A Ouagadougou, les paroles de Fatimata ont résonné : « Souvent, on n’avait rien à manger, même pas la nuit. Si tu pars à l’école ainsi, ton ventre est en train de tourner, tes oreilles sont bouchées, c’est seulement tes yeux qui voient. Mais malgré tout ça, on partait à l’école. Moi, je sais que c’était le courage de nos parents qu’on mettait dans nos ventres. Sinon, ce n’était pas possible ». C’était en mars 2013, lors de l’un des séminaires internationaux qui réunissaient des membres du Mouvement ATD Quart Monde et des partenaires pour évaluer l’impact des objectifs du Millénaire pour le développement.1 La participation des familles en situation de grande pauvreté contribuait, tout au long du processus, à bâtir des propositions constructives pour en finir avec la violence de la misère. L’éducation est ressortie comme une préoccupation centrale. Au Nord comme au Sud, les familles confrontées à la grande pauvreté se lèvent chaque matin avec le souci d’arriver à faire face aux urgences quotidiennes mais aussi avec cette angoisse qui les habite en permanence : qui va s’associer avec nous, qui va nous rejoindre dans nos efforts pour que nos enfants puissent apprendre, exister dans la communauté, être du monde, contribuer à l’avenir ? C’est ainsi qu’en Haïti, après le séisme, alors qu’elles étaient au cœur de la plus grande urgence et du plus grand dénuement, les familles de Grande Ravine ont demandé à l’équipe d’ATD Quart Monde de très vite reprendre la pré-école et les actions de partage du savoir dans les quartiers et les camps de toile des réfugiés.
Au Burkina Faso, comme dans les autres rencontres, en Belgique ou aux Philippines, les participants ont rappelé qu’au-delà de la faim, des logements inadaptés et des menaces d’expulsion, des revenus irréguliers et du manque de papiers d’identité, qui ont un impact grave sur la possibilité de fréquenter l’école et d’y apprendre, le pire pour les enfants les plus pauvres est que l’école n’attend le plus souvent rien d’eux. Cela mine leur confiance et les persuade qu’ils sont incapables d’apprendre. Le courage et l’expérience de leurs parents ne sont pas attendus non plus, leur avis ne suscitant la plupart du temps ni intérêt ni respect. Alors se creuse de plus en plus le fossé dans lequel tombent et se perdent tant d’enfants qui ne demandent pourtant qu’à développer et partager leur intelligence, leur créativité, leur amitié avec tous2.
Les participants à ces travaux ont construit aussi des propositions qui, à nos yeux, devront absolument se trouver au cœur de l’agenda post-2015 pour tenir les promesses faites en 2000 d’un monde plus pacifique, plus prospère et plus juste3. Ainsi, ils ont exprimé qu’il était absolument nécessaire de s’attaquer aux insécurités multiples et imbriquées auxquelles font face les familles très pauvres. Ils ont souligné tout autant la nécessité de réconcilier les différents savoirs et ont ouvert des pistes pour favoriser la reconnaissance et le dialogue entre tous les acteurs de l’éducation, y compris ceux qui sont le moins considérés. Ils ont formulé des propositions visant à promouvoir la coopération plutôt que la compétition, à encourager l’amitié et la mise en valeur des efforts de tous à l’école. Ils ont invité à inverser la logique des politiques actuelles qui offrent l’éducation la plus pauvre aux populations les plus pauvres. Ils ont insisté sur la pertinence de mobiliser toutes les ressources pour réaliser enfin une école publique vraiment gratuite et de qualité, partout, jusque dans les zones les plus oubliées.
Le courage incroyable des parents de Fatimata fera bouger le monde, comme il lui a permis de se tenir debout dans la vie. Cette intelligence d’adultes, de jeunes et d’enfants qui savent garder le cap de chercher l’avenir au cœur des plus grandes urgences doit devenir la boussole de tous. Elle se révèle indispensable pour inventer ensemble l’éducation qui fera entrer le monde dans la véritable modernité, celle qui se construit par la rencontre à égalité de tous les savoirs et non par l’accaparement du savoir par quelques-uns.