Défendre les droits de l'homme à partir d'une cause significative

Louis Bretton

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Louis Bretton, « Défendre les droits de l'homme à partir d'une cause significative », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1997), mis en ligne le 21 avril 2010, consulté le 24 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4605

Dans le cadre des procédures visant les étrangers sans papiers, l’administration et les juges manquent trop souvent de respect à l’égard des intéressés. L’action de citoyens ordinaires telle celle des « groupes de vigilance » contribue à informer et, par voie de conséquence, à former l’opinion publique à ces situations.

Créée juste avant la guerre, la Cimade1 a d’abord accueilli des évacués d’Alsace Lorraine. Puis, pendant la guerre, elle a offert un soutien aux internés qui se trouvaient dans les camps de Vichy, donc essentiellement les juifs. Après la guerre, son champ d’intervention s’est élargi :

- soutien, dans notre pays, aux étrangers les plus faibles, c’est à dire aux étrangers sans papiers. De façon plus générale, ici en France, la Cimade prend en charge la défense des étrangers ;

- soutien dans les pays d’origine, à travers des projets en Tiers-Monde.

Je me limiterai à la présentation d’une action précise, qui n’est ni une réussite, ni un échec, mais une action qui avance, qui constitue une forme d’action de défense des Droits de l’homme, et qui repose sur l’engagement de citoyens de base. Nous avons appelé cela « les groupes de vigilance. » Je vais vous donner une illustration de cette action que l’on a démarrée il y a quelques années à la Cimade, et que l’on essaie de développer.

La Fontaine a dit : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. » Effectivement, les gens les plus handicapés devant l’appareil administratif et judiciaire, sont les gens qui ne comprennent rien pour de multiples raisons : parce parfois ils ne comprennent même pas le français, parce que les procédures leur échappent, ils ne comprennent pas où ils en sont, parce qu’ils ne comprennent pas un langage compliqué. Et ils ne le comprennent pas parce que c’est la première fois, en ce qui concerne les étrangers sans papiers, qu’ils sont confrontés à l’administration et à la justice dans une situation de fragilité. C’est le moment où ils vont peut-être perdre tout contact avec la société dans laquelle ils étaient, où ils vont être, soit rejetés dans leur pays, sois mis en prison. C’est donc un moment où il faudrait qu’ils soient maîtres de leurs moyens ou qu’ils soient au moins assistés de façon conséquente parce que l’enjeu, pour eux, est très important.

Or, nous avons constaté que vis-à-vis de ces personnes, les machines administratives et judiciaires affichaient un mépris total, qui se traduit par le fait que l’on n’écoute jamais les explications qu’ils ont à fournir. Au mieux, on leur assène une explication de la condamnation ou de la décision prise, sans les informer sur leurs droits de recours, ou bien on leur signale rapidement que c’est écrit, et qu’ils n’ont qu’à lire. Or, vis-à-vis de ces situations, il est assez difficile de réagir parce qu’elles se passent très souvent dans le huit clos. Evidemment, les avocats peuvent entrer, mais, pour avoir un avocat au bon endroit, il faut déjà le connaître, avoir pu réagir, se rendre compte que c’est indispensable.

La plupart du temps, les avocats sont, soit absents, soit pris au hasard, avec le risque qu’ils ne se soient pas compétents dans ce domaine très technique, très pointu, qu’est le droit des étrangers. Il faut savoir qu’un avocat ne pourrait pas vivre en ne faisant que du droit des étrangers, et surtout des étrangers sans papiers, qui constituent une pâle clientèle.

Aussi, vis-à-vis de ces situations, nous avons pensé qu’une forme d’aide à apporter aux personnes, ce serait être présent, que des citoyens ordinaires soient simplement présents, quand c’est juridiquement, légalement possible, dans les lieux où les étrangers dont confrontés à l’administration ou à la justice.

Ces lieux sont les commissions de séjour, les commissions d’expulsion, le tribunal, où les étrangers sont présentés lorsque l’on est en train de les reconduire et que l’on doit, pour pouvoir les reconduire, les garder sous la main.

