Une évaluation … à évaluer

Claudine Delsart

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Claudine Delsart, « Une évaluation … à évaluer », Revue Quart Monde [En ligne], 122 | 1987/1, mis en ligne le 05 août 1987, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4249

Est-ce en raison des récentes prises de conscience des ravages provoqués par l’échec scolaire ? Depuis quelques mois, on évalue beaucoup au sein de l’Education Nationale. C’est ainsi que les Groupements d’Aide Psycho-Pédagogique et les Zones d’Education Prioritaires font déjà l’objet d’une évaluation. Dans le contexte de la mise en œuvre des nouveaux programmes et instructions de l’école et parce que la classe de CE2 est considérée comme une classe charnière dans la constitution des savoirs et compétences des enfants, on souhaite pouvoir faire le point sur leurs acquis.

D’ordinaire, les enfants le plus pauvres sont très vite repérés et orientés vers l’Enseignement spécial. Comment aujourd’hui, la mise en place d’un dispositif d’évaluation pourrait-il changer cet état d’esprit et favoriser ces enfants ?

Contrairement à ce que la rumeur voudrait laisser croire, il n’est nullement question d’un examen qui pourrait donner lieu à une notation ou un classement. Les objectifs mentionnés dans la note de service (86-262) du 16 septembre 1986 précisent bien qu’il s’agit :

- de faire le point sur les acquisitions des enfants,

- de réajuster sa pratique pédagogique en fonction des résultats obtenus,

- d’adapter aux élèves les enseignements dispensés.

« Le projet n’est donc pas d’instituer un examen. Il est de recueillir les informations qui permettent d’organiser les apprentissages. » De fait, une évaluation ne peut être réellement utile que si le constat auquel elle conduit est courageusement analysé, la démarche pédagogique soigneusement repensée. Dans cette perspective (toujours dans les textes), une formation des enseignants et leur entraînement à cette démarche d’évaluation sont prévus. Un travail en équipe des maîtres est également suggéré.

Il serait donc question d’évaluer pour construire une pratique pédagogique plus adaptée aux enfants qui rencontrent des difficultés pour apprendre. L’évaluation serait donc pensée comme outil pour faire progresser les élèves. Evaluer pour aider : les acteurs concernés étant aussi bien les élèves que les maîtres.

Mais au fait, les enfants de la grande pauvreté vont-ils mériter cette évaluation ? Si une évaluation constructive est celle qui mobilise les ressources et la conscience de tous, en conduisant chaque élève à sa propre auto-évaluation, sommes-nous certains que ce dispositif va conduire les enseignants à mieux comprendre les plus pauvres et à découvrir leur désir d’apprendre ? Susciter un réajustement des pratiques pédagogiques ne doit-il pas s’articuler avec une compréhension  approfondie des différents problèmes vécus par les enfants ?

Il en est de même vis-à-vis des parents d’élèves. De tels moments d’évaluation devraient aussi être l’occasion pour leurs associations de s’interroger sur le soutien réel qu’elles accordent ou non aux parents qui ont le plus de mal à entrer en lien avec l’école.

En fait il semble que la plupart des enseignants vivent la mise en place de cette évaluation comme un devoir imposé et non comme une responsabilité. Une fois de plus la réalité révèle une immense distorsion entre la théorie et la pratique, entre les belles idées qu’on demande aux enseignants et le peu de moyens qu’on leur donne pour les trouver.

Certes, il est un peu tôt pour évaluer ce dispositif ; mais qu’il nous soit permis de redire simplement que nous ne mesurerons l’efficacité de cette nécessaire évaluation des acquis, qu’au progrès réel qu’elle aura permis pour les enfants les plus pauvres.

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