Le Programme Adoption Sociale à Naples

Giuseppe Cirillo et Paolo Siani

p. 30-34

Traduit de :
Il Programma Adozione Sociale

Citer cet article

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Giuseppe Cirillo et Paolo Siani, « Le Programme Adoption Sociale à Naples », Revue Quart Monde, 235 | 2015/3, 30-34.

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Giuseppe Cirillo et Paolo Siani, « Le Programme Adoption Sociale à Naples », Revue Quart Monde [En ligne], 235 | 2015/3, mis en ligne le 01 février 2016, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6455

L’organisation d’un système intégré d’accueil et de soutien aux familles, depuis la conception jusqu’à l’âge de trois ans, peut contribuer efficacement à l’amélioration de la santé et du bien-être présent et futur, et à la lutte contre l’exclusion sociale, dans le moyen et long terme.

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Liban

Les difficultés sociales et la pauvreté des familles influencent l’état de santé des enfants. Un état de santé précaire dans l’enfance affecte la santé à l’âge adulte. La pauvreté provoque des cicatrices précoces, réduit le développement cognitif de l’enfant et affecte la réussite scolaire et l’insertion sociale et professionnelle tout au long de la vie.

La mise en œuvre d’un programme d’accueil et de soutien aux familles permet d’enrayer un destin d’exclusion sociale qui se dessinait dès la naissance et même avant celle-ci. En agissant dès la naissance et même avant, les services sociaux, sanitaires et éducatifs, qui ont la possibilité de rencontrer toutes les femmes d’un même territoire de la grossesse à l’accouchement, peuvent apporter un soutien précoce – appelé ici « adoption sociale » – à ceux qui en ont besoin, avant même que ceux-ci en ressentent la nécessité et en fassent la demande. Souvent d’ailleurs, la personne dans le besoin ne sait pas à qui s’adresser ou adresse sa demande de manière inappropriée et en frappant à la mauvaise porte.

Quelques données sur la pauvreté et l’exclusion sociale dans le sud de l’Italie

La pauvreté des enfants en Italie est en croissance constante. En 2012, les enfants dans la pauvreté absolue étaient 1 058 000 (10,3 % de la population de référence), en 2013 étaient 1 434 000 (13,8 %). Cette pauvreté a évolué en particulier pour les familles comptant au moins trois enfants mineurs : de 13,6 % à 21,9 % dans le Nord de l’Italie et de 40,2 à 51,2 % dans le Sud.

La crise économique que nous traversons depuis 2008 n’a fait qu’accentuer la spirale de la pauvreté et l’exclusion sociale qui implique également les mineurs. Parmi les 41 pays les plus riches, l’Italie occupe la 33e place et son taux de pauvreté des enfants est passé de 24,7 % en 2008 à 30,4 % en 2012. En Campanie en 2008 le nombre de bébés nés de mères de moins de 20 ans était de 1 840, 3,2 % du total, contre 1,2 % pour l’ensemble de l’Italie. A Naples, ce chiffre atteint 4,2 % avec des pointes de 4,6 % dans la zone au nord de Naples. Toujours en Campanie, le pourcentage de mères ayant un degré d’éducation inférieur ou égal à 8 années de scolarité est de 42,5 %. Celui des mères avec le seul degré d’éducation primaire est de 4,9 % et de 6,5 % pour la ville de Naples. Le pourcentage de mères qui travaillent en Campanie (36,6 %) et à Naples (33,1 %) est inférieur à la moyenne nationale (60 %).

Les raisons d’une intervention précoce, son contenu et ses bénéficiaires

Une trajectoire de vie sous le signe d’un destin fatal, l’exclusion et la marginalisation se perpétuant de génération en génération, l’inégalité des chances, sautent aux yeux de tous les observateurs. On retrouve ces facteurs dans le domaine de santé (risque accru de maladie et de mortalité), dans celui de la scolarité et de la formation (moindre accès à la connaissance, réduction de la performance dans l’apprentissage), celui du travail (moindre qualification, travaux pénibles et sous-payés), et de l’insertion sociale (marginalisation, déviance).

Pourquoi intervenir ?

Les effets principaux attendus et démontrés des interventions visant à soutenir les capacités parentales sont :

  • pour les enfants, un meilleur développement cognitif, émotionnel et physique, une réduction des problèmes de comportement et des difficultés d’apprentissage, de meilleurs résultats psychosociaux à l’âge adulte, une meilleure capacité parentale ;

  • pour les parents : une réduction de la prévalence à la dépression et à l’anxiété maternelle (et paternelle), une meilleure estime de soi, une meilleure santé reproductive des mères ;

  • pour les familles : de meilleures relations intrafamiliales, de meilleures relations sociales, un meilleur usage des services de santé.

