Se battre avec des familles en bidonville et habitat insalubre...

Bernadette Maraud

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Bernadette Maraud, « Se battre avec des familles en bidonville et habitat insalubre... », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1989), mis en ligne le 07 avril 2010, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4457

A la fin de l’été 1986, l’équipe ATD Quart Monde de Bordeaux annonçait au Mouvement deux victoires : l’une concernait les habitants d’une maison délabrée d’un vieux quartier en banlieue, l’autre ceux d’un micro bidonville, perdu dans les bois. De part et d’autre des familles qui avaient souffert et espéré.

Je voudrais retracer simplement la situation de ces personnes, évoquer ce qu’a représenté dans le concret ce combat pour le relogement et ce qu’en disent les relogés.

Index de mots-clés

Logement, Habitat, Sans-Abri

Témoignage :

* Un vieil immeuble d’une commune au nord de Bordeaux

« Les habitants du premier étage reçoivent l’eau de pluie dans leur appartement et ceux du rez-de-chaussée les plâtres du plafond. Un seul coin hygiénique, sans porte, existe dans l’arrière cour, avec une cuvette installée par nos soins. Enfin, quand elle est trop pleine, la fosse des cabinets se déverse dans les caves par une fissure au mur. Nous sommes obligés de les vider au seau. » C’est en ces termes que les habitants de la rue Marcel Sembat présentent leur immeuble à un journaliste de «Sud-Ouest.» Ils l’ont fait venir pour qu’il soit témoin de la vétusté des logements dans lesquels ils sont condamnés à vivre.

Ayant demandé en vain à leur propriétaire de réaliser des travaux, les six familles cessent de payer leur loyer. Elles alertent la presse et la Préfecture mais leurs démarches se retournent contre elles car un arrêté d’insalubrité est prononcé le 9 juillet, interdisant de manière définitive l’occupation de l’immeuble. L’expulsion leur est notifiée le 10 octobre.

C’est alors qu’une locataire avertit l’équipe ATD et que les familles et les militants d’ATD Quart Monde s’allient jusqu’à obtenir gain de cause. Un représentant du Secours Catholique de la commune se joindra aussi à eux pour certaines interventions. Il a fallu 9 mois de démarches pour obtenir de surseoir à l’expulsion prévue le 26 novembre et de reloger tous les locataires de l’immeuble. Il serait fastidieux de reprendre au fur et à mesure leur déroulement mais en résumé il y eut simultanément :

Avec la Mairie, dix démarches (plusieurs lettres, visites d’ATD à la Mairie, du Maire à la Maison Quart Monde, les intéressés manifestent à la Mairie)

Avec la Préfecture : deux courriers d’ATD au Préfet et deux de la Mairie au Préfet, deux courriers du Préfet aux HLM et deux autres à la DDASS...

Avec les offices d’HLM : deux courriers d’ATD Quart Monde, deux de la Mairie plus des démarches.

Et bien sûr, le soutien constant aux familles pendant les neufs mois. Celles-ci sont à bout : violences, tentatives de suicide, fausse couche, problèmes de dialyse...

Divers incidents de parcours : début mai, la propriétaire fait couper l’eau. Du côté des relogements, un retard de 15 jours dans l'acheminement du courrier fait qu'il faudra attendre la commission d’attribution du mois suivant pour l’examen des demandes…

Et c’est l’intervention d’une élue, alliée du Mouvement et membre de la Commission d’attribution qui emporte la décision le 12 juin 1986.

* La fin d’un bidonville au sud de Bordeaux

De nombreux familles ayant trouvé refuge dans des baraquements américains datant de la dernière guerre, un important bidonville s’était constitué à M…. Vers 1960, des familles voient leur baraquement transporté, allée du Chût, sur le terrain d’un certain Monsieur Welsh, d’où le nom de « Cité Welsh. » Ce terrain est situé dans les bois et la proximité de l’aéroport crée un bruit infernal. Il y a une prise d’eau pour tout le monde, ni WC, ni électricité.

