Métier : humoriste

Anne Roumanoff

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Anne Roumanoff, « Métier : humoriste », Revue Quart Monde [En ligne], 227 | 2013/3, mis en ligne le 09 juin 2020, consulté le 27 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5656

Interview réalisée par Jean-Christophe Sarrot

Revue Quart Monde : Tout d’abord, nous souhaitons vous remercier de la part d’une militante d’ATD Quart Monde qui nous a dit : « Il y a beaucoup d’humoristes qui ‘tapent’ sur les pauvres, mais pas Anne Roumanoff. Et même, quand elle se moque, ce n’est pas méchamment. »

Où trouvez-vous l’énergie et l’inspiration pour continuer à faire rire depuis tant d’années ? Ne craignez-vous pas de vous répéter parfois ?

Anne Roumanoff : J’exerce mon métier d’une manière assez artisanale. Je suis très souvent sur scène, mon spectacle évolue continuellement. Le plaisir d’être sur scène est plus grand avec l’expérience ; plus ça va, moins j’ai peur, plus je savoure. C’est vrai qu’être seule en scène demande beaucoup d’énergie. Je me repose avant le spectacle. Je ne mène pas une vie de patachon, très peu d’alcool, pas de drogue, pas de sorties jusqu’à quatre heures du matin, pas de sport. Je me couche souvent tard parce que j’écris plus facilement la nuit. Quant à l’inspiration, il suffit de regarder autour de soi, on ne fait pas rire avec le bonheur, on fait rire avec les problèmes et comme il y a beaucoup de problèmes en ce moment, ce ne sont pas les sujets qui manquent.

Quant au fait de se répéter, j’essaie de rechercher des nouvelles idées, des nouvelles manières de les exprimer, sachant que chaque humoriste a un style, une couleur qui lui est propre.

RQM : Tentez-vous d’adresser un message particulier, à travers vos textes, aux personnes en difficulté à cause de la crise ou d’une vie de misère ?

A.R. : Le mot message est un peu prétentieux, déjà j’essaie de faire oublier aux gens leurs soucis pendant une heure trente. S’il y avait un message dans mes spectacles, ce serait de l’humanisme, une forme d’empathie pour les autres. On peut ne pas être d’accord avec une personne mais comprendre son point de vue.

RQM : Beaucoup de gens disent que grâce à vous, ils comprennent mieux les maux de notre société. Est-ce un de vos objectifs ?

A.R. : L’objectif est avant tout de divertir, les gens viennent pour ça, pour que je les fasse rire pendant une heure et demie. Je ne crois pas que mes spectacles aident à mieux comprendre les maux de notre société mais quand on arrive à rire d’un problème, le problème est toujours là mais on a pris un peu de recul. C’est ça l’humour finalement : un recul, une forme de distance par rapport aux choses.

RQM : Le thème du chômage revient souvent dans vos textes, comme dans la série « C’est la crise » qui a démarré en avril 2013. En quoi ce thème vous touche-t-il ?

A.R. : J’ai des amis au chômage. C’est un thème incontournable dans la société de crise dans laquelle on vit.

RQM : Dans votre chronique « Chômage, un secteur en expansion » du 27 mars 2013 sur Europe 1, vous avez dit : « Le silence, c’est un peu ça qui tue tous les chômeurs que l’on traite comme des statistiques. » Pouvez-vous en dire plus ?

A.R. : Les chômeurs sont des millions, mais comme ils ne sont pas structurés en syndicat, en lobby, ils n’ont pas de poids politique. On ne les entend pas, on ne les écoute pas.

RQM : Dans votre tribune « Salauds de pauvres », le 11 mai 2011 dans Le Journal du dimanche1, vous faites dire à Mme Michu tout un tas de stéréotypes sur les bénéficiaires du RSA2 en les démontant un à un. D’où vous est venu ce désir d’aller au bout de ces questions ?

A.R. : Je suis toujours un peu scandalisée des gens qui colportent des idées reçues sans réfléchir. Quand c’est une personne de leur famille qui a besoin du RSA, la donne est tout autre et le discours change, c’est de ça dont j’ai voulu parler. D’un côté : « Les pauvres, ils exagèrent », et de l’autre : « Mon neveu, c’est pas pareil, lui il a vraiment besoin qu’on l’aide ».

RQM : En faisant cela, étiez-vous consciente que vous alliez à contre-courant de l’opinion publique, dont les deux tiers pensent qu’il faut obliger les bénéficiaires du RSA à travailler ?

A.R. : Je ne suis pas assez spécialiste de la question pour avoir une opinion bien affirmée là-dessus. C’est le côté ‘travail obligatoire’ qui me dérange, mais que les gens au RSA puissent avoir la possibilité de travailler, ça me semble bien.

RQM : Vous êtes abonnée au journal Feuille de route 3depuis plusieurs années. Comment cela a-t-il commencé ?

A.R. : C’est une amie qui m’a proposé de m’abonner. Moi qui vivais confortablement dans le 17ème arrondissement de Paris, ça m’a sensibilisé à un monde que je ne connaissais pas du tout. Pendant un temps, j’ai même fait du soutien scolaire pour des familles en difficulté. J’ai une grande admiration pour les gens qui travaillent dans le social, assistantes sociales, aides-soignantes, assistantes de vie scolaires, ... toutes ces femmes qui font un travail remarquable et essentiel à la cohésion de la société et qui sont mal payées et peu considérées.

