Ça fait six ans et demi que je suis à TAE1. C’était pour me remettre dans le monde du travail parce que je suis une femme qui a besoin de travailler, qui a besoin de découvrir autre chose qu’une entreprise classique.
Travailler en équipe
Je ne suis pas une femme à la maison. J’ai besoin d’être en contact avec les gens, avec différentes cultures, de différents horizons. J’ai envie de combattre la misère, de continuer le combat que le père Joseph a commencé en 1954.
En travaillant, c’est une façon de le faire parce que le travail à TAE ça me permet de travailler avec les familles du centre de promotion familiale2. Donc, je travaille avec ATD Quart Monde en dehors de TAE, comme militante, et ça me permet de comprendre les situations difficiles des familles. Moi, je suis très proche d’elles. Ce que j’ai vécu, je ne veux pas que les autres familles le revivent.
Ce que j’aime le plus, c’est travailler en équipe, c’est convivial. Ca me permet de me questionner, de travailler autrement que dans une entreprise classique. Ça veut dire comprendre les gens, les écouter au moins, dialoguer sur énormément de choses. Ici il y a l’être humain, plus que dans une entreprise classique.
Quand il y a des moments difficiles, ça me permet de ne pas penser qu’à moi, de penser aux autres aussi. Au travail, avant, je ne pensais qu’à moi et c’est une chose que je ne veux pas oublier. C’était difficile pour moi de reprendre ce travail ; c’est avec la complicité des trois équipes que j’ai pu le faire : le bâtiment, l’informatique et le ménage.
Je ne savais pas du tout utiliser, démonter, nettoyer un ordinateur. Ça m’a appris à m’écouter et à écouter les autres.
Écouter les employés
Ce qui serait nécessaire en plus pour moi, c’est que les autres entreprises prennent une méthode un peu comme la méthode de travail TAE, la méthode d’écouter les employés. Surtout ne pas travailler à la chaîne ! Ici il y a une écoute, un rythme de travail qu’on n’a pas dans les autres entreprises. C’est très important pour moi et j’espère qu’on y arrivera.
Vivre une autre aventure
L’absence de travail, moi je l’ai vécue ; il n’y a pas que moi, mais je l’ai vécu. Ce qui manque c’est d’avoir confiance en soi-même. Pour quelqu’un comme moi, qui n’a pas travaillé pendant plus de dix ans, ça m’a permis de me mettre en question, de réapprendre à travailler dans la société actuelle parce que je n’avais pas de diplômes, et sans diplômes, c’est extrêmement dur. Moi je suis très manuelle. J’ai appris à me battre à nouveau, à avoir confiance en moi, à pouvoir vivre une autre aventure. Mais je ne suis pas prête à retourner dans une entreprise classique, parce que c’est trop dur et puis par rapport à mon âge aussi. J’ai cinquante ans.
Transmettre la méthode à d’autres
Il faudrait dire aux autres entreprises de comprendre les employés, d’avoir une confiance, un dialogue et une écoute… Il y a encore une glace à casser. Parce que c’est trop individualiste, chacun pour soi. On ne veut pas mélanger employés et patron. Ici, c’est tout l’inverse. Et ça c’est une méthode qu’on veut transmettre à d’autres entreprises classiques.
Mélanger les cultures
C’est important pour moi d’apprendre des cultures différentes, de ce qu’ils vivent chez eux dans leur pays. Leur façon de vivre, leur façon de cuisiner. J’ai appris énormément de choses. Je vois plus de choses, j’ai plus de complicité, et j’ai quand même mis six ans et demi à comprendre cela. C’était très dur. C’est vrai qu’entre l’Algérie, le Maroc, etc., il faut se connaître ; c’est un apprentissage de la vie. Maintenant, j’arrive mieux à comprendre les autres. Il ne faut pas voir que la France, il faut s’ouvrir vers les autres pays aussi. Il faut mélanger les cultures. On apprend énormément de choses.
La pauvreté, on n’en veut pas
TAE m’a apporté beaucoup parce que ça m’a donné de temps en temps un coup de pied aux fesses, pas méchamment mais ça m’a ouvert les portes. Parce que je me mettais des œillères sur les côtés et je ne voulais pas voir certaines réalités. Donc, j’avais besoin d’avoir une équipe qui me soutienne. Et c’est ce que j’ai trouvé ici à TAE. Je leur dois énormément.
J’en ai deux exemples. Par rapport à ma famille : depuis que je travaille à TAE, ça m’a permis de m’ouvrir et d’avoir un vrai dialogue avec mes enfants, de les comprendre, de sauver ma famille.
J’essaie de dire aux autres familles de la cité : « Ne faites pas ce que moi j’ai fait ».
J’ai encore un combat à faire personnellement, parce que j’ai encore deux de mes enfants qui sont placés, mais maintenant j’arrive mieux à en parler. Je prends mieux la situation, j’accepte mieux, parce que j’ai le travail à l’extérieur. C’est ça qui m’a construit, qui m’a donné envie de me battre. Quand ils ont été placés, j’étais en dépression. Il fallait que je dialogue avec les personnes, il fallait que je fasse quelque chose. Donc, travailler, faire du théâtre, faire de la poésie, faire des activités avec les familles, faire de la peinture sur porcelaine, faire des sorties avec les familles, c’est ça qui me donne envie de me battre, de dire : « Je suis là. On est des gens comme les autres ». Ce n’est pas parce qu’on est dans une association qu’il faut être à l’écart des autres. On est des gens comme tout le monde, avec nos difficultés. La pauvreté, on n’en veut pas.
Au début, je n’allais pas aux sorties proposées par TAE. Pendant un an et demi, il a fallu que je m’adapte au travail et puis j’avais quand même ma maladie qui était là. Je suis sous traitement, donc je me bats. Il fallait me laisser le temps de me reconstruire, de réagir. C’est pour cela que je dis merci à TAE, parce qu’ils m’ont laissé le temps. Et je n’ai jamais été toute seule. Ils m’ont pris comme j’étais, avec ma maladie ; j’ai toujours trois, quatre, cinq personnes autour de moi. C’est collectif. Et si je suis là, c’est grâce aux trois équipes parce que j’aurais été toute seule, je n’aurais pas pu faire tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant.
Prendre mon vol
Un but important pour moi, ce serait d’ouvrir ma propre entreprise, une petite entreprise, en prenant la même méthode que TAE, en province. Parce qu’il ne faut pas oublier que je ne repartirai pas en usine… J’ai peut-être cinquante ans, mais c’est un projet qui me tient à cœur. Et si j’y arrive, ce sera grâce à l’équipe. J’espère un jour prendre mon vol…, mais je n’oublierai jamais TAE parce qu’ils ont fait énormément de choses pour moi.
Je rêve de monter mon théâtre et j’y arriverai, et une salle de théâtre aussi ! C’est mon deuxième rêve.
Mes enfants, mes deux filles aînées, elles m’ont dit : « Maman, tu as changé du tout au tout, tu as changé, tu nous écoutes plus, tu es plus calme »... C’est la fierté de concevoir des choses avec eux que j’avais perdue. Mes filles, on leur pose souvent la question : « Que fait ta mère ? ». « Ben ma mère, elle est dans l’informatique ». « On est fières de notre mère ».
Et ça pour moi, c’est une fierté que mes filles me donnent. C’est vrai qu’elles se battent au quotidien avec moi.