Devenir humain au contact des autres

Université populaire Quart Monde au Canada

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Université populaire Quart Monde au Canada, « Devenir humain au contact des autres », Revue Quart Monde [Online], 226 | 2013/2, Online since 01 December 2013, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5605

Le 28 septembre 2012, venus de Joliette, Montréal, Rouyn-Noranda, St-Bruno, Sherbrooke, St-Léonard et Thetford-Mines (Québec), une trentaine de personnes participaient à l’Université populaire Quart Monde. L’invité était Philippe Robert de Massy. Il a été avocat pendant 47 ans à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Compte rendu réalisé par Sophie Boyer et Nathalie Bouthillette.

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Animatrice : Pourquoi est-ce important pour nous d'être en relation avec d'autres personnes ?

Sonia : On n'est pas fait pour vivre seul. On est fait pour vivre en société. Personnellement, je ne trouverai jamais mon bonheur à vivre seule. J'ai besoin des autres.

Gaétane : Pour contrer l'isolement.

Alain : Ça nous donne un miroir de nous-mêmes. Ça nous permet d'évoluer.

Lyne : Pour apprendre l'un de l'autre.

Annie : C'est une thérapie entre gens.

Sophie : Ça t'apprend des choses sur toi-même.

Suzanne : C'est d'essayer de bâtir quelque chose.

Martine : Ça m'aide des fois à rire et à dédramatiser des choses.

Liliane : Moi j'habite seule mais j'aime ça. (…) J'aime ça, être avec les autres, mais j'ai besoin de mes moments tranquilles dans ma maison.

Wendy : Je suis contente d'être avec vous. Je suis contente comme ça, parce que dans ma vie maintenant je ne souffre pas comme avant.

Guillaume : Je pense aussi qu'il y a des projets, des choses qu'on ne peut absolument pas réaliser tout seul.

Nicole-Yvonne : Je crois que nous sommes ici sur cette terre pour partager ce qu'on a reçu, ce qu'on a de qualités ou d'expériences, pour en faire profiter les autres. Alors je pense qu'on ne peut pas passer à côté d'être en relation.

Marie-Christine : Quand on arrive à entrer en relation avec quelqu'un, même par un sourire, c'est comme si on n'était plus des étrangers.

Nathalie : Être en relation, c'est apprendre à connaître les autres et porter moins de jugement. Lorsqu'on apprend à se connaître, on n'est pas portés à faire des jugements tandis que quand on reste éloignés, on peut juger les gens sans bien les connaître.

Des situations concrètes qui nous questionnent...

Sabine : Je vais toujours travailler en vélo. Je passe matin et soir au même endroit, en dessous d'un pont de chemin de fer. J'ai remarqué qu'il y avait une personne qui dormait là et qui a aménagé un très beau jardin potager sur le talus du pont. Tout l'été je me suis dit : « Je le vois matin et soir, et je ne m'arrête jamais. Est-ce qu'il a envie qu'on lui parle ? Est-ce que ça serait une bonne idée que je m'arrête ? » En plus il y a un journaliste qui a fait un article sur lui ; donc je me suis dit : « Peut-être il n'a pas eu l'article de journal. Il est toujours en haut de son talus et moi je suis en bas. » Je ne me suis jamais arrêtée. C'est difficile de trouver la bonne façon, les bons mots.

Liliane : J'habite dans une coopérative d'habitation et on doit participer à des comités, faire du secrétariat, de l'entretien. Il y a une dame âgée (...) qui est là depuis le début de la coop et elle a travaillé beaucoup dans l'entretien. (...) Elle travaille moins qu'avant dans la coop, c'est normal. Il y en a qui disent qu'elle devrait commencer à penser à aller vivre dans un lieu plus approprié pour elle et ça me fâche. (...) Je trouve qu'ils ne la traitent pas bien et je ne trouve pas ça juste.

Sonia : (…) Avant j'avais du mal à aller vers les autres. Je sens les personnes qui sont en désespoir, qui ont des problèmes, qui ne sont pas bien. Mais je n'osais pas trop aller vers eux parce qu'il faut respecter la vie privée. Un jour j'ai décidé de dire non. (…) Je ne me priverai jamais plus d'écouter mon cœur et d'aller vers une personne que je rencontre et qui a peut-être besoin que quelqu'un aille vers elle.

Suhel : Une fois, il y avait beaucoup de neige et dans le parc à côté d'une banque, il y avait un tas de neige et j'ai senti qu'il y avait quelqu'un dessous. J'ai essayé de lui parler et il m'a dit : laisse-moi tranquille !

Alain : Pour pouvoir être en relation, il faut être deux. (…) Parfois, la personne ne veut pas ou bien n'a pas la confiance nécessaire pour entrer en relation (…) Donc avoir une relation égalitaire, pouvoir discuter avec quelqu'un, d'égal à égal, d'humain à humain, c'est compliqué.

