L’argent, nerf d’une vie quotidienne sans angoisse ni guerre : Joseph Wresinski a livré son étonnement face à l’obsession de ses parents. « ... Ce qui me surprend toujours, malgré les années écoulées, c’est que mes parents ne parlaient que d’argent. Eux qui n’en avaient pas, se disputaient presque sans relâche à cause de lui. Quand quelque argent rentrait au foyer, ils se querellaient sur la manière de le dépenser… »1.
Dans ce dossier, les militantes de Lille et les participants à l’Université populaire d’Île-de-France rappellent l’actualité de cette obsession qui s’apparente à un esclavage. Plus même, la possession d’argent est devenue le seul baromètre de la réussite.
Cependant, si la pauvreté et la précarité financière impactent lourdement les chances de réussite sociale des personnes qui les subissent, celles-ci développent d’autres formes d’intelligence et de résilience dont le monde se prive par méconnaissance. Diana Skelton en affirme ici la réalité. Des expériences s’appuyant sur la capacité d’entreprendre des plus pauvres existent, comme celle basée sur le Cash transfer à Madagascar, dont Bernard Tardieu et Xavier Godinot nous livrent une évaluation nuancée.
Que dire par ailleurs de l’influence de l’argent dans des rapports humains, déséquilibrés par le manque d’un côté, et la volonté de venir en aide de l’autre (action des ONG2, campagnes d’appels aux dons) ? Un jeune burkinabé rappelle : « Pour commencer l’amitié, il faut l’amitié. Si tu commences par donner quelque chose, le jour où tu n’as rien, les gens ne comprennent pas. Alors que si tu as l’amitié, cela ne finit jamais… » Labourant le même terrain, Hyacinth Egner rend compte de la réflexion des volontaires permanents d’ATD Quart Monde à propos de leurs moyens matériels et financiers et de « l’esprit commun » qui les anime dans les décisions à ce sujet.
En France et ailleurs, le refus du partage, de l’assistance ou de la redistribution n’est plus un tabou. Michèle Grenot, historienne, montre comment, depuis des siècles, l’exercice des droits politiques, subordonné à la richesse, exclut de fait les plus pauvres d’une participation citoyenne. Mais certains veillent : au Québec, quelques groupes citoyens ont mis en route un processus de croisement des savoirs avec le Ministère des finances. Vivian Labrie en évoque la fonction de levier non négligeable.
Avec la contribution de Bernard Friot, ce dossier fait enfin une place aux chantiers prospectifs actuels touchant aux politiques innovantes pour que la « vie bonne » soit bonne pour tous : il examine ici la possibilité d’un salaire minimum comme droit politique irrévocable. Bonne lecture.