Ernest J. Gaines, Dites-leur que je suis un homme

Ed. Liana Levi, 1994 300 pages.

Ronan Claure

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Ernest J. Gaines, Dites-leur que je suis un homme, Ed. Liana Levi, 1994 300 pages.

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Ronan Claure, « Ernest J. Gaines, Dites-leur que je suis un homme », Revue Quart Monde [En ligne], 154 | 1995/2, mis en ligne le 20 mai 2020, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9014

Dans le sud des Etats-Unis, pendant les années quarante, Jefferson, un noir américain, est condamné à mort à la suite d’un meurtre auquel il a assisté. Pour le défendre, son avocat plaide l’irresponsabilité : « Ce n’est pas un homme, c’est un cochon, incapable de mesurer la portée de ses actes ».

Sa marraine, seule famille qu’il lui reste, demande alors à l’instituteur du village, noir américain lui aussi, de faire en sorte que Jefferson parvienne à monter sur la chaise électrique comme un être humain. Après avoir longuement hésité, cet instituteur va amener le condamné à retrouver sa dignité d’homme, pour l’honneur de sa famille et de sa communauté.

Ce livre nous propose un témoignage sur la condition des noirs avant la naissance de la lutte pour les droits civiques. Nous y découvrons un peuple méprisé et humilié en permanence. Les personnes n’immigrant pas vers les grandes villes sont vite brisées : l’alcool et la violence entraînent des ravages. Confronté à cette réalité, l’instituteur est écœuré, dégoûté ; il se sent incapable de proposer une quelconque perspective aux enfants qui fréquentent son école.

Pourtant, c’est avec Jefferson qu’il va découvrir petit à petit un terme de l’alternative. Aider Jefferson à affirmer sa dignité, c’est permettre à toute une communauté de relever la tête, d’affirmer leur humanité et leur égalité avec les blancs. Cependant, il lui faudra passer par bien des doutes, des peurs. Que faut-il faire face à trois siècles de mépris, face à l’incompréhension du pasteur dont la seule préoccupation est d’aider Jefferson à trouver Dieu avant de mourir, et surtout face au mépris que Jefferson éprouve pour lui-même ?

De plus, l’instituteur doit subir de nombreuses humiliations pour pouvoir accomplir sa tâche. Il doit rester humble, tenir son rôle de « nègre » devant eux qui ont tout pouvoir sur le prisonnier et, en particulier, le shériff. Une présence attentive, régulière, sans relâche va lui permettre de nouer le dialogue avec le condamné. Dans sa cellule de prison, Jefferson se prenait pour un cochon, ne parlait pas, ne mangeait pas. En lui offrant un crayon et un carnet, l’instituteur lui permet de témoigner de sa vie – même s’il a beaucoup de mal à écrire – et de comprendre que lui seul peut être le héros de toute sa communauté, que lui seul peut leur donner l’espoir en affrontant dignement sa peine de mort.

Ce livre montre qu’il n’y a pas de fatalité ni de l’exclusion ni du mépris. Grâce à la persévérance d’une mère de famille, un homme qui s’est extrait de la communauté par le savoir va s’engager et persévérer aux côtés du moins cultivé, du moins vif de tous. Grâce au soutien de ses proches, en particulier de Viviane, sa fiancée, elle-même institutrice dans le village voisin, il va pouvoir partager ses doutes, trouver la force qui lui est nécessaire pour ne pas renoncer. Enfin, Paul, l’adjoint du sheriff – blanc bien sûr – sera un allié sûr et indispensable à la réussite de ce projet. C’est toute une communauté qui va trouver une raison de croire en elle à travers le courage de Jefferson.

Ronan Claure

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