Mais pourquoi donc refuser les expulsions ?

Cécile Vorms

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Cécile Vorms, « Mais pourquoi donc refuser les expulsions ? », Revue Quart Monde [En ligne], 122 | 1987/1, mis en ligne le 05 août 1987, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4254

Depuis le 1er décembre, à défaut de raser gratis, on n’expulse plus jusqu'en mars. Dans les mois qui auront précédé, on aura examiné des fournées de dossiers d’expulsions : 102 en un après-midi dans un département de le Région parisienne.

Il est dit que le logement est un bien qui a sa valeur, qu’on ne peut quand même pas revendiquer le logement gratuit ! Payer son loyer ferait partie de cette culture de l’habitat à laquelle les familles, même les plus pauvres, veulent accéder ! Si elles ne jouent pas le jeu ou se comportent mal, il serait anormal de les garder ! Il n’y aurait alors pas d’autres moyens que de les faire partir ! Tout cela paraît juste et des parlementaires interpellent le ministre au nom des petits propriétaires lésés… même si 84 % des logements locatifs en France appartiennent à des propriétaires institutionnels ou privés qui possèdent plusieurs logements.

Mais que faire, quand, ainsi que cela est arrivé il y a très peu de temps, on trouve ses voisins de palier, une famille de huit enfants, qui ont joué avec les vôtres, assis sur quelques cartons bâclés  en toute hâte, dans le hall d’entrée ? D’un coup toutes les idées que l’on pouvait avoir ne tiennent plus debout. Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment est-ce possible ? N’y a t-il pas de solutions ? Que vont-ils devenir ?

Bien sûr, on sait ce qui s’est passé ! Un modeste salaire, un petit peu de chômage, un enfant malade, un hiver rigoureux, que sais-je encore, et le très fragile équilibre s’effondre : « mauvaise gestion des ressources » sera-t-il écrit sur les dossiers d’expulsion. Et la ronde des huissiers commence. Les plus pauvres seront partis avant l’arrivée de la police. On parle de « solution amiable » ou de « départ de leur propre gré ». En fait, c’est la pression de l’angoisse, de la honte, de la peur du placement des enfants qui les pousse à partir. Et l’errance commence avec sa cohorte d’abris de fortune, à la journée, à la semaine ou au mois.

La famille de huit enfants a dormi chez ses voisins la première nuit, puis s’est réfugiée chez l’ancienne nourrice de la maman ; entassée à dix, jamais délivrée de la crainte que l’on ne vienne prendre les enfants. Trois semaines après, elle a disparu. Monsieur a perdu son travail et les enfants ont interrompu leur scolarité. Où peuvent-ils s’abriter pour rester ensemble ? Qu’y aura t-il au bout du tunnel ?

Tant qu’il n'y aura pas en France de véritable mission publique pour le droit à l’habitat, tant que pour les plus pauvres, l’alternative sera la rue, l’entassement chez d’autres, les abris de fortune ou l’éclatement de la famille et le placement des enfants, nous n’aurons pas le chois. Nous ne pourrons que refuser ce gâchis inhumain aux conséquences irrattrapables, nous opposer par tous les moyens aux expulsions des familles démunies et mobiliser tous ceux que nous pourrons pour inventer des solutions de relogement qui leur correspondent.

Mais il ne faut pas rêver. Aucun Etat ne défendra les plus pauvres sans un support des citoyens qui agissent pour que la dignité soit reconnue à tous les hommes. Qui a dit que nous étions des utopistes.

Cécile Vorms

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