En 1968-69, une grande opération de résorption est engagée, la cité de transit « Envol » abritera une partie des habitants du bidonville (ceux qui ont les ressources suffisantes pour payer un loyer) ainsi que des mal logés des alentours du quartier Mériadek rasé pour faire place au nouveau Bordeaux. A la cité Welsh, chaque année, la situation se détériore un peu plus. En 1980, le Mouvement ATD Quart Monde prend l’initiative d’une série d’interventions auprès des pouvoirs publics pour le relogement de la quinzaine de personnes qui restent encore. Elles dureront six ans, entre démarches et promesses non tenues.

En 1985, tout le monde est amer :

- « On voudrait rester sur la commune, la dispersion c’est terrible, la mairie avait promis. » « Les droits de l’homme ? Ils ont supprimé le charbon. »

- M.R a rapporté un canapé racheté à un copain pour le logement espéré. Il attend dehors sous des plastiques ; tempêtes, pluies diluviennes, gel, le canapé devient inutilisable ; un deuxième canapé sera apporté et subira le même sort.

- M.T. se remet à boire, Mme S. se désespère, Mme D. ironise pour garder le moral. Elle va tempêter au service du logement de la mairie.

Nous réalisons que nos démarches ont été trop espacées, surtout au début de chaque hiver. Or, ceux-ci deviennent de plus en plus rigoureux. Les habitants allument de grands feux devant leurs baraques et viennent s’y réchauffer.

Les démarches, lettres, coups de téléphone, vont alors s’intensifier ; les deux derniers mois ils seront presque journaliers. Là encore : Préfecture, DDASS, Commune, Offices HLM sont saisis, alertés. Peu à peu, les problèmes se dénouent et le 1er août 1986, la dernière habitante quittera le baraquement rasé pour un appartement confortable.

* Que nous disent les familles à plusieurs mois d’intervalle

- « Finis les gouttières et l’humidité ! Là-bas on avait honte de recevoir des amis, ici c’est un plaisir. Ça nous change, au moins on a de la visite. »

- « On est heureux d’avoir un logement comme tout le monde, sinon financièrement, du moins au niveau social. On se sent un peu égal aux autres, plus du tout diminué. Ça c’est sûr. On est fier de son appartement. ça peut détruire la vie un mauvais logement, ça pousse les enfants à faire n’importe quoi. Maintenant ils ont repris goût. »

- « Là-bas, nous dit Fabienne, 10 ans, mes poupées étaient dans des cartons pour ne pas les abîmer et parce qu’il n’y avait pas de place tandis qu’ici je peux arranger ma chambre comme je veux »...

- « Avant c’était une seule chambre pour 4 personnes et une cuisine. L’hiver on se gelait, on se couchait tous les 4 dans le même lit pour se réchauffer. Maintenant ça va bien. On a tout ce qu’on n'avait pas là-bas . Ce que j’apprécie le plus ce sont les toilettes et la salle de bain, c’est le principal. Joël, il reste presque une heure tous les samedis dans son bain. Maintenant, il travaille, il gagne le pain pour ses gosses. "

- « Ça a tout changé, j’arrivais pas à trouver de l’emploi, parce que j’étais mal vu à cause surtout de l’endroit où j’habitais. Depuis que j’ai été relogé, j’ai trouvé du travail, j’ai trouvé tout le confort, WC, salle de bain, ça ne me donnait pas beaucoup l’envie de vivre et même plusieurs fois, j’ai tenté de me suicider. Depuis que j’ai un nouveau logement, j’ai rencontré une femme qui m’a donné le bonheur. »

- « Sans logement, on n’est plus rien. »

- « Avant c’était la déchéance, la décadence. »

Ces réactions sont pour le Mouvement de nouveaux motifs de réaffirmer la nécessité pour les plus démunis du droit au logement.

Bernadette Maraud

Déléguée ATD Quart Monde en Gironde

CC BY-NC-ND