II. Un chiffrage délicat

Claude Taffin

Citer cet article

Référence électronique

Claude Taffin, « II. Un chiffrage délicat », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1989), mis en ligne le 07 avril 2010, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4460

Index de mots-clés

Logement, Habitat, Sans-Abri

Le logement des plus démunis d'après l'enquête-logement

La dernière enquête sur le logement a été réalisée par l’INSEE au dernier trimestre de 1984, et son exploitation est actuellement en cours. Malgré un échantillon, d’une taille importante, environ 38 000 logements, sa vocation est essentiellement nationale ; seul le recensement peut fournir des données régionales ou départementales sur le logement. De façon générale, il n’est pas possible d’étudier des sous-populations de taille trop petite : on pourra à la rigueur parler des locations meublées (300 000 logements) mais pas des habitations de fortune qui sont environ 30 000.

Par contre, les questions posées à l’enquête sont plus nombreuses et plus techniques. Elles concernent non seulement les caractéristiques du ménage et de son logement, mais aussi ses revenus, ses dépenses de logement, en particulier son loyer et ses charges et, s’il perçoit une aide au logement, sa nature (AL ou APL) et son montant. On dispose ainsi des principaux éléments permettant de répondre à une question telle que : comment sont logés les ménages à faibles ressources ?

Avant de donner quelques résultats, je dois signaler deux difficultés auxquelles en se heurte ; la première tient à la nature de l’échantillon : il s’agit d’un échantillon de logements issus du dernier recensement, il inclut donc les logements de fortune et les chambres meublées mais exclut les habitations mobiles et l’hébergement en collectivité. De plus, sur les logements de fortune classés comme tels au recensement et figurant dans l’échantillon, on n’en a retrouvé qu’un sur deux à l’enquête. La quasi totalité de logements enquêtés sont des logements ordinaires : les formes d’habitat les plus précaires sont donc très peu représentés.

Le second problème concerne la qualité des réponses aux questions d’ordre financier, en particulier les revenus. La tendance générale dans les enquêtes auprès des ménages est que les titulaires des plus bas revenus comme des plus élevés sont plus réticents à réponde précisément que les ménages proches de la moyenne ; il en va de même en matière d’aides personnelles ; prenons l’allocation-logement : 2,4 millions de ménages déclarent la percevoir alors qu’il y en a 500 000 de plus selon la Caisse Nationale des Allocations Familiales. Les sommes versées pour l’année 1984 s’élèvent à 19 milliards de francs, on n’en trouve que 14 à l’enquête.

Ceci n’est pas rédhibitoire et n’empêche pas l’enquête-logement de fournir quelques indications sur les conditions de logement des ménages les plus pauvres. On a retenu les 10 % des ménages qui ont le plus faible revenu par « unité de consommation. » Une unité de consommation est un individu pondéré par sa consommation au sein du ménage : le premier adulte de ménage vaut 1 unité ; les suivants 0,7 et les enfants de moins de 14 ans : 0,5. Ce revenu était en 1984 de 22 000 francs par an, ce qui correspond à 160 francs par jour pour un couple avec deux enfants. On a ensuite enlevé les ménages pour lesquels le revenu déclaré est probablement erroné ou transitoire : non salariés, cadres, étudiants.

Il reste 1,4 million de ménages. Les plus nombreux sont des retraités ou des ouvriers, dont près de 40 % sont chômeurs. Par rapport à l’ensemble des ménages, les couples avec 3 enfants ou plus sont sur représentés : 21 % au lieu de 9,6 ainsi que les familles monoparentales 11,6 % au lieu de 4,9. En ce qui concerne leurs conditions de logement, 16 % n’ont pas d’autre élément de confort que l’eau courante au lieu de 8 % et 26 % de leurs logements sont surpeuplés, au lieu de 13.

42 % sont propriétaire dont 10 % accédants à la propriété. Cela peut paraître élevé mais il y a de nombreux retraités. 22,5 % sont locataires en HLM (14,4 % dans l’ensemble des ménages) et 20 % locataires du secteur libre le plus souvent dans le parc ancien. 10 % sont logés gratuitement et très peu sont logés en meublés ; mais ce sont ceux là qui ont les revenus les plus bas et qui, proportionnellement, dépensent le plus pour se loger : 32 % de leurs revenus, 20 % si l’on tient compte de l’allocation-logement.

C’est en HLM que les aides au logement sont les plus répandues puisque c’est là que l’on trouve les familles les plus nombreuses : 76 % perçoivent une aide contre 40 % pour l’ensemble des ménages logés en HLM ce qui ramène leur taux d’effort, c’est-à-dire la part des ressources consacrée au loyer de 20 à 5 %. Dans le secteur libre, il y a 51 % de bénéficiaires et le taux d’effort de 24 % est ramené à 13 %.

Voilà le type d’étude, ou du moins son ébauche, que l’on peut effectuer à l’aide d’une enquête générale comme l’enquête logement. Peut-on être plus précis, retenir les 5 % les plus pauvres au lieu de 10 % ? Leurs caractéristiques sont différentes : il y a relativement plus de chômeurs et d’inactifs, moins de couples avec enfants mais plus de familles monoparentales. Leurs conditions de logement sont plus mauvaises mais la différence n’est pas considérable : les logements sans confort passent de 16 à 18 %, les logements surpeuplés de 26 à 28 %. Plutôt que de tenter de cerner des sous-populations fines et difficiles à définir, il est préférable de recourir à des sources plus spécifiques telles que l’enquête « situations défavorisées. »

Claude Taffin

Administrateur au département Population et Ménages de l’I.N.S.E.E

CC BY-NC-ND