Quel souffle anime nos engagements ?

Victor Grèzes

p. 48-51

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Victor Grèzes, « Quel souffle anime nos engagements ?  », Revue Quart Monde, 245 | 2018/1, 48-51.

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Victor Grèzes, « Quel souffle anime nos engagements ?  », Revue Quart Monde [En ligne], 245 | 2018/1, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7174

Répondant aux questions du Comité de rédaction de la Revue, Victor Grèzes reprend les idées défendues dans son livre Je suis athée, croyez-moi1.Pourquoi et comment à l’âge de 20 ans, en 2013, intrigué par la foi de ses amis croyants, il entame un tour du monde de dix mois avec quatre jeunes : juif, chrétien, musulman, agnostique. Partant du principe que « croire » ou « ne pas croire » est une affaire de choix, il déroule le fil de sa construction spirituelle d’athée à travers cet incroyable voyage sur les cinq continents.

Q. : Vous avez été engagé dans le syndicat lycéen très jeune, qu’est-ce qui a motivé votre engagement ?

Victor Grèzes : À dix-sept ans, je venais de rentrer d’une année de césure dans un lycée en Afrique du Sud dans le cadre des échanges de jeunes du Rotary Club, et le retour sur les bancs de l’école en seconde en Auvergne a été un peu difficile […]

En faisant aujourd’hui une relecture huit ans plus tard, je réalise à quel point ces années de lycée ont été fondatrices pour moi. J’ai commencé par m’investir dans les instances lycéennes (Conseil de la Vie Lycéenne, CA, etc.), puis est arrivé le temps de mes premières mobilisations lycéennes : les réformes du lycée menées par les ministres de l’Éducation Xavier Darcos, puis Luc Chatel. Je suis poussé par mes camarades à m’engager, à aller parler en leur nom, et j’y prends goût. De fil en aiguille, je me retrouve engagé dans un syndicat lycéen au niveau local puis national, et enfin après deux ans, je deviens représentant des lycéens français au niveau européen. Ces engagements me permettent de comprendre qu’on ne peut pas se contenter d’avoir une vision locale mais qu’il faut au contraire se forcer à prendre en compte les problèmes de façon globale et mondiale.

C’est aussi l’occasion de mes premiers débats sur cette notion un peu abstraite pour moi à l’époque de « laïcité », de « vivre ensemble », de comment « faire société ». C’est là que je commence à réaliser à quel point je manque de connaissances et combien ces enjeux autour du « vivre ensemble / faire ensemble » allaient être centraux dans les dix années à venir pour la cohésion de ce pays. Jusqu’à présent, il me semble que cette intuition est toujours bonne.

Q : Qu’est-ce qui a motivé votre envie de comprendre les personnes (et les jeunes) croyants qui semblaient puiser dans une foi en un dieu la force de leur engagement ?

V. G. : En réalité, c’est cette phrase prononcée par un ami proche ces mêmes années qui m’a beaucoup fait réfléchir : « Je suis suffisamment amateur d’art, d’histoire et de science pour savoir combien la foi a joué un rôle majeur, et j’aime assez la philosophie pour arriver par la raison à me dire que je suis athée ». Locke et Voltaire n’étaient-ils pas déistes ? Et moi, je suis convaincu d’être athée, je reconnais plus qu’humblement leurs apports à la définition de notre monde moderne, sans pour autant me sentir inférieur car athée ! Cela voudrait-il dire qu’une diversité d’approches spirituelles n’est pas forcément mauvaise ? Et si c’était une richesse ? Ceci étant posé, un champ infini de possibles s’ouvre alors à nous. Puis, rencontrant l’association Coexister2 par hasard au détour d’une amitié à la fac, j’apprends à faire une distinction majeure qui me changera la vie et redessinera mes engagements : celle de différencier la foi et la place de la religion dans la vie des gens d’une part, et les structures religieuses comme institutions d’autre part.

