I. Les réalités

Marie-Claude Buffard

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Marie-Claude Buffard, « I. Les réalités », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1989), mis en ligne le 07 avril 2010, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4452

Témoignage de Marie-Claude Buffard Je suis volontaire permanente du Mouvement ATD Quart Monde depuis 17 ans. Depuis 4 ans, je suis responsable des admissions au centre de Promotion Familiale de Noisy-le-Grand. Ce centre accueille dans 35 logements individuels pour 2, 3 années, des familles en majorité françaises, parmi les plus défavorisées de la Région Parisienne. Depuis longtemps, elles vivent dans l’insécurité permanente, l’exclusion sociale. Le plus souvent, leurs parents vivaient déjà cette situation.

Vivre à la recherche d'un logement en France

Le principal objectif du Centre est de leur permettre de reformuler un projet familial et de mettre en œuvre avec elles les moyens d’en assumer les responsabilités. L’action de l’équipe s’oriente autour de 4 grands axes : rendre la vie familiale et sociale possible, dans un logement, dans un quartier ; bâtir un avenir professionnel par l’accès à une formation, à un métier, favoriser l’accès au savoir des enfants dès le plus jeune âge, grâce à la pré-école familiale, au pivot culturel au Club du Savoir ; développer la solidarité entre les familles favoriser la connaissance des droits et la prise de parole, grâce aux Universités Populaires, aux rassemblement, aux fêtes.

Depuis 4 ans, j’ai eu connaissance de plus d’un millier de familles en difficulté, candidates au Centre d’Hébergement et de Promotion Familiale, envoyées la plupart du temps par les services sociaux.

Il s’agit pour la majorité d’entre elles, de couples avec plusieurs enfants. En 1986, sur 370 demandes, nous avions 305 couples, 54 femmes seules, 11 hommes seuls, avec, en totalité : 643 enfants.

Leurs conditions de logement étaient les suivantes :

25 % sans domicile ( rue, voiture, cave) ;

22 % hébergés dans la famille, chez des amis ;

20 % accueillis ensemble ou séparément dans des centres d’hébergement dont l’accueil est de courte durée ;

18 % logés en HLM, mais menacés d’expulsion à brève échéance ;

10 % en habitat insalubre, menaçant le sécurité et la santé de tous ;

5 % en hôtel

Quelle réalité recouvrent ces chiffres ?

Beaucoup de familles sont hébergées chez des amis, des parents, souvent aussi pauvres qu’elles. Cet accueil de solidarité pose de multiples problèmes : il n’est pas couramment admis en France comme dans les pays très pauvres, il est même interdit par les HLM : « La sous-location même à titre gratuit est un motif de nullité du bail. » Humainement, la cohabitation n’est jamais facile. Le logement, insalubre parfois, est surpeuplé. L’entassement entraîne des conflits entre enfants, entre adultes, les uns ne supportent plus les autres. L’intimité, le repos de chacun ne peut être respecté, c’est la tension continuelle. Une famille disait : « mes enfants ne dorment plus, ils sont énervés, la télévision marche sans arrêt, on peut pas faire ce qu’on veut, on n’est pas chez soi. » Ils étaient 11 dans 2 pièces.

De plus cet hébergement peut cesser du jour au lendemain quand les HLM menacent d’expulsion, ou quand la vie commune est devenue intolérable : la famille hébergée se retrouve à la rue, dort dans des abris de fortune : voiture, cave, garage, métro…Désemparée, elle fait souvent appel à un Service Social qui peut lui trouver un centre d’accueil d’urgence, pour quelques jours, une semaine, ou propose une séparation. Les centres d’hébergement pour familles sont tellement rares qu’il est relativement plus facile de trouver une place pour la mère et ses enfants dans un foyer maternel, si leur âge et leur nombre correspondent aux critères d’admission. Le père alors n’a plus qu’à se débrouiller de son côté. S’il y a des enfants plus grands, ils sont placés ailleurs. La vie dans les Centres d’Hébergement n’est pas facile : lieu collectif, où chaque famille dispose juste d’une chambre, certains ne sont que des abris de nuit, hommes et femmes séparés en dortoirs, où l’on met tout le monde dehors dès 7 heures du matin pour ne rouvrir que le soir. Un père me disait : « ma fille est née le jour de Noël avec 2 mois 1/2 d’avance, maintenant elle a beaucoup de retard, mais c’est parce que ma femme aurait dû rester allongée dans la journée et on était à la rue dès 7 heures du matin. »

