La formation professionnelle pour l’avenir des ouvriers non qualifiés (D’après le Commissariat Général du Plan)

Marie-Christine Bureau

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Marie-Christine Bureau, « La formation professionnelle pour l’avenir des ouvriers non qualifiés (D’après le Commissariat Général du Plan) », Revue Quart Monde [En ligne], 121 | 1986/4, mis en ligne le 02 juin 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4238

Qu’il s’agisse d’une réduction d’effectifs ou d’un changement technique, les moins qualifiés sont souvent les premiers touchés. Le développement actuel de la formation professionnelle, l’invention de nouvelles gestions du personnel peuvent-ils, sinon inverser cette tendance, du moins créer des chances que les moins qualifiés soient en mesure de saisir ?

1 - Les risques qui menacent les ouvriers non qualifiés dans différents secteurs

Les ouvriers non qualifiés se répartissent inégalement dans les différentes activités économiques. Ils représentent l’essentiel de l’effectif ouvrier dans des secteurs de consommation traditionnels (textile-habillement, cuir-chaussures, bois, alimentation ), dans certaines activités de montage taylorisées (automobiles, équipement, ménage) ainsi que dans certain services (nettoyage, etc.). Dans le bâtiment et les travaux publics, ils sont nombreux, mais plutôt minoritaires aux côtés des ouvriers professionnels. Enfin, ils restent isolés dans d’autres activités (par exemple la chimie), souvent aux marges de la production.

La réduction des effectifs non qualifiés frappe globalement la plupart de ces secteurs, en particulier avec la mécanisation de plus en plus poussée des tâches de manutention et conditionnement (par exemple dans les industries agroalimentaires). En outre, comme différentes études rassemblées pour le Plan le montrent, des risques d’exclusion internes à l’entreprise

Dans des activités de type traditionnel, on peut observer une valorisation et une utilisation des savoirs de métier dans le changement technique. Ainsi, risque de se renforcer une coupure dans l’entreprise entre les personnels qui détiennent ces savoirs, même sans qualification reconnue, et ceux qui restaient dans des tâches répétitives ou annexes

De même, certaines entreprises fortement taylorisées mettent en place des filières de requalification souvent associées au développement de la polyvalence. Là encore, les chances apparaissent inégale ; l’accès à la polyvalence peut s’avérer très sélectif. Mais tout dépend aussi des modalités concrètes

2 - La formation conçue comme investissement : chances et dangers

Pour faire échec à la faiblesse chronique de l’effort de formation soutenu par des entreprises, un courant se diffuse actuellement avec vigueur dans les milieux industriels administratifs et politiques : la formation professionnelle doit être considérée dans l’entreprise comme un investissement à part entière.

L’effet positif de cette conception sur le développement de la formation est indiscutable. Elle rompt avec l’image de la formation comme œuvre sociale et permet de mieux associer projet professionnel et formation. Il faut pourtant rester lucide sur les conséquences de cette conception, en particulier sur les inégalités spontanées qu’elle entraîne entre les entreprises et entre les salariés.

En effet, tout investissement suppose réunies plusieurs conditions :

- une attente, un espoir de gain futur,

- des moyens de financement,

- des moyens techniques de réalisation,

De ce fait, se trouvent mis à l’écart :

- les salariés auxquels l’entreprise ne reconnaît pas une valeur suffisante pour espérer dans leur contribution future,

- les entreprises qui disposent de moyens financiers trop étroits pour entreprendre un vaste effort de formation,

- les entreprises, les PME, surtout, qui ont des difficultés pour remplacer leur personnel en formation ; et toutes celles qui se trouvent démunies parce qu’elles manquent d’expérience de formation des moins qualifiés : pour beaucoup d’entreprises, il s’agit en fait, de savoir-faire à acquérir.

Pour réduire ces inégalités spontanées, l’Etat ainsi que divers organismes peuvent jouer un rôle important :

- mener des réalisations exemplaires et les diffuser pour convaincre les entreprises que les moins qualifiés ont une réelle capacité à se former lorsque les conditions sont favorables ;

- fournir des moyens financiers, par exemple, sous forme contractuelle, à des entreprises qui poursuivent des objectifs de formation et d’emploi à moyen terme ;

- créer des aides au remplacement dans les P.M.E. ;

- stimuler la mise en commun des moyens pédagogiques existants.

Ce sont là quelques-unes des propositions importantes formulées par le Commissariat Général au Plan.

3 - Visions de l’avenir et politiques de formation

Les responsables de l’industrie qui bâtissent des plans de formation d’une certaine ampleur se fondent, explicitement ou non, sur une vision de l’avenir, en particulier de l’avenir des emplois ouvriers. Ces conceptions influencent l’esprit des formations mises en œuvre ainsi que la gestion du personnel qui les accompagne. On peut en distinguer schématiquement trois :

- L’ouvrier de demain sera bachelier

Sous une forme plus courante, cette conception s’exprime par la nécessité d’élever le niveau d’enseignement général du personnel. Elle a des conséquences certaines sur le recrutement mais conduit aussi parfois à des formations de remise à niveau pour le personnel, plus ou moins calquées sur le modèle scolaire. Les exclus du système scolaire courent le risque de se retrouver en situation d’échec face à ce type de formation.

