De la naissance du logement social au droit à l’habitat

Jean Lemoine

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Jean Lemoine, « De la naissance du logement social au droit à l’habitat », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1989), mis en ligne le 07 avril 2010, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4451

Le 5 septembre 1987, Monsieur Jean Lemoine nous a quittés après une vie consacrée jusqu'à ses dernières secondes à l'idéal du logement social et au souci de ceux qui en sont encore exclus. Son engagement au Mouvement ATD Quart monde depuis une vingtaine d'années l'associait de tout cœur aux travaux de ce colloque, tandis que sa santé l'en tenait éloigné. Mais sa voix s'imposa ici. Elle nous permettra d'inscrire notre travail dans une histoire.

En effet, la plaquette publiée fin 1985 sur « le maître d’ouvrage du logement social » met en lumière un fil conducteur passionnant : la reconstitution de l’évolution des idées, donc des législations, en matière d’habitat vu peu à peu comme une nécessité vitale et un droit fondamental ; la prise de conscience d’une responsabilité collective à l’égard de ceux qui ne peuvent y accéder par leurs propres moyens. Avec l’accord de Monsieur Lemoine en avril, et l’aimable autorisation de Madame Jean Lemoine que nous remercions, ainsi que l’Union des HLM, nous extrayons donc de cet ouvrage cette trame historique dans laquelle lui-même se situait et nous inscrit à notre tour.

Index de mots-clés

Logement, Habitat, Sans-Abri

Naissance du logement social

Un logement social… c’est un logement adapté aux ressources, aux goûts et aux mœurs de familles qui ne trouvent pas à se loger décemment dans les conditions normales du marché. Construire un logement social nécessite donc l’apport d’une aide financière extérieure et gratuite, par des personnes privées ou par la puissance publique… Le maître d’ouvrage doit posséder deux attributs essentiels : la compétence, laquelle est indispensable quoi qu’on fasse, et le désintéressement…

Ce sont là des idées d’aujourd’hui. Elles ont mis plus d’un demi-siècle à se préciser. La notion de logement social est née la première. Celle de maître d’ouvrage privé dont l’activité principale est de construire des logements sociaux est venue ensuite, précédant la création de maîtres d’ouvrages publics.

La Seconde République

« Aujourd’hui l’homme du peuple souffle avec le sentiment double et contradictoire de sa misère résultant du fait, et de sa grandeur résultant du droit » (Victor Hugo)

Il s’en est fallu de peu pour l’acte de naissance du logement social ait été l’œuvre de la IIème république. L’article premier de la loi du 13 avril 1850 relative à l’assainissement des logements insalubres déclare que « sont réputés insalubres les logements qui se trouvent dans des conditions de nature à porter atteinte à la vie ou à la santé de leurs habitants » et l'article 5 donne au conseil municipal le droit de déterminer « les travaux d’assainissement et les lieux où ils devront être entièrement ou partiellement exécutés ainsi que les délais de leur achèvement. »

L’Assemblée avait rejeté une disposition complémentaire de la proposition déposée par A. de Melun, et qui prévoyait l’institution d’une aide communale « pour encourager les constructeurs de petits logements présentant les conditions d’hygiène et de salubrité nécessaires. » L’idée première du logement social en France est dans ce texte refusé par l’Assemblée législative...

C’est très lentement que l’élaborera l’idée que l’Etat ou des collectivités locales pourraient plus ou moins participer au financement de logements sociaux, en exigeant seulement que les maîtres d’ouvrage privés garantissent à leurs constructions un minimum de salubrité et à leurs locataires un maximum de loyer... Au milieu du XIXème siècle, la préférence des philanthropes et industriels qui s’intéressaient au problème du logement populaire allait à la maison individuelle dont l’ouvrier devenait propriétaire, à cause, à la fois du caractère éducatif de l’accession à la propriété et de l’antidote qu’elle constituait à l’égard des idées révolutionnaires…

