En Haïti, ce 20 janvier 2010, pour la huitième nuit, l’équipe de volontaires d’ATD Quart Monde se retrouve à dormir sur une place, avec une centaine de gens du quartier.
Depuis l’annonce du séisme, les membres du Mouvement à travers le monde ont multiplié les temps où on s’arrête, on se retrouve ensemble, pour ne pas être seul face à l’inquiétude de ne pas savoir ce qui est arrivé aux familles, aux volontaires, aux amis, ne pas être seul face aux nouvelles que l’on reçoit de ceux qui sont sains et saufs, pour ne pas être seul face aux nouvelles de ceux qui nous partagent leur deuil.
Nos amis d’Haïti nous disent : la nuit c’est un moment pour pouvoir pleurer, trembler de peur ensemble, prier, chanter, reprendre des forces pour le lendemain, pour continuer à chercher ceux dont on n’a pas encore de nouvelles, pour être ensemble face à la mort.
Au cœur de la nuit, reprendre des forces pour ensemble faire face au manque de nourriture, d’eau potable, de soins et entrevoir comment inscrire ce qui bâtit l’avenir au milieu d’une urgence qui enserre tout. L’équipe dit déjà qu’elle va continuer son action « Bébés Bienvenus », pour le développement des enfants de 0 à 3 ans, parce que ce sont les tout-petits qui sont les plus fragiles.
Au cœur de la nuit, reprendre des forces pour réfléchir à l’urgence : que faire et où aller ensemble ? Dans les lieux où vivent les familles, les glissements de terrain continuent, les maisons ne sont pas entièrement tombées, mais c’est aussi là où se manifeste la réalité de l’entraide entre voisins et une irrépressible volonté de vivre ensemble.
« Nous espérons que nous ne vivons pas une tragédie, mais une épreuve qui doit permettre que l’on devienne plus proche les uns des autres. Il faut que cela soit une page d’histoire pour tout le monde », dit Jacqueline Plaisir, volontaire permanente d’ATD Quart Monde en Haïti.
Et nous ?
Comment nous aider à être ensemble pour ne pas se laisser noyer dans une avalanche d’images et de nouvelles qui témoignent d’une solidarité internationale, tellement vitale, mais qui restera comme aveuglée et inefficace dans cet océan de souffrances, de vies ensevelies, de destructions, si elle ne se rencontre et ne se noue pas avec la solidarité qui monte, depuis le plus profond de ce pays, de son histoire, de son âme par les bras et les mains, par le courage, l’intelligence et la foi des gens ?
Dans les quartiers pour l’instant, les familles sont encore seules et elles savent que si elles ne s’aident pas par elles-mêmes, personne d’autre ne le fera pour l'instant. L’écrivain haïtien Dany Laferrière dit dans une interview : « Après le tremblement de terre, ce qui a sauvé cette ville, c’est l’énergie des plus pauvres. Grâce à eux, Port-au-Prince est resté vivant. »
Comment nous aider pour être ensemble dans cette vision du père Joseph Wresinski, extraite de « La violence faite aux pauvres »1, un texte écrit en 1968 : « Le plus pauvre ne nous demande pas de ralentir notre marche mais au contraire il nous contraint d’aller plus vite et plus loin, de voir infiniment plus grand et d’être plus ambitieux que nous le sommes » ? Comment aujourd’hui être et faire Mouvement ensemble au niveau du monde pour que Haïti puisse nous donner à découvrir l’urgence de cette parole partout dans les lieux où nous sommes engagés ?
La question nous oblige à ouvrir de l’espace dans le quotidien de nos actions et de nos engagements, de notre expression publique. Lier notre quotidien aujourd’hui avec Haïti, c’est manifester que dans tous les lieux où nous sommes, il en va d’un même enjeu. Nous ne sommes pas dans une hiérarchie d’urgences ou de gravité des choses, nous sommes partout face à une misère qui est « des injustices et des violences dans tous les sens. »2
Quand Haïti souffre, c’est le monde qui souffre.
Quand Haïti avance, c’est le monde qui avance.
Nous sommes une seule humanité en marche.