Le droit, un allié précieux dans la lutte anti-pauvreté

Marios Papandreou

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Marios Papandreou, « Le droit, un allié précieux dans la lutte anti-pauvreté », Revue Quart Monde [En ligne], 224 | 2012/4, mis en ligne le 01 octobre 2013, consulté le 23 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5495

Dans cet article, l’auteur examine brièvement le rôle du droit dans l’étude de la pauvreté et ses particularités, qui le rendent très utile dans la lutte contre la misère et l’exclusion.

La pauvreté a depuis longtemps été étudiée par diverses disciplines comme la philosophie, l’économie, la sociologie et le droit. Bien évidemment, chaque domaine offre ses propres idées et en approfondit certaines parmi les nombreuses dimensions du sujet.

Définir la pauvreté en droit est difficile

D’abord, la relation entre le droit et la pauvreté n’est pas sans problèmes. La définition de la pauvreté et la multiplicité de ses dimensions en sont deux.

Il est vrai que la compréhension de la pauvreté sous la perspective du droit commence par un problème majeur : il n’y a pas de définition de la pauvreté en droit. La Banque Mondiale se réfère au seuil de pauvreté, le niveau au-dessous duquel il y a la pauvreté : sont pauvres ceux qui vivent à moins de $ 1.25 par jour1. Il est évident qu’il ne s’agit pas de définition juridique de la pauvreté. De l’autre côté, la sociologie essaie de décrire la pauvreté par rapport à l’exclusion sociale : sont pauvres ceux qui, à cause du manque de ressources sont exclus de la société où ils vivent2 , ou au contraire : les exclus de la société tendent à s’appauvrir3. La philosophie et la religion donnent leurs propres explications.

Et le droit, que dit-il ? D’après les juristes la pauvreté c’est quoi ? La réponse est que « la pauvreté n’est pas définissable par le droit4 » et que le droit se réfère souvent aux autres disciplines. Par exemple, la Charte sociale européenne (révisée) dans son article 30, qui peut être considérée comme la disposition la plus progressiste en la matière au niveau international, protège le « droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale » mais aucune définition de la pauvreté n’est donnée. Même si on a recours au Rapport explicatif de la Charte (§ 114)5, on ne trouve pas de définition de la pauvreté.

De plus, le mécanisme juridique le plus important dans la lutte contre la pauvreté au niveau mondial, celui de la protection des droits de l’homme, n’a pas encore intégré la protection contre la pauvreté comme un droit mais comme une synthèse des droits. La pauvreté apparaît comme une violation, par exemple, du droit à la vie, au logement, à la santé, à l’éducation, au travail ou au développement. Il est vrai qu’aujourd’hui l’indivisibilité et l’interdépendance de tous les droits de l’Homme (sociaux, civiques, économiques, politiques et de troisième génération) gagne du terrain6 et que la pauvreté n’est pas vue comme violation d’une catégorie des droits. Mais la non- reconnaissance de la protection contre la pauvreté comme un droit - le droit de ne pas être pauvre - pose une question dangereuse : si la pauvreté n’est qu’une synthèse de droits déjà reconnus et protégés, quelle est l’importance de continuer à étudier la pauvreté à la lumière des droits de l’homme ? Il suffit de protéger complètement tous les droits qui existent et la pauvreté disparaitra ! Il est évident que ces idées n’ouvrent pas vraiment des voies nouvelles.

Des outils spécifiques au droit existent

En même temps, le droit a une dynamique positive qui peut donner des solutions utiles.

Alors que l’économie ne propose que des mesures de nature financière, le droit dispose de plusieurs outils. Les systèmes nationaux et le système international des droits de l’Homme contiennent des droits sociaux et économiques qui sont directement liés à la pauvreté mais aussi des droits civiques et politiques qui, eux aussi, ont du sens social et/ou économique. Ce ne sont pas seulement, par exemple, le droit au logement et le droit à la santé qui sont indispensables pour les individus qui vivent dans la pauvreté7. Le droit à la propriété, un droit traditionnellement considéré de ladite première génération, a été interprété de telle manière que sa jouissance soit conforme au droit au logement des plus démunis8. De plus, le droit de non-discrimination joue un rôle stratégique parce que la pauvreté crée avant tout des discriminations et est créée par elles. D’ailleurs, le « statut social » est souvent inclus parmi les causes prohibées de discrimination9 et il est évident que ce terme se réfère aussi à la pauvreté. En outre, le droit au travail joue aussi un rôle-clé : le travail est le moyen le plus important de gagner sa vie et donc d’éviter la pauvreté. Sa réglementation protectrice des intérêts des travailleurs facilite la redistribution des ressources et la lutte contre les inégalités.

Parallèlement, le droit a une autre caractéristique qui lui permet d’appréhender le phénomène de la pauvreté en sa complexité. Le droit peut prendre aujourd’hui plusieurs formes. Le droit étatique traditionnel des corps législatifs démocratiquement élus coexiste avec le droit qui provient d’autres sources : les organisations intergouvernementales, les entreprises multinationales et les organisations non-gouvernementales ont leurs propres normes qui très souvent sont considérées comme du droit vrai ; elles créent des obligations et sont respectées par les sujets du droit10. Par rapport à la pauvreté, ce pluralisme juridique11a une importance particulière parce qu’il nous permet de mieux comprendre le problème, ses aspects modernes et ses causes multiples.