- L’ouvrier de demain participera pleinement aux objectifs de l’entreprise

Les qualités essentielles à développer sont donc la motivation, l’intégration au groupe et la capacité à réfléchir sur son travail. Une telle conception peut aboutir à des formations plus inventives sur le plan pédagogique, utilisant pleinement les ressources éducatives du milieu de travail mais, très souvent, ces ressources internes à l’entreprise ne seront pas validées à l’extérieur. De plus, animées par un esprit-maison, elles menacent ceux qui, par leur position dans l’entreprise, ou par leur histoire personnelle, s’intègrent mal au collectif.

- L’ouvrier de demain sera détenteur d’un nouveau métier

Il faut alors utiliser et valoriser les savoirs de métier existants, indispensables pour la constitution de nouveaux métiers. Pour obtenir des produits de qualité, on ne peut en effet faire bon marché de l’expérience professionnelle. Une telle vision peut aboutir à créer de nouveaux diplômes de métier associant formation théorique et expérience pratique, en collaboration avec les Lycées d’Enseignement Professionnel (L.E.P.). Ceux qui n’ont aucune culture de métier apparaissent les plus fragiles face à cette préparation de l’avenir.

4 - Quelques conditions pour réussir la formation d’ouvriers non qualifiés en entreprise

L’expérience acquise par l’Agence pour le Développement de l’Education Permanente (A.D.E.P.) permet à celle-ci de dégager des conditions essentielles à la réussite des projets de formation destinés aux moins qualifiés.

- L’articulation, entre la formation et un projet professionnel.Elle conditionne la double motivation de l’entreprise et du salarié ; elle autorise aussi un enseignement directement tourné vers un objectif, mieux adapté, compte tenu de l’expérience scolaire des moins qualifiés.

- Une symbiose étroite entre les formateurs extérieurs et intérieurs à l’entreprise, tant pour la préparation des programmes que pour leur mise en œuvre. Cette condition est indispensable pour une bonne adaptation des programmes aux réalités de l’entreprise, pour l’avenir de la formation dans les situations de travail futures et pour qu’une dynamique d’entreprise s’instaure autour du projet de formation, bénéficiant éventuellement à l’ensemble du personnel. Il apparaît aussi important que les formateurs aient des compétences techniques élevées, y compris et peut-être surtout pour des formateurs d’O.S.

- La rupture avec le modèle scolaire. C’est souvent la première condition pour que les moins qualifiés ne se trouvent pas exclus de la formation. Elle suppose un renversement des modes d’apprentissage pratiqués dans les enseignements longs, renversement d’autant plus difficile que les formateurs sont en général peu ou prou influencés par ce moule. La rupture avec le modèle scolaire peut aussi signifier la mise en place, parallèlement à la formation, de structures de réflexion dans l’entreprise (cercles de qualité, groupes d’expressions) pour permettre aux ouvriers de recomposer progressivement leurs savoirs.

- Le respect du rythme individuel. Il favorise la confiance des salariés dans leur propre progression ; il permet aussi d’éviter la sélection par la capacité à suivre un rythme imposé. Des formules comme le rattachement aux diplômes par unités capitalisables présentent le double avantage de respecter ces rythmes personnels et de référer la formation à un diplôme, ce qui est souvent une source de motivation.

Des expériences encore trop rares montrent que la formation des moins qualifiés est possible, s’il existe dans l’entreprise une ferme volonté de la mener à bien, quitte à sortir des sentiers battus. Elles montrent qu’un tel projet n’est réalisable qu’en reconsidérant la gestion du personnel à partir de ce nouvel impératif pour multiplier dans l’entreprise les situations éducatives et les sources de motivation. Le plus difficile semble être d’éviter toutes les formes d’exclusion inhérentes à chaque projet de formation, et d’abord la première, celle qui écarte le personnel non stable de l’entreprise.

Les suites du rapport

Dans un discours prononcé à Lille qui clôturait son tour de France, le ministre Delebarre lançait un appel aux partenaires sociaux pour développer la formation professionnelle. Dans cet appel, le ministre reprenait des idées importantes du rapport rédigé par le Commissariat Général au Plan. En particulier, il affirmait le rôle des entreprises comme le lieu de formation, proposait des conventions entre petites et moyennes entreprises pour une mise en commun des moyens pédagogiques, évoquait des possibilités pour les P.M.I. d’aider au remplacement des salariés en formation, manifestait un vif intérêt pour les expériences de diplômes par unités capitalisables. Il se déclarait prêt à signer une convention avec une branche qui entreprenait un effort particulier de formation à destination des ouvriers spécialisés. Il proposait aussi d’étendre la compétence des Permanences d’Accueil, d’Information et d’Orientation (P.A.I.O.) aux jeunes de 18 à 25 ans.

Par ailleurs, certaines idées du rapport ont eu un écho au niveau local. Ainsi, la mise en place d’observatoires régionaux pour suivre l’évolution des qualifications et le devenir des O.S est étudiée très sérieusement, par exemple à Lille et à Rennes.

Marie-Christine Bureau

Chercheur au Centre d’Etudes de l’Emploi

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