Un étranger sans papiers qui se fait arrêter est placé, comme n’importe quel délinquant, en garde à vue. Pendant 24 heures, il est privé de liberté et il ne peut avoir aucun contact, sauf, désormais, à partir de la vingtième heure, avec un avocat. Très souvent, avant cette vingtième heure, on lui dit : « Le préfet q décidé de vous conduire à la frontière. » On le lui dit ou on le lui écrit. Encore une fois, il ne comprend pas toujours très bien ce qui se passe. On lui dit : « Le préfet a décidé de vous placer en rétention administrative pendant 24 heures. » Il a déjà été privé de liberté pendant 10,12, 20 heures peut-être et, de nouveau, pendant 24 heures sur la décision du préfet.

On le prive de liberté, pourquoi ? Parce qu’il s’agit de pouvoir l’exclure du territoire français et que, pour cela, il faut trouver un avion, il faut du temps, il faut s’organiser. Néanmoins, la privation de liberté est une mesure extrêmement grave, et j’espère que cela le restera. C’est pourquoi la loi prévoit que l’on ne peut pas la prolonger au-delà de 24 heures sans décision d’un juge. C’est un aspect essentiel. La rétention administrative n’est pas la prison. C’est n’importe quel lieu qui n’est pas une prison. Le préfet peut placer un étranger à l’abri dans un commissariat, dans un hôtel gardé par des policiers, ou dans ces lieux spéciaux que sont les centres de rétention. Si le préfet veut garder l’étranger plus de 24 heures, il faut qu’il le présente au tribunal, devant un juge, qui peut décider que l’étranger restera privé de liberté pendant au maximum 6 jours.

Pendant très longtemps nous avons eu le tort de ne pas nous intéresser à cette phase très importante, puisqu’elle consiste à priver de liberté, un étranger sans papiers, qui n’a commis aucun délit, n’a fait de mal à personne, ne s’en est pris ni à la personne, ni au bien d’autrui. Lorsque nous avons réalisé que c’était un point important, nous avons commencé à vouloir aller voir ce qui se passait.

Quelques personnes, à Paris et en province, se sont rendues au tribunal quand elles savaient à quelle l’heure l’audience se déroulait, et ont dit : « On veut voir, c’est public. » Nous avons dû vaincre beaucoup de résistances, celles des gardiens, des policiers qui nous refusaient l’entrée. Le juge ou le procureur a dû apporter la confirmation que, selon les textes, ces audiences étaient bien publiques. C’était un premier pas.

A partir de là, notamment à Paris, où de telles audiences ont lieu tous les jours, matin et soir, nous avons constitué des groupes de 2 ou 3 personnes, qui se relaient et qui essaient d’être présentes à chacune de ces audiences. Et peu à peu, nous avons vu les choses évoluer. Au début, les juges n’étaient pas tous au courant du fait que c’était public et demandaient ce que nous faisions là. Sans compter les discussions dans les couloirs du palais, pour passer les différents gendarmes. Désormais ce genre d’obstacle est levé.

Dans les audiences, les protagonistes sont au nombre de quatre : le juge et son greffier, le représentant du préfet qui vient demander que l’on garde l’étranger et apporter ses arguments, l'étranger, accompagné en général d’un avocat, très souvent commis d’office, qui fait de son mieux, mais qui, encore une fois, est très rarement compétent et qui, de plus, découvre son client dans la seconde qui précède le moment où le client va passer.

Il existe un décret très long qui fixe le déroulement de cette procédure : comment l’étranger doit être informé, comment il doit pouvoir s’exprimer, faire savoir son avis avant même de passer. Or pratiquement rien n’est respecté de ce décret, sauf peut-être le délai de 24 heures, et encore, il y a parfois des débordements de quelques heures.