D’autres effets ont été observés comme la réduction des grossesses chez les adolescents, une meilleure évolution des grossesses, une réduction des cas de négligence et de mauvais traitements, une réduction des cas de difficultés scolaires, une réduction du décrochage scolaire, une augmentation des taux d’inscription scolaire dans l’enseignement secondaire supérieur et à l’Université, une augmentation de la qualification de la main-d’œuvre, une réduction du recours aux médicaments, une réduction des accidents et de la criminalité. Tout cela entrainant dans tous les domaines une baisse sensible des dépenses, le coût des interventions précoces se révélant bien inférieure à celui de toutes les interventions réparatrices dans l’ensemble des domaines cités.

Quelles interventions et pour qui ?

Les programmes d’aide et de soutien précoce sont vitaux. Ils doivent être maintenus pendant une longue période. Une priorité plus grande doit être accordée à des interventions au tout début du cycle de développement, de la naissance jusqu’à trois ans. L’investissement doit être proportionnel au niveau social, assurant un soutien efficace aux parents, depuis la grossesse et jusqu’à l’entrée de l’enfant à l’école.

La mise en œuvre des actions visant à réduire les inégalités en matière de santé ne nécessite pas un programme de santé distinct, mais des actions transversales au sein de la société entière. Pour réduire les inégalités sociales, les actions de santé doivent être universelles, en se déployant avec une ampleur et une intensité proportionnelle au niveau de désavantage social : nous parlons d’universalisme proportionnel. Le système de soins a une importance considérable et doit être fondé sur quatre piliers qui comprennent :

  1. un continuum de services allant de la thérapie individuelle à la prise en charge dans un foyer familial (casa famiglia) ;

  2. la coordination des services de sorte qu’une famille puisse passer d’un service à l’autre sans interruption des prestations et du suivi ;

  3. la personnalisation des services de manière à ce qu’ils se mettent au service de l’enfant et de la famille plutôt que de prétendre que les familles se conforment aux exigences des services ;

  4. une compétence culturelle dans les services pour avoir les connaissances professionnelles relatives à la culture des familles et de la communauté.

Le programme Adoption sociale

Le programme est à l’initiative de l’ACP, et du Département de la Dignité, (nouveau nom du Département des Affaires sociales), de la ville de Naples, dans le cadre du programme Napoli bambini d’Europa. Les pédiatres de l’Association Culturelle Pédiatrique (ACP) avaient pris conscience de l’impact des composantes sociales sur la santé des enfants et des familles. Ils ont élaboré avec détermination un projet, baptisé Adoption Sociale. Ce programme est le premier projet italien de soutien précoce à la famille après la naissance d’un enfant.

Le parcours mis au point visant à « changer la trajectoire » des familles les plus défavorisées avait besoin de déterminer un ensemble d’indicateurs de risque, tels que la scolarité et l’âge de la maternité, le chômage et l’emprisonnement, la dépendance de l’alcool et des drogues, la surpopulation et les pathologies chroniques. Déceler dès la naissance la présence de ces facteurs permet l’inclusion de l’enfant et des parents dans un parcours sûr, assurant une continuité des soins et leur offrant un réel soutien au moment où ils sont les plus fragiles, c’est-à-dire lors du retour à la maison. D’emblée, on a donc accordé une très grande à l’importance des interventions au domicile des intéressés.

Grâce à la loi de réforme des services sociaux - Loi n.328 de 2000 - et à un financement européen, le programme a été mis en œuvre, de 2009 jusqu’en 2012, en partenariat avec les organisations de santé locales, avec d’autres institutions, avec le secteur associatif et du volontariat. Pendant trois ans, à Naples et dans sept divisions administratives de la région Campanie, 16 555 naissances ont été ciblées, avec un financement d’environ trois millions d’euros.

Le programme, basé sur l’expérience acquise au cours des années précédentes, a connu deux changements fondamentaux. D’abord, la définition de l’équipe territoriale intégrée (ETI), une équipe sociale et multidisciplinaire, qui se réunit régulièrement pour soutenir les intervenants et définir les projets personnalisés et le plan d’action pour et avec les familles. Ensuite, l’introduction d’opérateurs de proximité, appelés tuteurs familiaux, ayant une formation essentiellement pédagogique, et qui développent une relation directe de soutien aux familles, y compris à domicile.