Ce faisant, il devenait nécessaire de mieux comprendre, de sortir de l’ignorance, et si possible de mieux se connaître soi-même en apprenant à connaître les autres. Repensant à la célèbre phrase de Martin Luther King : « Vivons ensemble comme des frères ou nous périrons ensemble comme des imbéciles », je crois que l’enjeu central de ma démarche est donc bien celui-là : ne pas rester un imbécile, un ignorant qui parle de quelque chose qu’il ne connaît pas, qu’il n’arrive pas à appréhender, même s’il en a très envie. Si mes études me permettent d’apporter des premières réponses à ces questions, notamment en histoire, je sens rapidement que c’est d’une approche empirique dont j’ai besoin, et Coexister était alors et demeure toujours le meilleur laboratoire au monde pour parler de « vivre ensemble » chez des jeunes, après le scoutisme.

À ce moment-là, je ne savais pas encore dans quoi je puisais la force de mon engagement, mais je rencontrais de plus en plus de jeunes qui, eux, trouvaient dans leur religion la force du leur, ce qui m’a toujours fasciné autant qu’intrigué.

Comprendre la « foi » des autres était peut-être ce qui m’a motivé à pousser la porte de Coexister, mais ce n’est pas du tout ce qui m’a poussé à y rester. Ce qui fait que je suis toujours dans l’association et que j’en ai même fait mon métier, c’est que j’y ai découvert quelque chose que je n’avais jamais ressenti de façon aussi spontanée chez des inconnus auparavant : de la bienveillance et une immense joie de vivre.

Contrairement à ce que certains pourraient penser, nous sommes très loin d’être des « bisounours ». Nous avons des discussions sur le fond, sur les sujets qui fâchent. Attention, je ne dis pas que c’est facile, ça demande un très gros effort sur soi, et parfois il y a des tensions. Mais c’est parce que nous avons une méthode bien rodée (Communication Non violente, privilégier le respect à la tolérance, mettre en œuvre la Coexistence Active, etc.) que nous arrivons à les dépasser. L’aboutissement est alors d’accepter que sur certains sujets nous sommes « d’accord pour ne pas être d’accord », ce qui ne nous empêche pas d’avancer autour d’objectifs communs.

Q : Le mouvement Coexister se fonde sur des actions de solidarité. Comment les actions menées avec des personnes de convictions diverses se bâtissent-elles concrètement ? Quelles peuvent être les difficultés, les forces ? Avez-vous un exemple concret, dans un quartier, de coopération entre jeunes d’origines sociales différentes ?

V. G. : La finalité de Coexister est de favoriser le lien social et l’amitié entre jeunes de différentes convictions spirituelles, religieuses ou philosophiques ; par la coopération et la mise en œuvre d’actions communes au service de la société et de l’intérêt général.

Ainsi, la question de la solidarité est au cœur de cette volonté de coopération. Elle permet de faire vivre l’unité autour d’une action commune de service. Agir ensemble avec toutes nos différences au service de la société est un pas de plus vers la coexistence active. Nous incarnons ainsi la règle d’or : « Fais à l’autre ce que tu veux que l’on te fasse ». Cette règle fait office d’invariant convictionnel commun à toutes les traditions philosophiques, spirituelles ou religieuses. « Faire ensemble » permet, au-delà des seuls mots échangés, d’avoir un impact concret dans la société. Les opérations de solidarité de Coexister permettent de rassembler autour d’une action commune de service. Dans la difficulté d’une opération de solidarité à mener sur des terrains parfois difficiles les coexistants apprennent la bienveillance et l’empathie. In fine l’engagement solidaire des coexistants leur permet de découvrir et de faire l’expérience d’un intérêt commun pour la justice sociale.

Dans l’opération de solidarité le sentiment du « commun » transcende et dépasse les singularités particulières. La solidarité permet de faire l’expérience d’un « grâce à la différence » qui remplace le « malgré la différence ».