Le Second Empire

Le Second Empire est une période extraordinaire pour la gestation du logement populaire. S’y rencontrent des sociologues théoriciens d’une nouvelle société, issus du Fouriérisme, des industriels sensibles à la détresse des classes que l’on dit laborieuses et que l’on dit aussi dangereuses, des catholiques qui voudraient bien que la lutte contre la misère, et l’immoralité qui y est liée, se fasse dans le respect de l’ordre social, des hygiénistes préoccupés par l’état sanitaire de la classe ouvrière et les risques de contagion qui s’ensuivaient. Animées par les intentions les plus diverses, informées par l’enquête de Villermé de 1840 et par l’ouvrage de Friedrich Engels « La situation de la classe laborieuse en Angleterre », directement alertées par les épidémies de choléra de 1832, 1848, 1851 et 1865, les classes dirigeantes et pensantes de la Nation… se sont intéressées au logement des ouvriers qui affluaient en masse des campagnes pour venir parquer autour des grands pôles industriels. On retrouve, aujourd’hui encore, parmi tous ceux qui en France, œuvrent pour le logement populaire, des lignes de force qui s’apparentent à celles d’alors.

Napoléon III a eu sa part dans cette prise de conscience. Mais il n’empêchera pas son préfet Haussmann d’être à la fois responsable d’une aggravation du logement des ouvriers parisiens et d’une hausse considérable des loyers, dont on se satisfait, au nom du principe sacré de la loi du marché, après avoir fabriqué la pénurie. Le résultat de ces excès fut la mise en cause du droit de propriété immobilière, en tant que propriété en vue de la location ou construction « d’immeubles de rapport. »

Cette mise en cause avait été préparée par Proudhon (1851) cependant que d’autres, plus modérés, insistaient sur l’idée des devoirs qu’impose la propriété. Victor Bellet, avocat du Barreau de Paris, écrivait en 1857 : « Propriété oblige, comme autrefois noblesse. Ne laissez pas la notion de devoir disparaître et se perdre dans les tendances mercantiles de notre époque. » On peut voir dans cette notion, l’amorce de l’état d’esprit des sociétés anonymes d’HLM, organismes de droit privé, propriétaires de logements occupés par des familles aux ressources modiques et, cependant, animées par un idéal entièrement désintéressé, qui est un véritable esprit de service public.

Dans le foisonnement d’idées qui agita la société du Second Empire, une place à part doit être donnée à Victor Calland, en 1857-1858, dont l’idée va jusqu’à une association d’ouvriers ou de rentiers copropriétaires de leurs logements qu’ils administrent collégialement…

La Troisième République

Durant les premières années de IIIème  République, les conditions de logement des ouvriers n’évoluèrent pratiquement pas, ni à Paris, ni en province. L’action des rares sociétés philanthropiques construisant des immeubles de petites dimensions n’apportait pratiquement rien par rapport à l’immensité des besoins. Néanmoins, la réflexion relative à ce que devait être le logement ouvrier était extrêmement riche, notamment au sein de la Société Française des Habitations à Bon Marché, association créée en 1890 ; on trouve, dans son conseil d’administration, les noms des fondateurs du Mouvement HLM : Jules Siegfried, Georges Picot, Emile Cheysson. Les maîtres d’ouvrage étaient des industriels…

Les hygiénistes et les médecins, confortés dans leurs convictions par les travaux de Pasteur, continuaient, de leur côté, à donner l’alarme. En 1882, une épidémie de typhoïde prend, à Paris, le relais du choléra. En 1894, le Docteur Bertillon montre que le surpeuplement des logements est en relation directe avec l’accroissement de la mortalité. Puis c’est la tuberculose qui passe au premier plan des préoccupations de tous ceux qui luttent pour l’amélioration du logement ouvrier…

Parallèlement, la contestation du bien-fondé de la propriété , même individuelle, mais, avant tout celle d’immeubles de rapport se fait plus âpre, notamment avec Jules Guesde : pour le marxisme naissant, la solution du problème doit être recherchée…dans l’expropriation collective et, en attendant, dans la réduction autoritaire des loyers

En 1894, le « Congrès national scientifique d'hygiène ouvrière » demandait au gouvernement de « favoriser la construction d’habitations  salubres et à bon marché. » Dès 1880, un « républicain communaliste », M. Manier, avait lancé l’idée de « l’expropriation pour cause d’utilité publique, de tous les immeubles renfermés dans l’enceinte de la ville de Paris. Les propriétaires actuels seront indemnisés »...

A cette même époque naît l’idée, qui allait prendre corps trente ans plus tard et bouleverser l’histoire du logement populaire, d’un service public des habitations ouvrières, à la charge des communes, notamment par l’utilisation de terrains communaux.

