Développer la fraternité

Isabelle Pypaert Perrin

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Isabelle Pypaert Perrin, « Développer la fraternité », Revue Quart Monde, 247 | 2018/3, 1.

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Isabelle Pypaert Perrin, « Développer la fraternité », Revue Quart Monde [En ligne], 247 | 2018/3, mis en ligne le 01 mars 2019, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7461

Une crise migratoire sans précédent perturberait l’Europe, entendons-nous chaque jour. Des chiffres inventés pour faire peur circulent. Devant tant d’inconnues, les textes et les discours énoncent des catégories. Il y a les réfugiés, ceux qui risquent la prison, la torture, la mort pour leurs idées, ceux qui fuient les zones de combat, ceux qui peuvent demander l’asile s’ils arrivent sains et saufs au terme d’un voyage impossible. Nous parvenons heureusement parfois à nous reconnaître en eux, nous comprenons qu’ils n’ont d’autre choix. Et il y a ceux qui fuient la pauvreté et « qui n’ont pas vocation à rester » nous dit-on. Mais qui sont-ils, ces femmes et ces hommes que nos pays refusent comme si cela allait de soi ? Ils portent en eux des familles qui affrontent des situations de vie inimaginables. Leur courage, leur énergie, leur inventivité, leur solidarité, ne suffisent pas à leur permettre d’assurer à leurs enfants un toit, la nourriture, la santé, l’éducation. Ils évoquent des jeunes qui grandissent avec la honte de se voir privés d’avenir. Des jeunes qui refusent la fatalité de ces conditions de vie pour eux-mêmes et pour leurs petits frères et sœurs, des jeunes qui ont soif de rencontres qui ouvrent sur un autre monde que la misère, qui cherchent une porte de sortie. Pendant trois ans, ATD Quart Monde a mené une recherche-action participative qui a mis en évidence que la misère est une violence. Une violence qui tue autant, sinon plus, que les guerres. Mais une violence que le monde ignore, refuse de voir, nie en rejetant la responsabilité de son existence sur ceux qui la vivent. « Le plus dur dans la misère, disait une mère de famille, c’est qu’ils te traitent comme si tu ne valais rien, qu’ils te regardent avec dégoût jusqu’à te traiter comme un ennemi ». Étranger même dans son pays !

Si nous remontons dans l’histoire des pays d’Europe, il y a de cela quelques générations, des jeunes, des familles ont quitté leur coin de terre pour fuir la faim et, poussés par l’espoir, ont tenté de trouver un avenir à la ville qui s’industrialisait. Nous n’avons pas gardé mémoire de leur souffrance, ni de leur combat et de leur résistance. Nous avons oublié ceux qui de tous temps ont dû prendre la route, d’une ville à l’autre, d’un canton à l’autre, d’un pays à l’autre, pour trouver de quoi faire vivre les leurs.

Nous remémorer cette histoire nous permettrait sans doute de comprendre autrement ceux qui quittent leur terre natale aujourd’hui, pour nous reconnaître d’une même humanité et développer avec eux la fraternité.

Isabelle Pypaert Perrin

Isabelle Pypaert Perrin est déléguée générale du Mouvement international ATD Quart Monde.

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