisser des gens à la rue ». C'est une femme de 85 ans qui, malgré une vie pleine de travaux très durs et de souffrances, reste pleine de joie, de sourires, de rires ; elle ne vient jamais à une réunion du quart monde sans apporter à manger pour tout le monde. Ce sont des centaines de personnes qui m'apprennent la dignité de l'être humain, et qui poussent sans cesse les volontaires à aller plus loin avec elles.

Est-il juste de parler des problèmes de ces gens sans parler aussi de ce qu'elles s'efforcent de réaliser et de leur courage ?Est-il juste de parler de la misère d'un pays sans parler aussi des citoyens de ce pays qui se battent avec acharnement contre cette misère ? Est-il juste de souligner que certaines villes ou certaines races souffrent plus que d'autres en isolant les faits de leur contexte ?

Cela n'est pas juste. Pour ma part, je crois cette injustice d'autant plus grave qu'elle atteint des familles et des personnes qui ont précisément le plus besoin de justice.

Carl Egner

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