Les bénéficiaires du programme, dans la dernière formulation, sont les familles qui viennent de se former et / ou qui se trouvent en situation de difficulté ou de détresse :

  1. Les familles qui viennent de se former à la naissance d’un enfant, présentant un ou plusieurs des indicateurs de risques suivants :

  2. Mère âgée de moins de 20 ans
      - Niveau d’éducation de la mère inférieur ou égal à l’école primaire
      - Famille monoparentale
      - Logement précaire et / ou cohabitation
      - Père au chômage
      - Maladies chroniques invalidantes chez les parents
      - Un parent en prison
      - Un parent d’origine étrangère.

  3. Les familles nombreuses à risque social

  4. Les familles avec enfants atteints de maladies invalidantes

  5. Les familles qui reçoivent des enfants en adoption et en placement familial

  6. Les familles où le/les parent(s) présentent un malaise psycho-social (dépression post-partum, problèmes relationnels au sein de la famille, dépendance de l’alcool ou de la drogue…)

Le modèle général de fonctionnement implique quelques étapes de base :

  1. Accueil socio-sanitaire au moment du cours de préparation à la naissance et au moment de la naissance et, dans les dix jours suivant la naissance, mise en relation avec l’Unité opérationnelle Mère-enfant du territoire de résidence de la maman.

  2. Accueil sur ce territoire, évaluation multidimensionnelle de la situation, élaboration d’un projet personnalisé et d’un plan d’action.

Si des premières données recueillies lors de la prise en charge à l’intérieur de l’Unité Mère-Enfant émergent des conditions problématiques, la situation est examinée lors d’une réunion bimensuelle de l’Équipe territoriale intégrée (ETI), comprenant un coordonnateur social, un coordonnateur de la santé, le coordonnateur des tuteurs familiaux, un coordonnateur de l’Unité mère-enfant.

L’ETI, éventuellement complété par d’autres acteurs pertinents, y compris le réseau tutoriel informel, évalue les besoins et les problèmes familiaux et élabore, en le partageant avec la famille qui y souscrit, le projet personnalisé, comprenant le plan d’action, ses modalités, son calendrier et ses acteurs. Elle identifie le coordonnateur pour la famille, qui a la tâche d’être l’interlocuteur privilégié de la famille et de maintenir des réseaux de relations autour d’elle. On apprécie aussi la nécessité et les modalités des visites à domicile qui sont menées en général par des tuteurs des familles.

Une expérience à généraliser

Depuis 2013, le programme est suspendu dans la région et n’est plus financé, même s’il reste inclus comme une priorité dans le plan social régional.

L’ACP estime cependant, que ce programme doit devenir un modèle d’intervention pour le soutien de la santé et de l’éducation pour les parents et les enfants dans les mille premiers jours depuis la conception jusqu’à la troisième année de vie de l’enfant. Pour cette raison, en collaboration avec d’autres organisations qui travaillent avec les enfants, l’ACP vise à promouvoir une loi prévoyant le caractère obligatoire de ce modèle de soutien, comme chemin coordonné d’accueil et d’accompagnement précoce intégré et multidimensionnel, dans tout le territoire national, de toutes les mères pendant la grossesse et jusqu’aux trois ans de leur enfant1.

1 Références bibliographiques : Cirillo G, Siani P., Tamburlini G., I bambini a rischio sociale, generazioni a perdere o investimento sociale, Napoli

1 Références bibliographiques : Cirillo G, Siani P., Tamburlini G., I bambini a rischio sociale, generazioni a perdere o investimento sociale, Napoli, Edizioni Scientifiche Italiane, 1996. Cirillo G., G. Aurelio, G. Attademo, et al., Adozione Sociale, il Programma, Napoli, Ed. Ad est dell’Equatore, 2014. D’autres références bibliographiques, principalement anglo-saxonnes, seront disponibles sur la version en ligne de cet article.

Giuseppe Cirillo

Giuseppe Cirillo, pédiatre, ancien directeur du Département des programmes sociaux et de la santé de l’Autorité Sanitaire Locale Napoli 1, directeur du Centre de recherche pour l’intégration et la santé sociale de la ville de Naples.

Paolo Siani

Paolo Siani, pédiatre, directeur du service de pédiatrie de l’hôpital Santobono de Napoli, président de l’Association Culturelle Pédiatrique, sont responsables techniques et scientifiques du programme Adoption Sociale pour la région de Campanie et la ville de Naples.

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