Marcel : (…) Ce que je trouve difficile, ce sont les relations que je peux avoir avec des personnes qui ont des préjugés : préjugés face aux réfugiés politiques, aux autochtones, aux personnes en situation de pauvreté. Que ça soit dans mon entourage, dans ma famille élargie, au club de gym que je fréquente, dans plusieurs endroits. (…) Je pense que c'est un défi que l'on a tous. (…) Ce que je remarque, c'est que les gens peuvent évoluer énormément si on apporte un petit peu d'informations. Si ce sont des personnes qui nous font un petit peu confiance, on peut alors aller plus loin pour expliquer ce qu'il y a derrière les personnes envers lesquelles ils ont des préjugés.

Jacques : J'ai dirigé un centre communautaire à Montréal pendant plusieurs années. (…) On avait obtenu un grand logement d’HLM au premier étage. Il y avait une personne au troisième étage et à chaque fois qu'on pouvait, on la saluait. La plupart du temps elle ne répondait pas. (…) Ça lui a pris sept ans à venir prendre un café au centre communautaire !

Nathalie : Je travaille dans des centres pour personnes âgées et je n'ai pas de difficulté à faire des relations avec les personnes âgées. Ils m'adorent tous sauf un avec qui j'ai beaucoup de difficultés. Quand il est arrivé au centre, je l'ai accueilli comme tous les autres. J'ai même essayé d'entamer des conversations. Il critiquait sur l'un, sur l'autre, sur le bruit... J'essayais de l'encourager. (...) Après deux mois, j'ai craqué ! Je suis allée voir ma patronne et j'ai dit que je ne pouvais plus faire le ménage de sa chambre. (...) Ma patronne est allée le rencontrer. Il est venu me voir par la suite, et il s'est excusé. Et depuis ce temps on arrive à discuter.

Philippe, l’invité : Pour moi, être humain c'est essentiellement être un animal social ; (...) on est humain seulement au contact des autres. Je crois que ce qu'on a d'humain, on ne l'apprend pas par l'instinct, on l'apprend des autres : de ses parents, de ses enseignants, de ses collègues. (...) L'enfant sauvage, tout seul dans les bois, il n'a pas les caractéristiques humaines que vous et moi présentons.

Qu'est-ce qui se passe quand la relation n'est pas possible ? (…) Il faut absolument avoir de la patience. (...) Il faut croire que la relation est possible au fond. Je partage cette conviction-là, que la relation est possible avec tout le monde. (...) Je veux croire qu'il n'y a pas un être humain qu'on ne peut pas rejoindre. Ça me pose cette question quand on est en présence d'un crime particulièrement difficile à accepter (…) comme les crimes contre les enfants, (...) les tueurs en série... Je ne sais pas pourquoi, j'ai l'impression qu'il doit y avoir un moyen de rejoindre tout être humain.

L’animatrice : Y-a-t-il moyen d'être en relation avec tout le monde ?

Lyne : J'ai toujours pensé que oui parce que je suis une personne assez ouverte, capable d'écouter, de comprendre et de travailler pour changer des choses. Sauf que ça m'est arrivé dans la coopérative où je restais avant, avec des gens en bas de chez moi, qui n'admettaient aucun tort. (...) Quand c'est toujours les mêmes, c'est sûr que c'est dur d'avoir des bonnes relations et de régler les choses. Je pense qu'il faut que tout le monde soit prêt à travailler pour admettre ses torts et être capable d'arriver à quelque chose.

Nathalie : En thérapie on apprend à vivre en communauté (…) et moi j'ai appris à ne pas attendre de quelqu'un. Parce que souvent (...) on veut des choses, on pense que la personne devrait agir comme ça, qu'elle ne devrait pas faire ça, on pense pour l'autre personne ou on attend des choses d'elle (…) Alors je fais beaucoup ça maintenant : ne plus attendre, plutôt écouter.

Suhel : Une goutte d'eau, avec la persistance, elle peut creuser une roche. Donc il ne faut pas être pessimiste du premier coup : ça ne marche pas, on arrête. Non ! (…) Il faut chercher une autre façon et il faut la persévérance.

Sonia : Je travaille dans le cadre de la revitalisation urbaine, dans un secteur défavorisé, et les habitants qui sont là, sont pour la plupart des immigrants nouvellement arrivés. (…) Il y a une femme qui habite dans le quartier depuis quelques mois, elle venait d'accoucher. Je la voyais, je l'appelais, j'avais gardé ses coordonnées et dernièrement, je l'ai appelée. J'ai dit : « Comme ça s'est passé, comment tu te sens ? », et là elle pleurait. Elle pleurait et elle m'a dit : « C'est le plus beau cadeau que j'ai eu, personne ne m'a appelée, personne ne demande après moi. » (…) Ça m'a fait quelque chose et elle m'a dit : « Je n'ai personne à qui parler. Je dois même aller chez le médecin et je n'ai personne pour me garder la petite. »

(…) On a le local communautaire et on a une activité qui s'appelle « le club entre nous », où les femmes viennent et on fait des activités chaque semaine. Je leur ai demandé : « Qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que c'est normal qu'une personne avec tout ce monde autour d'elle se sente seule ? » Elles ont dit non, non ce n'est pas possible. Donc on l'a visitée et invitée. On a décidé de faire quelque chose et on s'est regroupées.

