«Le dialogue civil structuré»

Ludo Horemans

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Ludo Horemans, « «Le dialogue civil structuré» », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 18 octobre 2010, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4796

European Anti Poverty Network (EAPN) est un réseau dans l’Union européenne qui rassemble quinze réseaux nationaux des États membres et environ trente organisations européennes. De même que l’Union européenne, notre association va s’élargir. Sur le thème du dialogue civil structuré, je vais vous indiquer deux exemples qui pourraient être reproduits. Le premier illustre la stratégie d’inclusion sociale adoptée par l’Union européenne. Le deuxième exemple que je vais développer concerne l’accord de coopération établi en Belgique.

La stratégie d’inclusion sociale de l’Union européenne

L’Union européenne a adopté une stratégie d’inclusion sociale élaborée sur le long terme (dix ans). Le démarrage, jusqu’à présent, est relativement lent et difficile mais nous avons la possibilité d’apporter des corrections et de suivre la mise en œuvre de la stratégie. Chaque gouvernement établira un plan d’action national tout les deux ans. Une méthode de coordination ouverte sera appliquée et permettra d’échanger les bonnes pratiques (examen par les pairs) entre les gouvernements. L’Union européenne établira un rapport conjoint de la Commission et du Conseil.

La stratégie comprend quatre objectifs adoptés au Sommet européen de Nice, en Décembre 2000 :

1. Promouvoir la participation à l’emploi et l’accès de tous aux ressources, aux droits, aux biens et services.

2. Prévenir les risques d’exclusion.

3. Agir pour les plus vulnérables.

4. Mobiliser l'ensemble des acteurs.

À ce niveau, il peut sembler facile d’obtenir de belles déclarations agréables à entendre. Nous sommes cependant vigilants pour qu’elles soient suivies par la mise en place de mesures concrètes.

- 1. Promouvoir la participation à l’emploi et l’accès de tous aux ressources, aux droits, aux biens et services

Le premier point de cet objectif est de promouvoir la participation à l’emploi.

Nous n’étions pas au départ très contents d’entendre à nouveau promouvoir la participation à l’emploi. L’Union, par son histoire, a toujours mis en avant ce domaine de l’emploi. Il est important alors de spécifier que nous voulons parler d’emplois durables et de qualité. Pour les groupes les plus vulnérables, nous demandons, de plus, un parcours d’accompagnement vers l’emploi. Nous voulons aussi favoriser l’articulation entre la vie professionnelle et la vie familiale (garde d’enfants et personnes dépendantes). Nous demandons d’utiliser les opportunités d’insertion et d’emploi. Nous devons prévenir les ruptures professionnelles qui sont des risques majeurs de basculement vers une situation de pauvreté.

Le deuxième point de cet objectif est l’accès aux ressources, aux droits, aux biens et aux services.

L’accès aux ressources sera mis en place grâce à l’organisation des systèmes de protection sociale. Nous suivrons plusieurs lignes directrices dans la méthodologie. Il s’agit de garantir les ressources nécessaires pour vivre conformément à la dignité humaine, de surmonter les obstacles à la prise d’emploi, d’obtenir un emploi avec un revenu accru et enfin de favoriser la capacité d’insertion professionnelle.

Pour promouvoir l’accès aux droits, aux biens et aux services, les personnes doivent pouvoir disposer d’un logement décent et salubre, des services essentiels nécessaires pour mener une existence normale dans ce logement (électricité, eau, chauffage…). Elles doivent aussi pouvoir accéder aux soins de santé, à l’éducation, à la justice, à la culture, au sport, aux loisirs.

- 2. Prévenir les risques d'exclusion

Pour prévenir les risques d’exclusion, nous devons exploiter le potentiel de notre société sur la connaissance

des nouvelles technologies, de l’information, de la communication. Il est important aussi d’éviter les ruptures à cause du surendettement, de l’exclusion scolaire, de la perte de logement.

Nous devons préserver les solidarités familiales sous toutes leurs formes, notamment au niveau du droit pénal.

- 3. Agir pour les plus vulnérables

Il s’agit de favoriser l’intégration sociale pour ceux qui risquent des situations de pauvreté persistante. L’élimination de l’exclusion sociale des enfants est prioritaire afin de leur donner toutes les chances d’une bonne insertion sociale. Les gouvernements devront entreprendre des actions globales dans des territoires confrontés à l’exclusion.

