Le Canada, pays riche et prospère, engendre aussi son lot d’individus miséreux, incluant des milliers d’enfants. Au Québec, une des dix provinces qui compose ce vaste pays, les récentes statistiques révèlent que près de cent mille enfants vivent au sein d’une famille bénéficiant de l’aide de dernier recours. À ceux-ci s’ajoutent cinquante mille individus de moins de dix-huit ans vivant aussi dans un contexte de précarité financière. Affectés non seulement par la dure réalité de leur insécurité, ces derniers, tout comme leurs parents, font face à une panoplie de préjugés liés à leur condition sociale. L’impact néfaste des idées préconçues à l’égard des « moins bien nantis » a amené les instances politiques concernées à investir dans des initiatives de lutte aux préjugés liés à la pauvreté. C’est ici que certains organismes communautaires entrent en jeu. Ainsi, par l’obtention d’un appui financier et, entre autres, grâce à la collaboration de quelques partenaires du secteur de la santé, des projets novateurs voient le jour.
Répertorier les préjugés liés à la pauvreté et en mesurer les conséquences
L’Abitibi-Témiscamingue est une région où l’industrie minière et forestière domine. Autour de cent quarante-huit mille habitants occupent ce territoire. L’exploitation des ressources premières bat son plein et génère des milliards de dollars au profit de diverses entreprises mais a aussi pour conséquence de creuser l’écart entre les riches et les pauvres. Maintes situations telles que : une pénurie de logements sociaux, l’inflation du marché immobilier, un montant d’aide sociale nettement insuffisant, un salaire minimum inadéquat… conduisent plusieurs familles, souvent des femmes monoparentales, vers un statut précaire et une exclusion sociale. Face à ce regrettable constat, la Table d’action contre la pauvreté de l’Abitibi-Témiscamingue a fait appel aux services d’une chargée de projet, en l’occurrence moi, afin de concevoir et d’animer des ateliers de lutte aux préjugés liés à la pauvreté, et ce, essentiellement auprès des jeunes. Dans le cadre de cette animation, je répertorie, entre autres tâches, les qualificatifs attribués aux gens vivant dans un contexte de pauvreté. Il me semble primordial de citer ceux couramment utilisés par les jeunes : « mendiant, noir, sale, paresseux ».
Il s’avère que, dans la région qui nous concerne ici, le phénomène de mendicité est exceptionnel pour ne pas dire quasi inexistant. Quant aux minorités dites « visibles », expression utilisée dans le langage administratif canadien pour désigner les personnes autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n'ont pas la peau blanche, ces minorités représentent un très faible pourcentage d’habitants et ne rencontrent pas davantage de difficultés financières. L’influence des médias mondiaux de masse paraît, compte tenu du contexte, l’explication la plus plausible relativement à ces préjugés. Quant aux deux qualificatifs « sale » et « paresseux », ceux-ci semblent ancrés dans la croyance populaire québécoise et sont vraisemblablement véhiculés par le milieu familial, par certains dirigeants politiques ou quelques célébrités issues du monde de la télévision, de l’humour ou des médias sociaux. Inévitablement, ce type de paroles engendre une série d’émotions négatives chez bon nombre d’enfants pauvres (humiliation, rejet, jalousie, agressivité, haine).
Des actions novatrices auprès des jeunes
Une fois la démarche d’identification des préjugés effectuée, un processus de déconstruction de ces dits préjugés est entamé sous forme de jeux. Ensuite, les participants abordent, en équipes constituées au hasard, un texte écrit en vers, qui illustre d’un côté, divers personnages empreints de préjugés, et de l’autre, différentes personnes vivant de l’exclusion sociale. Avec certains accessoires mis à la disposition des élèves et sous la forme d’un « rap » - un genre qui suscite généralement de l’intérêt chez la clientèle visée -, les prestations sont alors présentées devant le groupe, et ce, après un certain temps de préparation. Cette activité permet de sensibiliser les jeunes sur les conséquences néfastes de leurs idées toutes faites. L’utilisation de cette forme artistique constitue ainsi une formidable occasion d’encourager le dialogue, l’empathie et la générosité. Les barrières de la différence tombent, permettant à tout un chacun de s’exprimer par le biais de l’art théâtral.
Parallèlement aux ateliers, un spectacle interactif : Des tonnes de préjugés ! est également offert aux établissements scolaires. Interprétée par deux comédiennes professionnelles, l’œuvre allie à la fois, le théâtre et la vidéo, et nécessite la participation active du public. Ainsi, les spectateurs sont amenés à monter sur scène afin d’illustrer des images ou de briser des préjugés. Puis, en conclusion du spectacle, ceux qui le désirent peuvent échanger avec les artistes ou produire un « selfridge »2. 3
Une conscientisation profitable à tous
Les répercussions positives tant à l’issue de l’atelier que de la représentation théâtrale sont palpables. Ainsi, l’art représente un moyen de cheminer vers une société plus égalitaire. Les participants prennent conscience des répercussions néfastes de la pauvreté et développent de l’empathie pour les plus démunis de leur entourage. Les enfants pauvres se sentent mieux admis et ont l’opportunité de voir sur la scène des images et d’entendre des mots associés à leurs souffrances. Ces moyens de sensibilisation permettent également aux enseignants d’assurer une continuité en classe, soit par le biais de travaux scolaires portant sur la thématique, soit par la réalisation de différents « selfridges » ou encore par la collecte de fonds, de denrées, de vêtements… Voilà que le développement d’une conscience sociale s’opère, et ce, pour le plus grand bénéfice de tous.