En 1884, la liberté syndicale est instituée. Les syndicalistes ne tarderont pas à prendre leur place dans la réflexion quant aux moyens propres à construire des logements ouvriers…

En 1891, le pape Léon XIII déclare, dans l’encyclique « Rerum Novarum » : « L’équité demande donc que l’Etat se préoccupe des travailleurs et fasse en sorte que, de tous les biens qu’ils procurent à la société, il leur en revienne une part convenable, comme l’habitation et le vêtement et qu’ils puissent vivre au prix de moins de peines de et privations. » Cet appel à l’Etat formulé par le souverain pontife, ne laisse pas d’étonner à une époque où les plus généreux des novateurs appartenant à la bourgeoisie libérale considéraient l’intervention de l’Etat comme une abomination absolue.

Une convergence d’idées

... On voit alors se constituer une convergence d’idées venant de tous les horizons de la pensée et de la politique… se proposant toutes d’assurer un logement aux classes sociales les plus déshéritées, dans des conditions compatibles avec la dignité humaine.

L’ensemble de ces efforts devait aboutir à la loi du 30 novembre 1894, dite « loi Siegfried »…: les sociétés construisant des maisons salubres à bas loyer et s’engageant à limiter les dividendes bénéficiaient de diverses exonérations fiscales… Cette loi fut remplacée par la loi du 12 avril 1906 (loi Strauss), qui accomplit le premier pas décisif : l’intervention de la puissance publique (collectivités locales) se fait plus efficace et plus directe : prêts , souscription d'obligations, vente de terrains pour la moitié de leur valeur…

C’est à l’occasion de la loi du 10 avril 1908 (loi Ribot) concernant l’occasion à la petite propriété, surtout rurale, que fut accompli un second pas décisif : l'État lui-même prêtait aux Sociétés de Crédit Immobilier (au taux de 2,5 p 100)

Cependant, l’initiative privée… est « demeurée précaire et insuffisante »… Le rapport Bonnevay, élément primordial des travaux du Parlement ayant abouti à la loi du 23 décembre 1912, motive la nécessité de changer radicalement la politique par l‘analyse de l’ampleur des besoins, examinés suivant trois thèmes : insalubrité des logements… surpeuplement… et hausse des loyers.

Le rapport concluait : « Il ne paraît pas douteux dans ces conditions que la législation en vigueur est insuffisante. Soit qu’elle n’accorde pas à l’initiative privée créatrice de tant d’œuvres généreuses, des avantages ou des encouragements suffisants, soit qu’elle ait trop exclusivement subordonné les efforts collectifs à l’intermédiaire privé, la législation de 1906 n’a pas permis de réaliser toutes les constructions saines et économiques qui étaient indispensables. »

Le législateur est donc parti à la recherche d’un maître d’ouvrage qui soit plus efficace…: il a accepté que les communes puissent construire des habitations à bon marché, à la quadruple condition qu’elles y soient autorisées par décret en conseil d'État, qu’elles ne les gèrent pas, qu’il s’agisse d’habitations collectives, et que celles-ci soient principalement affectées aux familles nombreuses. « Il nous est apparu que, dès à présent , nous inspirant soit des créations dues aux législations italienne et suisse, soit de la législation française sur les établissements publics de bienfaisance, il nous serait possible de prévoir l’institution d’un organisme public des habitations à bon marché, autonome et indépendant, perpétuel et désintéressé, qui remplirait l’office de constructeur et de gérant que beaucoup répugnent à confier à des corps politiques. »

La construction d’habitations à bon marché par des établissements publics faisait du logement populaire un service public. Ce fut le troisième pas décisif. Il convient de saluer cette entorse aux principes, commise par des législateurs qui se voulaient libéraux, mais qui étaient ainsi réalistes.

Ainsi donc, en 1912, le système est en place que l’on a appelé « Le Mouvement HLM » . De 1850 à 1912, il s’était lentement élaboré, sous les poussées à la fois contradictoires et convergentes, des forces vives de la Nation. Tel quel, il est unique au monde. Il a subi depuis 1912, de nombreuses modifications mais qui demeurent de détail par rapport à l’architecture  de l’édifice achevé avec la loi du 23 décembre 1912…

Le logement social entre les deux guerres

Ce n’est qu’au lendemain de la Première guerre mondiale que les organismes d’HBM ont véritablement fonctionné… Le décor est planté, les acteurs sont en place, tout est prêt pour l’extraordinaire essor du logement social, qui a été vécu, entre les deux guerres et depuis 1945, comme une sorte d’épopée par tous ceux qui y ont participé…

Quatre catégories d’organismes d’HLM, appelés jusqu’en 1950 HBM, participent à cet effort de construction.