- 4. Mobiliser l'ensemble des acteurs

Le quatrième objectif nous tient tous à cœur ici, car il s’agit de mobiliser les acteurs. Il nous faut imaginer des structures, des espaces où le dialogue, dans son sens véritable, puisse avoir lieu. Nous devons promouvoir la participation et l’expression des personnes exclues qui sont les premières partenaires avec lesquelles nous devons engager ce dialogue. Un instrument utile à cette fin, serait d’intégrer la lutte contre les exclusions dans l’ensemble des politiques, de mobiliser les autorités à tous les niveaux. Nous demandons des procédures et des structures de coordination. Les services doivent s’adapter aux besoins des personnes et les acteurs de terrain doivent être sensibilisés à ces besoins.

Nous demandons très clairement de promouvoir le dialogue et le partenariat entre tous les acteurs publics et privés concernés : les partenaires sociaux, les ONG, les services sociaux. Il faut, en parallèle, encourager la responsabilité et les actions de tous les citoyens et favoriser la responsabilité sociale des entreprises.

L’EAPN s’est donné comme objectif de suivre de très près ces travaux à travers l’évaluation et la réalisation des plan nationaux d’action et d’interroger directement les gouvernements.

Nous ne voulons pas être associés à l’évaluation seulement à la fin de la période. L’évaluation doit être en continu.

Nous voudrions avoir davantage d’influence dans les mesures décidées au niveau politique.

Accord de coopération en Belgique

Le deuxième exemple que je vais développer concerne l’accord de coopération appliqué en Belgique qu'il pourrait être intéressant de reproduire dans d’autre pays.

À partir du Rapport général sur la pauvreté, présenté en 1994, nous avons demandé la création d'un instrument de dialogue permanent avec les instances politiques. Ce rapport était en soi déjà une nouveauté car il a été écrit avec la participation des personnes qui vivent en situation de pauvreté. Ceci grâce à l’intermédiaire des associations. L’Accord de coopération a été conclu le 5 mai 1998 entre les six gouvernements en place au niveau de la Belgique: l'État fédéral, la communauté et région) française, la communauté germanophone, la communauté flamande, la région wallonne, et la région Bruxelles-Capitale.

Grâce à cet accord de coopération, les différents gouvernements ont pu définir une stratégie commune et mener une politique de prévention de la précarité d'existence, de lutte contre la pauvreté, d'intégration des personnes dans la société.

Les principes majeurs sont inscrits à présent dans un arrêté royal. Il s’agit de la concrétisation des droits sociaux, l’accès égal pour tous à tous ces droits, la participation des personnes vivant dans la pauvreté dans l'élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation des programmes.

Un service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale a été créé autour d’une équipe de sept personnes qui ont des contacts avec des collaborateurs dans les communautés et régions.

Un rapport est transmis tous les deux ans comprenant quatre domaines : la précarité, la pauvreté, l'exclusion sociale et les inégalités d'accès aux droits sociaux, économiques, culturels, politiques, civils.

Il évalue l'exercice effectif des droits et les inégalités d'accès aux droits. Il dresse un inventaire et analyse les politiques et les actions. Le rapport ajoute également quelques recommandations et propositions concrètes

pour améliorer la situation des personnes concernées.

Pour le suivi du rapport, un débat doit être obligatoirement organisé au sein de chaque gouvernement, et l’avis des organes compétents, comme le Conseil national du travail ou le Conseil central de l'économie, doit être demandé. Les instances sont obligées de tenir compte de ce rapport.

Le Comité de gestion est composé d’un président qui représente le premier ministre, des représentants de chacun des six gouvernements, du coordinateur du Service, du directeur et d’un adjoint du Centre d’égalité des chances.

La condition primordiale pour l’intégration des personnes en situation de précarité ou d’exclusion est l’accompagnement. Une Commission d'accompagnement est prévue et présidée par le Ministre de l'Intégration sociale. Il réunit le Comité de gestion, représentant les différents gouvernements, les partenaires sociaux, les organismes assureurs (mutuelles), les centres publics d'aide sociale (CPAS) et les associations où les pauvres s'expriment.

Dans le travail politique, nous appliquons la méthode des Groupes de dialogue. Cette méthode s’est améliorée au fil des années et s’articule à présent en trois étapes : d’abord les associations où les pauvres s’expriment se réunissent autour du thème traité pour un échange à partir de leur vécu ; ensuite les résultats sont discutés avec des partenaires actifs dans le domaine traité ; finalement, ils adressent - parfois ensemble - leurs recommandations aux responsables politiques concernés pour entrer en dialogue avec eux. La méthode est exposée en détail dans le rapport transmis tous les deux ans et peut servir de base pour d’autres exercices dans le cadre du partenariat.

CC BY-NC-ND