Au début, nous avons observé des comportements réellement inadmissibles, paternalistes ou même racistes, des juges vis-à-vis des étrangers : « Allons, mon vieux, partez chez vous ! Vous serez beaucoup mieux. Et puis, qu’est-ce que vous faites là ? Vous volez ! Vous ne pouvez pas vous en sortir autrement ! » Autant de commentaires qui n’avaient rien à voir avec le sujet, qui était simplement de savoir si cette personne pouvait, au lieu d’être gardée en rétention dans un lieu spécial, rentrer à son domicile.

On a vu aussi des représentants de la préfecture discuter avec le juge, non pas comme des personnes qui doivent instruire un dossier, donner des arguments, mais en tant que copains ; le juge et le représentant de la préfecture échangeant de bons mots sur le dos des étrangers. Petit à petit, du fait de la présence du public, ces comportements évoluent.

Les personnes qui assurent cette présence, bien qu’elles n’aient pas le droit de parler, commencent à devenir de plus en plus actives. Elles bougent très fort et parfois, elles s’installent. Par exemple, l’autre jour, un étranger qui devait comparaître était malade. Le juge ayant décidé d’aller à l’Hôtel-Dieu, où il se trouvait, notre amie l’a suivi, en disant : « Votre audience est publique, donc je suis à votre audience ! » Tous les juges n’ont pas cette attitude.

Cette même amie racontait, il y a 2 jours, qu’une nouvelle juge était arrivée, qui traite les étrangers correctement, respecte la personne, prend avec elle, non pas des égards comme si c’était une personnalité parce que ce n’est pas ça, mais c’est simplement un justiciable, un citoyen qu’on doit traiter correctement !

Quel bilan tirer de ces « groupes de vigilance » ?

Nous assistons à une évolution de la procédure, et à la possibilité de prévenir les avocats beaucoup plus tôt. La Cimade peut maintenant travailler dans les centres de rétention. Très souvent, on ne voit pas, on ne peut pas voir les étrangers. Ils ne viennent pas nous voir, tout simplement. Il y a deux centres dans la région parisienne, un au Mesnil-Amelot, à côté de l’aéroport de Roissy, un autre à Vincennes. Il y passe des milliers d’étrangers par an, et la Cimade y a un bureau permanent. Mais on ne va pas chercher les gens. Ils viennent nous voir s’ils ont quelque chose à nous demander et certains, soit ne veulent pas, soit pensent que l’on est des espèces d’auxiliaires de l’administration. Très souvent, se sont nos amis qui, chez le juge, entendent et découvrent qu’il y a un problème et donc, par répercussion, nous le signalent. Ce qui nous permet d’agir.

Un peu plus de respect s’installe. Etant témoins, les personnes des groupes de vigilance se donnent toute liberté de porter leur témoignage à l’extérieur, y compris à la presse, et chacun sait que cela peut être une menace redoutable que de voir raconter dans la presse une audience où le juge a un comportement qui frise le racisme.

Notre rêve serait que, vis-à-vis des étrangers sans papiers, l’administration, c’est-à-dire les préfectures et la justice, manifestent autant d’égards et autant de scrupules dans la qualité de leur travail qu’il peuvent en avoir vis-à-vis des petits et grands notables de la politique ou de la finance qui comparaissent devant eux. Je pense que là, tout est mis en œuvre pour qu’il n’y ait pas de fautes de procédure et que les textes soient scrupuleusement respectés.

Les résultats sont loin d’être immédiatement acquis et à 100% définitifs.

Notre idée de base était que des citoyens, au nom desquels les décisions de justice sont rendues – la justice est rendue « au nom du peuple français » - que le peuple français soit là pour contrôler ce qui est fait en son nom. C’est un principe élémentaire et l’idée est de lui donner une forme pratique à travers des personnes qui prennent cette fonction à cœur d’être les représentants du peuple français.

1 « Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués » et remonte à 1939 quand cette organisation protestante aidait les évacués d’Alsace.
1 « Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués » et remonte à 1939 quand cette organisation protestante aidait les évacués d’Alsace.

Louis Bretton

Louis Bretton est membre de la CIMADE

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