En conclusion, la relation entre le droit et la pauvreté n’est pas toujours cohérente. Il y a des difficultés et des problèmes mais la mobilisation constamment croissante du droit dans la lutte contre la pauvreté nous fait croire que ce sera le droit qui donnera le coup de grâce à la pauvreté dans les années à venir.

1 Ce « seuil de pauvreté » a changé en 2008 de $1 par jour à $1.25 par jour. Martin Ravallion; Shaohua Chen; Prem Sangrauda, Dollar a Day Revisited -

2 Peter Townsend, Poverty in the United Kingdom: A Survey of House Resources and Standards of Living, Berkeley - Los Angeles, University of California

3 RobAtkinson; SimonDavoudi,TheConceptofSocialExclusionintheEuropeanUnion: Context, DevelopmentandPossibilities, JournalofCommonMarketStudies, 2000

4 Koubi Geneviève, La pauvreté comme violation des droits humains, Revue internationale des sciences sociales, 2004, 361.

5 Le terme «pauvreté» dans ce contexte signifie les personnes qui se trouvent dans différentes situations allant d'une pauvreté extrême qui peut s'

6 Ce changement historique a été proclamé solennellement dans la Déclaration et Programme d'action de Vienne: « Tous les droits de l'homme sont

7 La Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud a donné quelques exemples dans ses arrêts : Gouvernement de la République d'Afrique du Sud c. Grootboom

8 Arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme Hutten-Czapska c. Pologne, requête no 35014/97, 19.6.2006; Mellacher et autres c. Autriche

9 Art 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, art 21 para 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art 2 para 2 du

10 En ce qui concerne la pauvreté, l’ONU développe le Projet de principes directeurs: « Extrême pauvreté et les droits de l’homme: les droits des

11 Christina Deliyanni, Droit comparé et pluralisme juridique [en grec], Athènes-Thessalonique, Sakkoulas, 2008, 9-11.

1 Ce « seuil de pauvreté » a changé en 2008 de $1 par jour à $1.25 par jour. Martin Ravallion; Shaohua Chen; Prem Sangrauda, Dollar a Day Revisited - Policy Research Working Paper 4620, Washington - USA, Development Research Group - World Bank, 2008, 16.

2 Peter Townsend, Poverty in the United Kingdom: A Survey of House Resources and Standards of Living, Berkeley - Los Angeles, University of California Press, 1979, 31.

3 Rob Atkinson; Simon Davoudi, The Concept of Social Exclusion in the European Union: Context, Development and Possibilities, Journal of Common Market Studies, 2000, 441.

4 Koubi Geneviève, La pauvreté comme violation des droits humains, Revue internationale des sciences sociales, 2004, 361.

5 Le terme «pauvreté» dans ce contexte signifie les personnes qui se trouvent dans différentes situations allant d'une pauvreté extrême qui peut s'être perpétuée depuis plusieurs générations, à des « situations temporaires comportant un risque de pauvreté [..] ».

6 Ce changement historique a été proclamé solennellement dans la Déclaration et Programme d'action de Vienne: « Tous les droits de l'homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés » (§ 5). La Cour européenne des droits de l'homme s'est aussi exprimée sur ce sujet (Airey c. Irlande, requête no 6289/73, para 26: « nulle cloison étanche » ne sépare la sphère des droits économiques et sociaux de la Convention (considérée comme protectrice des droits civiques et politiques). Frédéric Sudre, La protection des droits sociaux par la Cour européenne des droits de l'homme : un exercice de « jurisprudence fiction ?, Revue trimestrielle des droits de l'homme, 2003, 756.

7 La Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud a donné quelques exemples dans ses arrêts : Gouvernement de la République d'Afrique du Sud c. Grootboom et autres 2001 (1) SA 46 (CC), Ministre de la Santé c. TAC 2002 (5) SA 721 (CC).

8 Arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme Hutten-Czapska c. Pologne, requête no 35014/97, 19.6.2006; Mellacher et autres c. Autriche, requêtes no 10522/83, 11011/84,11070/84 (19.12.1989); Spadea et Scalabrino c. Italie, requête no 12868/87, 28.9.1995.

9 Art 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, art 21 para 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art 2 para 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

10 En ce qui concerne la pauvreté, l’ONU développe le Projet de principes directeurs: « Extrême pauvreté et les droits de l’homme: les droits des pauvres ». La responsabilité sociale des entreprises aussi est une autre source d’engagements contre la pauvreté et pour le développement humain.

11 Christina Deliyanni, Droit comparé et pluralisme juridique [en grec], Athènes-Thessalonique, Sakkoulas, 2008, 9-11.

Marios Papandreou

Juriste, doctorant à l’Université Aristote de Thessalonique, Marios Papandreou est boursier de la Fondation des bourses de l’État grec.

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