Sans autre solution, le Service Social propose aux parents de placer les enfants à l’Aide Sociale à L’Enfance afin qu’ils y soient en sécurité. Les enfants vivent alors un temps en institution, puis au bout de quelques mois ils sont pris en charge par une ou plusieurs familles d’accueil, qui ne se trouvent pas toujours dans le même département que les parents. Lorsqu’il y a une naissance en vue, il est même arrivé qu’après avoir proposé une interruption volontaire de grossesse, refusée par la mère, on lui conseille d’abandonner son enfant.

On voit combien ces solutions qui se voulaient provisoires, pour la plupart, vont à l’encontre de la vie de famille, à l’encontre du souhait des parents et des enfants de rester ensemble. Un père qui s’opposait au placement de ses enfants pour cause de logement insalubre disait : « Si j’ai pas les enfants, pour qui je travaillerai ? »

Parfois, des Services Sociaux ou la famille cherchent un hôtel. Mais, même avec un emploi, les 2/3 du salaire passent dans le règlement de la chambre. A terme la famille n’arrive plus à payer. Elle sollicite alors des aides financières, de service en service. C’est le développement de l’assistance qui ne peut déboucher sur aucun projet, aucune promotion. Elle change souvent de lieu mais les hôtels accueillant et supportant les enfants font exception. La cuisine est souvent interdite et l’argent rare : la famille se nourrit de pain. Et quand il n’y a plus de travail, plus d’aides, plus d’argent, c’est à nouveau la rue.

Certaines familles optent pour la caravane, mais la grande difficulté est de trouver un terrain, si rares sont les communes autorisant la présence d’une caravane. Si elles la tolèrent, c’est à la périphérie de la ville, sans eau, ni électricité, loin des commerces et des écoles…

Enfin certaines familles que je rencontre sont logées en HLM, mais menacées d’expulsion car, sans travail, elles ne payaient plus leur loyer. Si aucune solution de relogement n’est prévue, comme dans la plupart des cas, ce sera la rue. D’autres sont entrées dans leur logement dans droit légal : elles sont « occupant sans titre » et seront expulsées comme les autres à la demande du propriétaire.

L’histoire de ces familles montre qu’aucune solution de logement n’est jamais définitive : tour à tour elles ont connu l’hébergement, l’hôtel, la rue, le logement insalubre, les foyers. Il y a là une véritable errance.

Cette insécurité permanente, cette tension continuelle pour la survie, à la recherche d’un hébergement au jour le jour, pèsent lourdement sur la vie de famille. Tout cela entrave gravement le développement des enfants qui grandissent à l’étroit, changent souvent d’école et apprennent difficilement car ils partagent toujours les soucis des adultes. Tous les membres de la famille sont fatigués, usés de cette vie de temps de sommeil réduits, de conditions de vie déplorables. Sans eau, sans électricité parfois, la santé et la vie tout entière se détériorent. Les parents ne peuvent vivre leur vie de couple, harcelés par les problèmes de tous ordres auxquels ils doivent faire face au jour le jour. Comment faire des projets, entrer dans une formation, être stable dans un emploi ?

Quantités de droits sociaux sont conditionnés à un logement, mais, plus largement, toutes les capacités de s’insérer sont tellement dégradées par l’insécurité du logement qu’un vrai droit à l’habitat suppose, en réparation, le droit à un accompagnement personnel et familial pour tous les ménages qui le souhaitent.

Marie-Claude Buffard

Responsable des admissions au Centre de Promotion Familiale de Noisy-le-Grand

CC BY-NC-ND