François Dubet, Didier Lapeyronnie, Les quartiers d’exil

Ed. du Seuil, Paris, 1992, 246 pages

Françoise de Lacheisserie

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François Dubet, Didier Lapeyronnie, Les quartiers d’exil, Ed. du Seuil, Paris, 1992, 246 pages

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Françoise de Lacheisserie, « François Dubet, Didier Lapeyronnie, Les quartiers d’exil », Revue Quart Monde [En ligne], 153 | 1995/1, mis en ligne le 20 mai 2020, consulté le 26 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9005

Au début, avant 1848, il y avait les « classes dangereuses », pauvres de tous temps et provinciaux déracinés. Puis vint la société industrielle et républicaine. Les conflits de travail intègrent classe ouvrière et dirigeants. Toute la société et l’idéologie s’organisèrent selon les lignes de force et les valeurs du travail, s’appuyant sur les institutions (famille, citoyenneté et démocratie.)

A la fin, la modernisation de l’industrie vida la classe ouvrière et la lutte des classes de leur contenu. Aux indigents succèdent les exclus, aux quartiers rouges succèdent les quartiers d’exil. Là, les familles n’ont plus droit de regard sur l’espace commun. Les jeunes contrôlent pelouses, caves et cages d’escalier. Les bandes éphémères investissent ces espaces, les « sécurisent », en même temps qu’elles fracturent la société, renvoyant les individus à leur impuissance et à leur anonymat.

Les jeunes immigrés, plus visibles et assimilés culturellement, cristallisent le rejet de cette désorganisation et de cette exclusion. Ils sont identifiés en tant que groupe par le racisme dont ils sont l’objet.

L’allongement de l’âge jeune - ni enfant, ni adulte - repousse à plus tard l’accès à la société de consommation. Alors, les jeunes organisent cette période à leur façon. C’est la galère, temps employé à se chercher entre eux et à se rejeter : petite délinquance pour accéder tout de suite à la consommation ; rapines de collégiens ; marchés de la débrouille et de la drogue pour les plus grands ; identification au groupe et au territoire habituels. Niche chaude et enfermement. La rage d’y tourner à vide éclate en émeutes sans suite, attisées souvent par la présence de la police qui représente la coalition de tout ce - ou est-ce tous ceux ? - qui exclut les jeunes.

Les politiques sociales, pensées pour tracer des itinéraires d’insertion au monde du travail, se diversifient et s’adaptent au coup par coup pour colmater les brèches et assurer la sécurité des frontières entre exclus (dehors) et inclus (dedans).

Les pouvoirs locaux reprennent de l’importance et cherchent comme interlocuteurs des médiateurs « du coin », ceux dont l’insertion est en marche, un pied dedans, un pied dehors. Le plus souvent, ces médiateurs s’épuisent et, avec le sentiment d’être traîtres des deux côtés à la fois, ils finissent par quitter leurs quartiers, les laissant encore plus démunis.

Les travailleurs sociaux s’efforcent d’impliquer dans leurs actions les bénéficiaires qui, dans le meilleur des cas, rejoignent cette profession. Mais le dialogue social ne s’instaure pas toujours car les pouvoirs locaux ne se conjuguent pas comme une démocratie locale.

Les interventions sociales s’épuisent car demeurent insatisfaites les aspirations essentielles telles que le besoin de chacun d’être accepté dans son individualité, le besoin d’être vu et entendu avec son histoire et ses racines, d’une part, et aussi le besoin de reconnaissance d’une utilité sociale.

Si l’on veut vivre ensemble, ces deux derniers besoins doivent être reconnus et acceptés comme les termes du conflit. Ils sont communs à ceux du « dedans » et ceux du « dehors », leur développement dialectique, mis au cœur de la réflexion et de l’action politiques, devrait enclencher un processus d’intégration.

Les terrains d’observation des auteurs sont les banlieues françaises, médiatisées par les émeutes récentes et les Etats-Unis en référence. Même si l’ouvrage ne parle que des ouvriers, on y reconnaît bien des situations et des comportements observés chez des jeunes d’autres milieux.

Les très pauvres sont absents de ce livre. Ils sont mis hors-jeu sous le titre de « clochard folklorique ». Ils ne sont jamais nommés individuellement mais amalgamés dans des groupes. L’enjeu, pour ce livre, qui est une analyse sociologique globale, est de comprendre ce qui se vit dans ces groupes pour les intégrer au reste de la société. L’ouvrage couvre-t-il pour autant l’ensemble de la réalité des pauvres ?

Si la situation est dépeinte avec justesse, les ouvertures de l’ouvrage vers des solutions sont minces et son objectif flou. L’analyse de la société, structurée autour de l’industrie, se limite à la question de l’accès au travail salarié, de plus en plus difficile. Le désir d’une société intégrée tel qu’il est décrit finit par ressembler énormément au désir des jeunes en galère, nostalgiques d’une niche communautaire chaude, se fracassant en de multiples et minuscules dialogues entre ceux du dedans et ceux du dehors.

CC BY-NC-ND