Vint l’interpellation directe du père Joseph Wresinski qui, avec son cœur immense et son langage très direct, me demanda ce que je faisais à la Commission des Communautés européennes pour lutter contre la pauvreté. Que faire, en effet, quand on se sent pauvre soi-même, mais d’une toute autre façon, pour essayer de sensibiliser les autres collègues à ce problème ? C’est, tout naturellement, à quelques autres fonctionnaires européens, du groupe de « La Vie Nouvelle » auquel j’appartenais, que j’en ai parlé en premier lieu. L’accueil fut positif et c’est avec M. Roger Leblanc, dans son bureau du quartier populaire des Marolles, que nous avons mené à quelques-uns une réflexion initiale. Le premier noyau de sympathisants du Quart Monde était créé à la Commission.
Il fallait maintenant trouver les chemins pratiques. L’idée de faire une première étude sur les problèmes de la pauvreté en Europe a paru être un point d’ancrage possible. Il fallait la vendre au niveau politique. C’est un membre du cabinet de M. Albert Coppé, membre de la Commission chargé à l’époque des affaires sociales et de l’information, M. Pierre Defraigne, qui nous a ouvert la porte. Il fallait cependant que nous présentions cette démarche dans le cadre d’une organisation européenne. À cette époque, seuls le mouvement français et le mouvement belge avaient une existence juridique. Or, pour présenter un dossier à la Communauté européenne, il était nécessaire d’avoir une structure juridique européenne. C’est ainsi fut créée la FÉDAD ( Fédération Européenne d’Aide à Toute Détresse)
Cela fait, M. le ministre Coppé recevait, dans la salle de la Commission, les membres de la FÉDAD accompagnés des journalistes. C’était l’entrée du Quart Monde à la Commission et le lancement de l’étude envisagée.
C’est ainsi Sir Hillary, membre de la Commission et actuellement président de la République d’Irlande, qui s’est laissé convaincre et a fait démarrer, à travers la direction générale des affaires sociales dont il avait la responsabilité, les premiers projets pilotes au développement desquels M. Léo Crijns a apporté tant de lui-même. Il fut suivi par le commissaire Ivor Richard qui a reçu plusieurs fois les représentants du Quart Monde et continué à appuyer le développement d’actions concrètes contre la pauvreté.
Malgré tout cela, les progrès dans ce domaine restent très lents et l’action à la Communauté manque de continuité malgré une sensibilisation apparemment de plus en plus grande aux problèmes de la pauvreté. Cela peut se rattacher sans aucun doute aux conséquences de la crise économique qui s’est abattue sur l’Europe et sur le monde depuis plusieurs années et qui a fait naître ce que d’aucuns appellent la « nouvelle pauvreté. »
Les problèmes du Quart Monde sont cependant différents et nécessitent, sans aucun doute, dans une institution comme la Communauté européenne, une approche globale de leur solution. En effet, l’action à mener recouvre non pas uniquement la politique sociale à laquelle on assimile instinctivement les problèmes du Quart Monde, mais l’ensemble des politiques communautaires.
Il serait souhaitable, par conséquent, que la Communauté approche le phénomène de la pauvreté non pas par tel ou tel de ses aspects, mais dans son ensemble. Il faudrait, pour ce faire, qu’elle définisse un cadre politique d’ensemble de lutte contre la pauvreté et des moyens à mettre en œuvre. En même temps, il serait nécessaire qu’elle entre en dialogue permanent avec ceux qui, sur le terrain, vivent les réalités du Quart Monde, en prenant les dispositions appropriées. C’est dans ce sens qu’il faut continuer l’action en essayant de sensibiliser et de rassembler le maximum de bonnes volontés tant au niveau politique que technique à l’intérieur de la Commission. Il y a, dans cette institution, un capital énorme d’engagement, de bonne volonté et de savoir qui, je n’en doute pas, se mettra en marche pour qu’il n’y ait plus aucun laissé pour compte parmi les citoyens européens.
Il faut donner une voix aux plus pauvres dans le concert européen.