Témoigner de sa vie, celle des autres aussi

Paddy Fay

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Paddy Fay, « Témoigner de sa vie, celle des autres aussi », Revue Quart Monde [En ligne], 202 | 2007/2, mis en ligne le 05 novembre 2007, consulté le 17 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/847

« Si on me demande d’où je viens, je dis d’abord « de la rue » et, après, je dis « des quartiers pauvres de Dublin »

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Irlande

C’était dur quand j’étais enfant. Nous étions quatre frères et cinq sœurs. Cela faisait onze personnes dans la famille. Mes frères et sœurs et moi, nous dormions tous dans la même chambre. Ma mère et moi, nous étions très proches. Mon père était un homme bon mais il avait beaucoup de hauts et de bas. Nous avions des amis. Dans les quartiers pauvres de la ville, les familles se connaissaient depuis des générations, parfois depuis les arrière-grands-parents. Les familles s’entraidaient. Mon amie et moi, nous sommes ensemble depuis dix sept ans. Elle aussi a eu la vie dure. Elle me comprend. Il y a peu de gens qui me comprennent...

Avec Peter, j’ai appris les manières, le respect pour les personnes âgées comme pour les jeunes, comment se sentir aimé, comment sentir que tu comptes pour les autres. S’il n’y avait pas eu Peter je ne pense pas que je serais vivant aujourd’hui. Il m’a permis de dépasser la colère que j’avais en moi. Il a toujours été là pour moi et pour ma famille...

J’ai beaucoup vécu à la rue

D’autres dans ma famille sont passés par là aussi. J’ai aussi passé beaucoup de ma vie dans les abris pour les sans logis. Je n’aime pas les abris. Le personnel veut bien faire, mais il manque parfois de respect. On te dit ce qu’il faut faire. On te fouille à l’entrée. Tu dois rentrer à une certaine heure et tu ne peux pas avoir de visites. On te jette dehors à 7 h 30 du matin, à 10 h si tu as de la chance.

Parfois, j’aurais mieux aimé être à la rue. Mais on peut se sentir très seul à la rue. C’est spécialement difficile quand il fait froid et quand il pleut. Si tu es pris par la pluie, tu dois faire attention à tes pieds. Tu en as trop besoin pour te déplacer dans la ville. Un jour, j’étais le long de la voie ferrée, avec six d’entre nous, dans une tente. Nous nous sommes réveillés dans une tente pleine d’eau. Il y a des fois comme ça où j’aimerais me faire arrêter pour avoir un endroit où aller.

Pendant des années, j’ai connu la drogue

Par périodes, tu prends de la drogue pour oublier, mais tu te réveilles le matin avec les mêmes trucs dans la tête.

J’ai aussi fait la manche et tendu la main. Les gens jugent les sans abri d’un regard. Ils ne réalisent pas qu’on ne choisit pas de se retrouver à la rue, sans argent, sans vêtements propres.

Il y en a qui vous insultent. Mais il y en a aussi qui prennent le temps de discuter et même qui te donnent de l’argent pour aller dans un abri.

C’est terrible pour les jeunes femmes à la rue : trouver des toilettes, se laver, changer de vêtements. C’est bien plus dur pour une femme que pour un homme.

La faim dans la rue, ça fait mal ! Je ne peux pas supporter de voir quelqu’un qui a faim. Je partage ce que j’ai.

Dans la rue on « se tient les coudes ». Chaque jour je sais où je peux trouver un peu d’argent. Chacun touche son argent un jour différent, alors chacun partage avec les autres et les soutient.

Mais la vie à la rue est aussi un obstacle pour sortir de la drogue et de la boisson. Cela peut t’empêcher d’aller de l’avant dans la vie.

Je suis content de parler au nom des sans abri

Je suis content de parler au nom des sans abri qu’ils comptent beaucoup pour moi. Nous avons des amis qui sont morts de froid et tous ceux qui sont encore là dehors, qui se gèlent à en mourir. Moi-même j’ai eu ma part de pneumonie.

Je peux aussi parler au nom de ceux qui sont en prison. J’y ai passé beaucoup de temps. Il y a des tas de gens en prison qui ne devraient pas y être. Ce sont toujours les mêmes qui y sont, ceux qui ont eu la vie dure.

En prison, les journées et les semaines sont longues. Les visites sont importantes. Une visite, c’est comme si ta vie s’ouvrait. Chaque mercredi, ma mère venait parce que c’est le jour où elle touchait son argent. J’ai toujours su qu’elle allait venir ce jour-là.

Une lettre, c’est comme une visite. Elle te permet de savoir ce qui se passe dehors et que quelqu’un pense toujours à toi.

C’est important d’avoir une famille

C’est important d’avoir une famille pour t’épauler, que tu aies tort ou raison, que tu sois en prison ou pas. Avec la famille, si bas que tu tombes, il y a toujours quelqu’un qui se fait du souci pour toi. C’est quelque chose dont nous avons tous besoin.

Les plus grands dangers, ce sont la boisson et la drogue parce que cela déchire les familles. Ce qui tient les familles ensemble, ce sont l’amour, le respect et l’aide qu’on se donne.

Les jeunes familles devraient être aidées quand elles dégringolent. Il y a besoin de gens pour leur permettre de remonter la pente quand c’est nécessaire.

Pour qu’il n’y ait plus de pauvreté, il faut que tous aient un endroit décent où vivre et assez pour manger. Il faut qu’il y ait un travail correct pour chacun.

Chez les gens comme nous qui ont connu la galère, jeunes et vieux, il y a beaucoup d’expérience et d’intelligence.

Si les gens en position d’autorité prenaient le temps d’écouter les gens comme nous qui ont connu la vie dure, les choses pourraient changer, pas du jour au lendemain, mais elles changeraient.

Paddy Fay

Agé d’une quarantaine d’années, Paddy Fay a trouvé, tout en étant encore à la rue, la force de manifester son engagement et sa solidarité.

CC BY-NC-ND