RQM : Vous n’avez pas connu la pauvreté, mais avez-vous connu des personnes qui vivent dans la pauvreté ?

A.R. : Oui bien sûr, même si parfois on peut passer à côté de gens dans la détresse juste parce qu’ils n’osent pas le montrer.

Je suis toujours touchée par la solidarité dont les Français peuvent faire preuve quand il y a des situations d’urgence. Au téléthon, par exemple, ce sont ceux qui ont le moins qui donnent le plus.

Salauds de pauvres ! 4,

- Ces gens-là sont des feignants ! S’ils sont au chômage, c’est qu’ils l’ont bien cherché. Regardez, moi je n’ai jamais été au chômage, jamais !

- C’était pas la même époque, madame Michu, maintenant il y a la crise économique.

- Mais non ! La vérité, c’est que si on n’aidait pas autant les gens, ils se bougeraient les fesses pour trouver du travail. Tenez, le poissonnier à côté de chez moi, il cherche quelqu’un entre quatre et six heures du matin trois jours par semaine, il ne trouve personne ! Les gens ne sont pas courageux.

- Oui mais regardez mon neveu, madame Michu. Il cherche du travail depuis trois ans, il trouve pas et pourtant il est bac + 7 en communication et en linguistique. Là, il est à temps partiel au McDo en attendant…

- C’est bien la preuve que j’ai raison : ceux qui font pas la fine bouche, ils trouvent toujours quelque chose.

- Madame Michu, mon neveu avec son salaire à temps partiel, il peut même pas se loger. Dans son secteur, il trouve rien, pourtant il a déjà fait huit stages. Le problème, c’est qu’il n’a pas de relations.

- Si ça peut aider, je veux bien parler de lui à mon poissonnier… N’empêche, vous allez pas me dire que tous ceux qui sont au RSA ils veulent s’en sortir ! Il paraît qu’ils touchent 466 euros par mois ; 466 euros à rien faire, vous vous rendez compte.

- Attendez madame Michu, avec 466 euros, on ne vit pas, on survit.

- Mais parfois ils sont deux au RSA, plus les allocations familiales, plus l’allocation logement…

- C’est plafonné à 700 euros par foyer, ils l’ont dit chez Jean-Pierre Pernaut5.

- N’empêche, vous m’enlèverez pas de l’idée que ces gens-là, quelque part, ils ont la belle vie… Puis s’ils en sont là, quand même, c’est qu’ils l’ont bien cherché.

- Et tous ceux qu’on voit fouiller dans les poubelles après les marchés, vous croyez qu’ils font ça pour le plaisir ? Et ceux qui habillent leurs enfants dans des vide-greniers avec des vêtements à 50 centimes d’euros…

- Oui, mais moi j’en connais qui sont au RSA et qui travaillent au noir à refaire des appartements ou à garder des gosses ! Ceux-là sont pas malheureux, croyez-moi ! Pendant ce temps, les smicards qui se lèvent tôt pour travailler, ils ont aucune aide et ils s’en sortent pas. C’est pour ça que forcer les gens au RSA à travailler cinq heures par semaine aux sorties des écoles, c’est une bonne idée.

- Réfléchissez, madame Michu, ça risque de prendre du boulot à des gens qui sont payés pour ça et qui se retrouveront au RSA.

- Et alors ? (Là, madame Michu hausse les épaules et se met à chuchoter.) Le vrai problème, c’est quand même que ces gens au RSA, souvent ils ne sont même pas français. Enfin, français, vous m’avez compris…

- Et votre tante, madame Michu ? Celle qui est malade et qui peut plus travailler, sans le RSA, vous m’aviez pas dit qu’elle se serait fait expulser de son studio avec son fils ?

- Oui, mais ma tante c’est pas pareil, elle en a vraiment besoin… Alors que les profiteurs, les assistés professionnels, y’en a marre, ça suffit, ras-le-bol ! Comme je dis souvent, y’a qu’à ! Faut qu’on ! Toute façon, ils ont fait un sondage, tout le monde pense comme moi. Enfin, ils ont interrogé 981 personnes et 67 % pensent comme moi, donc j’ai raison !

Va-t-on laisser madame Michu et les sondages diriger la France ? Est-ce que gouverner, ça n’est pas élever les gens vers le haut en cherchant le bien commun ? Je ne crois pas, monsieur Wauquiez6, qu’on lutte contre la pauvreté en luttant contre les pauvres. Si on n’y prend pas garde, le populisme pourrait bien devenir le cancer de la démocratie.

1 Voir l’encadré à la suite.

2 Revenu de Solidarité Active.

3 Journal mensuel du Mouvement ATD Quart Monde. Site http://www.atd-quartmonde.fr/-Journal-Feuille-de-route-.html

4 .Chronique d’Anne Roumanoff dans Le Journal du Dimanche, samedi 14 mai 2011.

5 Présentateur de télévision français.

6 Homme politique français.

1 Voir l’encadré à la suite.

2 Revenu de Solidarité Active.

3 Journal mensuel du Mouvement ATD Quart Monde. Site http://www.atd-quartmonde.fr/-Journal-Feuille-de-route-.html

4 .Chronique d’Anne Roumanoff dans Le Journal du Dimanche, samedi 14 mai 2011.

5 Présentateur de télévision français.

6 Homme politique français.

Anne Roumanoff

Humoriste française de renom, Anne Roumanoff est également diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris (« Sciences Po »), comédienne, chroniqueuse, rédactrice dans la presse écrite, à la radio, et à la télévision.

CC BY-NC-ND