1. Les offices publics d’HLM sont des établissements soumis au droit et aux règles de gestion publics… Ils peuvent exproprier des terrains pour cause d’utilité publique… Leur mission essentielle est de construire en vue de la location...

2. Les sociétés anonymes d’HLM sont des sociétés de droits privé… Leurs ressources sont les mêmes que celles des offices, mais leur gestion est largement décentralisée. Cependant, la distribution de leurs dividendes est limitée.

3. Les sociétés de crédit immobilier sont également régies par le droit privé. Elles sont classées, depuis 1984, parmi les établissements de crédit. Leurs activités immobilières sont multiples. Elles vont du simple prêt à l’accession à la propriété, jusqu’à la réalisation de programmes de construction

4. Les sociétés coopératives de production d’HLM sont maîtres d’ouvrage pour la construction de maisons individuelles vendues en l’état futur d’achèvement ou encore réalisent pour le compte de personnes physiques des opérations d’acquisition- amélioration de logements anciens.

Entre les deux guerres mondiales, les organismes d’HBM pont construit environ 345 000 logements ou maisons à caractère social dont la moitié à peu près est devenue la propriété de leurs occupants

L’Union Nationale des HLM qui regroupe depuis 1925 les quatre familles d’organisme symbolise l’importance des liens qui les unissent, même si leurs options et orientations sont très diverses, dans une mission commune.

Après les deux guerres

Après la seconde guerre mondiale, les besoins de logements sociaux sont encore plus pressants que précédemment. La croissance économique vide les campagnes au profit des villes et attire une très forte immigration étrangère, cependant que l’on enregistre une progression exceptionnelle des naissances.

L'État multiple les actions en faveur du logement. L’allocation logement instaurée en 1948 constitue une première forme d’aide personnelle au logement. Puis une loi de 1953 rend obligatoire la participation des employeurs à l’effort de construction, à raison de 1 % des salaires payés par les entreprises occupant au moins 10 salariés. Cette aide complémentaire d’investissement sert à financer de nombreux programmes des Offices et Sociétés d’HLM et permet d’accorder des prêts à l’accession à la propriété.

En 1953 également sont crées les Sociétés d’Economie Mixte à mi-chemin entre les Offices Publics et les Sociétés Anonymes d’HLM. Les collectivités locales détiennent la majorité de leur capital ; Elles ont pour vocation la construction et l’entretien du logement.

D’autre part, l'État a facilité le financement de l’acquisition de logement grâce à l’institution de nombreuses formes de crédit à l’habitat ou à des exonérations.

Pendant cette période, les organismes d’HLM développent et élargissent leurs activités. Ils prennent part aux opérations d’aménagement des zones d’habitat. D’autre part, ils s’adressent à de nouvelles catégories sociales. En effet, la hausse du prix des terrains et des logements dans les grandes villes rend nécessaire l’intervention des organismes d’HLM en faveur des classes moyennes (immeubles à Loyer Moyen…) De même les travailleurs immigrés sont logés, dans leur majorité, par des organismes d’HLM et une Société d’Economie Mixte d'État : la SONACOTRA.

- Vers les exclus

Les organismes d’HLM avaient été créés pour loger par priorité les familles de travailleurs dont les ressources étaient à peu près stables. Se trouvaient donc exclues les familles ne disposant que de ressources de hasard. Loger de telles familles aurait abouti à faire payer par les autres locataires des organismes d’HLM le surcoût social résultant du logement de familles considérées comme marginales. Il y a là un problème très grave que les organismes d’HLM doivent résoudre.

Les rares essais faits dans le passé par les organismes d’HLM sont infimes comparés à l’ampleur du mal. Mais ils ne pourront agir qu’avec l’aide financière des collectivités territoriales : il est indispensable d’élargir le champ de la solidarité et de ne pas le limiter au seul patrimoine d’un organisme d’HLM. Ce ne ont pas seulement des familles, mais aussi des individus qui sont en cause. Et les handicaps qu’ils subissent ne tiennent pas seulement à leur insolvabilité mais à leur niveau culturel qui est parfois incompatible avec la vie dans des immeubles de logements collectifs. Le problème est national : il ne s’agit pas de rechercher qui est responsable…ou si le moment est bien ou mal choisi pour agir ; la question doit être posée exclusivement à partir de la notion de droits de l’homme et à partir du droit qui contient tous les autres : le droit à la dignité , en donnant priorité aux familles.

