Changement climatique et migrations

Teofilo Altamirano

Traduction de Caroline Conus

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Teofilo Altamirano, « Changement climatique et migrations », Revue Quart Monde [En ligne], 212 | 2009/4, mis en ligne le 01 octobre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4394

Les grands pays industrialisés ou en voie d’industrialisation rapide sont les responsables principaux du réchauffement de la planète et de l’altération du climat, générant des migrations de populations nationales ou internationales, dans des pays peu ou pas industrialisés. Ces phénomènes viennent amplifier les mouvements migratoires contraints, résultant de multiples autres causes, ayant lieu, en général, dans les pays pauvres, les plus vulnérables aux changements climatiques.

Des faits historiques autant que contemporains prouvent l'étroite relation qui existe entre le changement climatique que subit la terre et les mouvements de population, ou les migrations internes et internationales. Ces mouvements ne sont pas volontaires, mais induits directement par les effets produits par le réchauffement global. Généralement, ces phénomènes ont lieu dans les pays les plus pauvres, qui, le plus souvent, ne sont pas ceux qui contribuent à l'altération du climat, car ils ne sont pas industrialisés. Les États-Unis émettent la plus grande quantité de dioxyde de carbone par personne dans le monde. Ce pays est responsable de 25% de ces émissions, bien qu'il ne se compose que de 5% de la population globale. Il y a un mois, la Chine, suite à son énorme croissance industrielle, a dépassé les États-Unis en tant que pays émetteur de la plus grande quantité de dioxyde de carbone. Ces faits confirment que le développement industriel qui ne tient pas compte de l'écologie est incompatible avec la préservation de l'environnement.

Les migrations internes et internationales sont de deux types : les premières sont relativement volontaires, alors que les autres sont contraintes, ou non volontaires. Ces migrations non volontaires sont les conséquences de conflits internes, ethniques, religieux, de coups d'états militaires, de la pauvreté et des changements climatiques. Ces derniers produisent des processus de désertification, des inondations, des sécheresses, des tornades et des ouragans ; maux auxquels il faut rajouter les tremblements de terre, qui non seulement font des millions de morts, mais également de nombreuses personnes déplacées en quête d'un refuge, ainsi que des séparations et des divisions familiales. S'il est vrai que l'on ne peut pas éviter cette dernière catastrophe, les premières citées peuvent être enrayées ou réduites, si l'on contribue non seulement à ce que les causes des migrations forcées soient connues et diffusées, mais si l'on s'efforce également à ce qu'elles soient prises en charge par des politiques internes et des coopérations internationales.

Un rapport datant de 2005, publié par l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), confirme que cent quatre-vingt quinze millions de personnes dans le monde ne vivent plus dans le pays dans lequel elles sont nées. Chaque année, environ quatre millions de personnes migrent dans d'autres pays. Ainsi, à la fin de l'année 2008, deux cent et sept millions de personnes vivront dans un autre pays que celui dans lequel elles sont nées. Bien que ce chiffre ne représente qu'un peu plus de 3% de la population globale, il ne fera que grandir dans la mesure où les facteurs qui le produisent se maintiennent, voire s'accentuent, comme on le constate d'année en année. Selon l'OIM, environ dix-sept millions de personnes sont réfugiées parce qu'elles ont quitté leurs pays pour des raisons involontaires en conséquence des facteurs indiqués ci-dessus. Ce chiffre englobe les personnes qui ont dû traverser les frontières de leur pays. À ce chiffre doivent être ajoutés les déplacés internes, qui, toujours selon l'OIM, atteignent environ vingt millions de personnes. Les 70% de ces réfugiés et déplacés internes sont en Afrique, le reste se divise entre l'Amérique latine et la majorité des pays pauvres du sous-continent asiatique.

Un rapport publié par la Communauté européenne sur l'influence des changements climatiques sur la population globale conclut qu'entre 2007 et 2050, environ un milliard de personnes se déplaceront à l'intérieur et à l'extérieur de leurs frontières suite aux facteurs déjà mentionnés. À cette population s'ajouteront encore les migrants économiques et volontaires. Les plus grandes causes de ces déplacements seront : la désertification pour des raisons de manque d'eau et la croissance démographique, en particulier en Afrique. Les taux d'accroissement de population de ce continent sont déjà très élevés, car il se trouve dans la troisième étape de la transition démographique, c'est-à-dire qu'il connaît une natalité de plus en plus grande et une diminution de la mortalité. Le réchauffement global facilitera l'apparition de pluies, d'ouragans et de cyclones. Les pays qui se trouveront au niveau de la mer subiront les impacts de ces phénomènes, comme cela est déjà arrivé au Bangladesh, en Inde et dernièrement au Myanmar. Les pays riches seront touchés aussi, comme on l'a vu aux États-Unis avec l'ouragan Katrina. D'autres raisons de déplacements globaux sont les immenses projets de développement, qui pour leur réalisation, demandent de déplacer des populations entières, comme pour le barrage des Trois-Gorges en Chine, où il a fallu déloger par contrainte trois millions de personnes. De manière moins spectaculaire, des projets miniers, d'hydrocarbures et de développement industriel dans les grandes villes provoquent également d'importants transferts de population…

Les villes actuelles, en général, sont surpeuplées à cause de l'accroissement de population et des migrations internes et internationales. Les 50% de la population globale vit dans les villes, alors qu'il y a 50 ans, seuls 35% de la population vivait dans les villes. Ces dernières années, nous sommes entrés dans un processus d'urbanisation accélérée. Les pays asiatiques, comme l'Inde et la Chine, qui étaient fondamentalement des pays ruraux, sont actuellement contraints de trouver de la main d'œuvre pour les industries, la construction, les services personnels et le secteur tertiaire de l'économie urbaine et expérimentent donc ces processus d'urbanisation accélérée. Durant les vingt-cinq années de développement capitaliste de la Chine, vingt millions de personnes ont quitté les zones rurales pour les grandes villes industrielles : c'est le plus grand mouvement de population jamais vécu dans l'histoire de l'humanité. À ce processus d'urbanisation global, il faut ajouter les déplacés internes involontaires qui se réfugient dans les villes. Cette augmentation de la population urbaine induit une plus grande demande en eau, ressource de plus en plus rare, à cause du réchauffement global qui affecte les réserves entreposées dans les glaciers. C'est le cas au Pérou, l'un des trois pays au monde qui subira le plus durement les effets du réchauffement global.

En conclusion, toutes ces raisons et bien d'autres que nous ne pouvons développer dans cet article, nous confirment l'étroite relation qui existe entre le changement climatique et les mouvements migratoires contraints ayant lieu, en général, dans les pays pauvres, les plus vulnérables à ces phénomènes. Les pays de l'hémisphère nord seront mieux protégés contre le changement climatique, ils seront même favorisés par le réchauffement global qui permettra un développement de l'agriculture et rendra le climat plus doux ; mais ils devront recevoir des millions de personnes de l'hémisphère sud et des pays tropicaux qui se verront obligées de chercher protection et sécurité, comme ils sont déjà en train de le faire.

Teofilo Altamirano

Teofilo Altamirano est anthropologue, docteur de l'université de Durham (Angleterre). Professeur titulaire de l'Université catholique pontificale du Pérou (Pontificia Universidad Católica del Perú), il est l’auteur d'une dizaine de livres et de nombreux articles sur des thèmes en lien avec la pauvreté, l'inégalité, les migrations internes et internationales.

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