Lyne : (…) On va à la campagne dans une maison avec des amis. C'est une maison où tout le monde fait quelque chose, on partage les tâches. Des fois, il y en a qui font le repas (…) moi je fais la vaisselle, on s'entraide. A un moment donné, il y avait une famille de cinq enfants. (…) Ça faisait deux ou trois jours qu'on était là et elle ne faisait jamais rien. On était toutes en train de dire : « C'est plate, elle ne fait rien » et on commençait à être bien négatives. Après j'ai dit : « On va jaser avec elle, on va lui expliquer. »

Isabelle : (...) Ce n'est pas évident dans les relations d'être toujours sincère. Et surtout dans un cadre où on côtoie les mêmes personnes tous les jours, comme dans un milieu de travail.

Suhel : (...) Il faut toujours chercher, ne pas rester dans son coin. (…) les femmes sont plus présentes dans le communautaire. Elles cherchent plus et ça se reflète par exemple sur le taux de suicide chez les hommes (…) C'est bien de sortir, de faire des relations.

Litha : (…) J'ai une de mes amies qui a passé au feu en juillet et elle a de la difficulté à s'en remettre. (...) Ses enfants ont trouvé un appartement. (…) Elle avait tout perdu, ses papiers d'impôts, d'allocation logement. J'ai fait toutes les démarches pour elle. Je l'ai fait parce que je l'ai voulu et que j'avais la force de le faire.

David : Dans nos discussions, on a aussi parlé des enfants qui étaient souvent une façon de créer des liens avec d'autres et de briser l'isolement quand on arrive dans un nouveau quartier. (…) Le Festival des savoirs partagés, cet été, dans Hochelaga à Montréal, c'était aussi une façon de créer des liens, qui étaient plus sur un mode d'échange réciproque. C'est aussi une façon d'améliorer des relations, de se retrouver pour faire des choses qu'on aime faire.

Marguerite : Dans mon bloc, il y a eu en juillet un couple d'étudiants qui est arrivé; (...) les autres locataires, des personnes âgées, trouvaient qu'ils n'étaient pas bien habillés et qu'ils avaient l'air toff1, pour dire comme eux. Moi quand je les ai vus arriver, je leur ai souhaité la bienvenue dans le bloc. Je leur ai dit : « J'espère que vous allez être bien. » (...) Deux ou trois jours après, le monsieur est venu me porter sa carte d'affaires avec son nom et son numéro de téléphone. Et il a dit : « Vous restez seule ? » J'ai dit oui. Il a dit : « Au cas où vous tombiez ou s'il arrive quelque chose dans votre logement, appelez-moi. » Et depuis, tous les mercredis soirs, il vient pour descendre les poubelles. (...) Je me suis aussi rendue compte que dans ma rue, ça a changé la vision des autres personnes envers ce couple. Ça n'a pas été juste de moi vers eux.

Est-ce un droit de bien vivre ensemble ?

Philippe l’invité : Le droit me bouleverse et me choque. Tous les jours, on voit dans les journaux des situations qui ne trouvent pas de solution à l'intérieur du système juridique. Par chance j'ai passé une grande partie de ma vie professionnelle dans le domaine des droits de la personne, ce qu'on appelle les Droits de l'homme, les droits qui visent à reconnaître à chaque personne des besoins, le droit de satisfaire des besoins fondamentaux. (…) Quand on parle des droits humains, ça commence par les notions de dignité et d'égalité. Ce sont les deux piliers absolument essentiels en matière de droits fondamentaux. (…) Nous vivons en occident dans des sociétés axées sur la liberté individuelle, qui va jusqu'à s'enrichir au maximum, quitte à causer des dommages à autrui. Et ça ne choque personne. (…) Cette question d'égalité est fondamentale parce que c'est elle seule qui permet que nous ayons des rapports réciproques. Si nous ne sommes pas en situation d'égalité sur le plan des droits fondamentaux, nous ne pouvons pas avoir une relation d'échange, une relation réciproque. (…) Dignité, égalité et réciprocité sont des conditions essentielles à l'élaboration de rapports harmonieux entre les humains.

Guillaume : (...) Notre devoir fondamental, c'est de s'impliquer tous au quotidien pour améliorer notre propre vie, nous changer nous-mêmes dans nos habitudes, dans nos comportements, (…) comme la façon dont on utilise l'eau par exemple. (…) C'est déjà commencer par soi-même, puis par son voisin. (…) On a le contrôle de nos existences avant toute chose.

Marie-Christine : Je pense aux deux mots : égalité et dignité, je trouve qu'ils sont vraiment importants pour cette question d'entrer en relation, parce qu'en fait, quand on cherche à rentrer en relation avec quelqu'un, c'est une reconnaissance de sa dignité. Et on exprime qu'il est aussi digne que nous. (…) On ne cherche pas à entrer en relation avec des gens qu'on regarde du haut vers le bas. (...) Et quand on pense qu'on n'est pas assez digne, on ne cherche pas à entrer en relation avec les autres. Il faut avoir un certain sentiment de sa dignité à soi.

1 Toff : dur.

1 Toff : dur.

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Membres de l’Université populaire Quart Monde l’Université populaire Quart Monde, Québec.

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