Enfin, les organismes d’HLM se trouvent de plus en plus confrontés à la conservation et à la gestion de leur patrimoine immobilier et de celui des collectivités pour le compte desquelles ils travaillent. Par exemple ils ne sont plus seulement maîtres d’ouvrage, mais aussi acquéreurs de logements anciens privés pour les réhabiliter. Tout les incite également à rechercher une gestion aussi économique que possible qui aboutit à une diminution des loyers et à l’amélioration du service rendu.

La réforme du financement de 1977

La réforme du logement introduite par M. Barre en 1977 visait à diminuer progressivement les aides publiques à la construction de logements sociaux pour les reporter sur les personnes… En solvabilisant la demande par ces aides, on pensait établir un marché unique du logement et supprimer les autres formes d’intervention de l'État. Cette réforme s’est heurtée à de fortes contraintes économiques. En période de chômage, de stagnation du pouvoir d’achat, et d’inflation, il est apparu que le coût de l’Aide à la Personne devenait vite insupportable pour le budget de l'État, sans supprimer la ségrégation ni offrir aux plus démunis les moyens d’un droit au logement.

Le système de 1977 ne paraît donc pas viable et il faudra bien en inventer un autre, lequel comportera nécessairement le maintien d’une aide à la pierre accordée à des maîtres d’ouvrage à la fois compétents et désintéressés…

La réforme de 1977 aura néanmoins été bénéfique aux organismes d’HLM : ils ont brusquement eu conscience qu’ils allaient cesser de naviguer dans des eaux protégées pour se trouver projetés dans le grand large… Ils ont mieux compris que la qualité de leur action sociale était liée à la qualité de leur situation financière et que leurs erreurs de gestion pouvaient même avoir pour effet de compromettre leur existence.

La mission des organismes d’HLM

La raison d’être des maîtres d’ouvrages de logements sociaux n’est évidemment pas d’exercer un monopole sur le logement social, ni même de bénéficier d’aides publiques à la construction… Elle réside dans la volonté de leurs dirigeants de se mettre au service des laissés-pour-compte de l’économie du marché dans le domaine du logement, de gérer et utiliser dans le meilleur intérêt des usagers leur immense patrimoine immobilier, de renforcer leurs relations avec les collectivités locales pour lesquelles ils constituent d’importants prestataires de service, tout en recherchant la meilleure qualité des logements qu’ils construisent et les adaptant aux besoins de leur époque, aussi divers soient-ils. Dans ce domaine ils exercent non seulement une fonction régulatrice de l’activité de construction en France, ainsi que des prix et des loyers, mais d’innovation et d’expérimentation de procédés nouveaux. Les maîtres d’ouvrage devront enfin savoir, dès maintenant, s’insérer dans le courant de démocratie participative en partageant les responsabilités de gestion des logements avec les locataires et leurs associations.

Moyens multiples et but unique : le droit à l’habitat

Ce survol que nous venons de faire de l’histoire du logement social depuis un siècle et demi, en France, nous a montré que les gouvernements ont utilisé, successivement ou simultanément, à peu près tous les moyens techniques connus, afin d’encourager la construction de logements sociaux. Cependant, dans tous les cas, il s’est agi de ne jamais perdre de vue la nécessité d’adapter, avec le maximum de précision, l’offre locale à la demande et aussi de faire intervenir, d’abord, les mécanismes normaux du marché, afin de réserver les aides publiques aux personnes que le marché délaisse.

Quant à la part relative donnée, pour la construction de logements, à la maîtrise d’ouvrage privée et à la maîtrise d’ouvrage publique, elle est fonction, à la fois des choix politiques d’un pays, des possibilités du moment offertes par l’économie et de la pression exercée par l’opinion publique. Il en va de même pour la part relative de l’aide à la pierre et de l’aide à la personne, qu’il est absurde d’opposer l’une à l’autre, car elles sont complémentaires l’une de l’autre. Mais le but visé demeure le même, quels que soient les agents économiques intervenant en qualité de maîtres d’ouvrage et quelles que soient les techniques industrielles, juridiques et financières choisies : faire du droit à l’habitat un droit fondamental et rendre accessible à tous l’exercice de ce droit.

Jean Lemoine

Ex-Président de l'association des Organismes d'HLM de l'Ile de France

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