Dans les brumes de Lyon, au tout début du 19e siècle, Laurent Mourguet, ancien canut au chômage, doit nourrir ses dix enfants. Il accepte tous les petits métiers, devient arracheur de dents sur les marchés. À deux pas de là, les marionnettes Polichinelle et Gnafron offrent un dérivatif aux patients. Laurent devient marionnettiste.
Dans une époque mouvementée, alors que Paris contrôle les théâtres et leurs contenus, Mourguet, illettré mais jamais à court d’idées, crée le personnage de Guignol. Son théâtre est ouvert, ambulant. « Tu seras tout le monde et personne, tu auras la langue encore mieux pendue que la mienne ».
L’actualité lui fournit matière à d’infinies variantes. Il s’adresse aux oubliés : gens des campagnes, domestiques, ménagères, mariniers, canuts, parfois aux bourgeois de passage.
Mourguet/Guignol est des leurs. Il porte haut et fort la parole des plus modestes qui n’ont pas les mots. Il les fait rire avec des vérités qui touchent parce qu’ils se reconnaissent. Il leur offre aussi une hauteur de vue.
À leur façon, Guignol et son compère Gnafron luttent contre la faim et la soif, contre l’apathie et la résignation, contre l’injustice. Au détour d’une conversation édifiante : « - Et alors, il ne faut pas donner ? - Il y aurait bien une autre solution, tu vois, plutôt que la charité, ça serait la justice sociale. » Laurent Mourguet « saltimbanque » est mort dans l’oubli. Le voilà réparé. Les pauvres ne font pas mémoire, paraît-il.