Pauvreté : un écho inattendu

Rainer Volz

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Rainer Volz, « Pauvreté : un écho inattendu », Revue Quart Monde [En ligne], 159 | 1996/3, mis en ligne le 05 mars 1997, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/782

En Allemagne, la loi n'institue pas une séparation de l'Eglise et de l'Etat. Les Eglises protestante et catholique contribuent de manière importante aux débats de société. Ensemble, elles ont lancé, en 1994, une large consultation sur la situation économique et sociale du pays.

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Allemagne

Ce n'est pas la première fois que les Eglises allemandes, protestante et catholique, se prononcent sur les questions sociales. Au contraire, au fil des années, les deux Eglises ont élaboré de nombreux textes - les lettres pastorales catholiques ou les « Denkschriften » (papiers de réflexion) protestants - dans lesquels elles prenaient position.

Ce qui est in‚dit et novateur dans cette initiative commune, c'est l'implication démocratique de tous ceux qui se sentent concernés : individus, groupes de réflexion, associations de toutes sortes, partenaires sociaux, partis politiques... Tous se sont retrouvés dans cette consultation.

L'idée d'une telle consultation n'est pas tout-à-fait nouvelle. Au cours des années quatre-vingt notamment, les Eglises catholiques aux Etats-Unis et en Autriche ont organisé de tels débats à grande échelle. Elles réagissaient à la publication des lettres pastorales concernant des questions économiques. Aux Etats-Unis, les résultats de ces enquêtes ont été essentiels dans la lutte contre les effets néfastes de la politique d'austérité reaganienne.

La démarche

En 1993/94, l'Eglise catholique allemande a organisé une série de colloques traitant de questions sociales, économiques et politiques. Y participaient des experts mais aussi des observateurs protestants. Des responsables catholiques ont alors souhait‚ que les deux Eglises définissent une position commune. Au cours de l'année 1994, la Conférence épiscopale allemande a demandé officiellement au Conseil de l'Eglise protestante en Allemagne de participer à l'élaboration d'une telle déclaration commune qui devait donner lieu à une consultation des deux Eglises mais aussi, plus largement, de l'ensemble de la société allemande.

L'Eglise protestante a accepté. En novembre 1994, les deux Eglises ont publié La situation économique et sociale en Allemagne, une base de discussion pour le processus de consultation préalable à l'élaboration d'une déclaration commune des Eglises1

Les réactions à cette publication ont dépassé toutes les prévisions. Au bout d'un mois, cent mille exemplaires étaient déjà distribués. Aujourd'hui, on en a diffusé un demi-million. Ce texte a été intégralement traduit en anglais, en français et en espagnol.

Des associations, des paroisses, des initiatives sociales, culturelles et religieuses, ont réagi à la publication et ont répondu. Des individus, des groupes d'intéressés, ont eux aussi apport‚ des réponses, véritables bases de discussion. Le « Sozialpapier » a aussi provoqué l'organisation de tables rondes, au niveau communal ou régional, autour de questions sociales et notamment autour du problème du chômage. Ainsi, par exemple, une « Volkschochschule » (institution de formation pour adultes) a invité des patrons et des leaders syndicaux de la région, des associations de chômeurs, des hommes politiques locaux et des pasteurs à participer à des discussions sur des mesures communes à adopter pour lutter contre le chômage, pour créer de nouveaux emplois... Parfois de telles confrontations d'idées ont débouché sur une déclaration concernant le papier commun des Eglises.

Environ deux mille réactions ont été envoyées aux deux Eglises. L'Institut catholique des sciences sociales à Bad Honnef en assure le dépouillement et l'Institut en sciences sociales de l'Eglise protestante allemande de Bochum les analyse. Un comité de rédaction prépare, à partir de ces quelque vingt mille pages analysées, la version révisée du papier commun des Eglises. Celle-ci est prévue pour le printemps 1997.

Bien sûr, on attend beaucoup de ce deuxième papier. Pourtant, il est clair qu'il ne pourra satisfaire toutes les attentes car celles-ci sont souvent hétérogènes et contradictoires : elles reflètent, en effet, une société pluraliste avec un échantillon très large d'opinions.

Néanmoins, nul ne nie le fait que l'essentiel de cette consultation en est le processus même. Il est fondamental que beaucoup aient pris conscience de l'importance du problème et en aient profité pour exprimer leur point de vue publiquement. En effet, pour un grand nombre d'engagés, cette consultation fut une occasion d'atteindre un auditoire plus large. Et, finalement, les Eglises ont réussi à lancer un grand débat sur les fondements de notre société et sur les liens sociaux remis en question - débat bloqué depuis pas mal de temps dans la politique « politicienne »

Les enseignements

La pauvreté est un thème parmi d'autres comme le chômage, qui reste un des problèmes majeurs, l'écologie ou la place des femmes dans la société. Néanmoins, ce thème de la pauvreté se trouve parmi les préoccupations premières.

Les constatations générales sur la diversité des réactions se vérifient également pour la pauvreté. Ainsi il n'existe pas de définition unanime des concepts de la pauvreté et de la misère.

Les points de vue sont très divers. Une minorité nie l'existence même des pauvres en Allemagne, arguant du fait que les aides données par l'Etat (la « Sozialhilfe ») éviteraient la pauvreté. Une majorité, au contraire, reconnaît l'existence de la pauvreté et de la misère. Pourtant, les mesures qu'elle propose sont très variées : allant des appels à l' « auto-responsabilité » des pauvres, en passant par des revendications adressées à l'Etat de « ne pas faire des économies au d‚triment des plus faibles », jusqu'aux réactions qui mettent le problème de la misère au centre de leurs réflexions éthiques et politiques. Ces dernières associent la lutte contre la misère à la mise en question de la société toute entière sous le concept de justice sociale. On trouve ainsi la revendication pour une information régulière sur l'état de la pauvreté en Allemagne sous forme d'un rapport annuel financé par le gouvernement fédéral comme cela se fait aux Etats-Unis. Une deuxième revendication est un appel pour une politique et une législation qui assurent une redistribution équitable des richesses et des revenus en Allemagne. En effet, au cours des quinze dernières années, le nombre des pauvres tout comme celui des riches ont considérablement augmenté.

Les mesures concrètes proposées pour lutter contre la pauvreté sont elles aussi très diverses. Elles dépendent de celui qui les initie et du cadre dans lequel il agit. Ce qui est cependant rare, ce sont les points de vue qui soulignent la dimension culturelle de la pauvreté et la misère, notamment l'exclusion des plus défavorisés de la vie sociale et culturelle de notre société. Cet aspect est toujours sous-représenté en Allemagne. Si seulement les lendemains du processus de consultation pouvaient changer cette situation...

1 Ouvrage disponible dans sa version française au SWI, Querenburger Höhe 294, D 44801 Bochum
1 Ouvrage disponible dans sa version française au SWI, Querenburger Höhe 294, D 44801 Bochum

Rainer Volz

Sociologue, Rainer Volz est chercheur en sociologie du travail et de la religion. Il a travaillé un an au laboratoire de sociologie du travail du CNRS à Paris. Depuis 1991, il collabore à l'Institut en sciences sociales de l'Eglise protestante allemande. Il est également animateur de groupes de réflexion sur l'Eglise et la formation des adultes. Il est co-rédacteur d'un texte de réflexion sur la pauvreté en Allemagne Armut in einer reichen Gesellschaft

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