L’enfant né dans un environnement démuni prend connaissance de sa pauvreté en naissant. Dans son corps, dans son psychisme, dans l’ambiance de la maison, il la ressent, même s’il ne fait pas encore de comparaison avec d’autres enfants. Plus encore la sait-il dès qu’il sort du quartier ou dès qu’il entre à l’école. Mais il n’a pas d’images et de mots pour l’accompagner dans cette expérience.
L’enfant qui n’est pas né pauvre prend connaissance de la pauvreté par les copains d’école : il côtoie ceux qui ne peuvent payer la cantine, ceux qui ne vont pas en classe de neige ou ne peuvent avoir aux pieds des chaussures de marque, et ceux dont les parents sont dénigrés, discriminés, ceux qui ont une « aide » ou « une assistante sociale » ou ceux dont le père est au chômage ou en prison par exemple (ce qui n’est pas l’apanage des pauvres mais tout se sait plus vite en milieu de pauvreté !)… Cet enfant-là n’a pas plus souvent accès à des images et des mots qui l’accompagneraient dans cette expérience.
La différence ainsi vécue, si on ne prend pas le temps de s’y attarder, si on ne s’efforce pas d’y voir plus clair avec l’enfant, peut facilement se transformer en souffrances indicibles, et/ou en préjugés. Plus grave, même les similitudes (par exemple la part d’insouciance de l’enfance, les rêves, l’amour filial si total, l’affection des parents) ne sont pas perceptibles parce qu’elles se manifestent de manière incompréhensible, et deviennent non lisibles
Le risque, nous le constatons chaque jour, est donc de séparer les enfants, de juger les parents, de condamner sans savoir, d’ériger des barrières et de justifier la nécessité de traitements « particuliers », en général dégradants, niant l’humanité des uns et des autres. En effet, celui qui assiste sans comprendre à une mise à l’écart se ressent comme « complice » ou en tout cas est « humilié lui aussi » car il n’a pas pu manifester sa véritable humanité. Tous les enfants donc, y compris ceux qui ne vont pas à l’école, qui mendient aux portes de nos églises, de nos marchés, de nos parkings, - et peut-être davantage encore ceux que les parents ont mis à l’abri dans des institutions scolaires préservées - ont besoin de pouvoir parler, d’échanger, de partager. Ils doivent pouvoir être aidés par une réflexion profonde des adultes sur ce monde où ils vivent et dans lequel la pauvreté existe et touche des enfants, gravement. Ils ont besoin d’images et de mots pour prendre part à la vie des autres.
Nous aimerions, dans ce dossier, faire non seulement état des émotions bouleversant les enfants, mais dépasser ces émotions, passer de la contagion émotionnelle à l’empathie sociale. L’expression artistique se révèle pleine de ressources dans ce processus.