Nous organisons de très nombreuses actions de solidarité sur l’ensemble du territoire français (plus de 370 l’année dernière). Dans Je suis athée, croyez-moi, je raconte ma participation à un projet de tour du monde des initiatives interreligieuses baptisé InterFaith Tour3 organisé par Coexister tous les deux ans. L’une des expériences les plus marquantes pour moi restera une rencontre avec l’association Young Single Mothers du bidonville de Kibera au Kenya. Ces femmes à peine majeures pour la plupart, sont toutes de jeunes mères seules avec enfants en bas âge. Leurs maris les ont abandonnées ou sont décédés, et elles vivent dans la précarité la plus absolue. Elles ont décidé de se regrouper entre elles pour la garde et l’éducation des enfants, afin d’avoir du temps pour leur recherche d’emploi et tenter de se réinsérer. Elles nous ont reçus avec une incroyable humilité et sont un exemple de solidarité au cœur même d’un des quartiers les plus pauvres du pays.4

Q : Dans vos choix actuels au sein de Convivencia5 et de Coexister, qu’est-ce qui nourrit ou anime votre démarche ?

V. G. : J’ai maintenant la chance de transformer mon engagement militant de Coexister vers l’entreprise sociale Convivencia Conseil6 que je préside et qui propose de la formation et du conseil auprès d’entreprises publiques et privées sur la gestion des faits religieux et de la laïcité. Nous avons l’opportunité d’accompagner les plus gros groupes du CAC 40, tout comme des petites associations de quartier, ou encore de former des travailleurs sociaux et des étudiants en école de commerce. Nous sommes une entreprise sociale et l’ensemble des bénéfices est reversé à l’association Coexister. Ce qui nous anime aujourd’hui c’est de toucher tout le monde, dans tous les milieux, et plus seulement des jeunes comme le fait l’association Coexister. Convivencia Conseil et Coexister partagent une même vision : « Agir pour mieux vivre ensemble », mais diffèrent dans leurs missions. L’une accompagne des entreprises, tandis que l’autre anime un réseau de groupes locaux de jeunes dans toute la France.

1 Victor Grèzes, Je suis athée, croyez-moi, Éd. de l’atelier/ Vie Ouvrière, 2016.

2 Coexister - Le mouvement interconvictionnel des jeunes (15/35ans) ; 3000 jeunes adhérents dans 45 groupes locaux en France ; www.coexister.fr

3 www.interfaithtour.fr

4 Quelques images de cette rencontre dans la « vidéo de la semaine » du voyage au Kenya ici : https://www.youtube.com/watch?v=5kiI3pKj2CI (à partir de

5 www.convivenciaconseil.fr

6 La Convivencia est le terme utilisé pour décrire la période de l’histoire de l’Espagne comprise entre 711 et 1492, quand les Musulmans, les

1 Victor Grèzes, Je suis athée, croyez-moi, Éd. de l’atelier/ Vie Ouvrière, 2016.

2 Coexister - Le mouvement interconvictionnel des jeunes (15/35ans) ; 3000 jeunes adhérents dans 45 groupes locaux en France ; www.coexister.fr

3 www.interfaithtour.fr

4 Quelques images de cette rencontre dans la « vidéo de la semaine » du voyage au Kenya ici : https://www.youtube.com/watch?v=5kiI3pKj2CI (à partir de 1 :32).

5 www.convivenciaconseil.fr

6 La Convivencia est le terme utilisé pour décrire la période de l’histoire de l’Espagne comprise entre 711 et 1492, quand les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs vivaient dans une relative paix où les idées culturelles s’échangeaient et la tolérance religieuse était respectée.

Victor Grèzes

Victor Grèzes se définit comme athée par tradition familiale. Mais sa véritable passion est venue de sa rencontre avec Samuel Grzybrowski, qui créa à seize ans l’association Coexister. L’auteur voit dans cette association la preuve que l’interreligieux est un levier indispensable pour la laïcité. Depuis 2016, les deux hommes ont étendu leur champ d’action commun. Ils partagent les responsabilités du groupe Convivienca Conseil qui fournit des conseils pour les affaires, proposant de créer des liens dans l’entreprise.

CC BY-NC-ND