Dorma Meehan, Mon enfance volée, Une vie d’Aborigène

Ed. du Rocher, Monaco, coll. Terres étrangères, 2004, 284 p.

Daniel Fayard

Référence(s) :

Dorma Meehan, Mon enfance volée, Une vie d’Aborigène, 1ère édition en 2000, Ed. du Rocher, Monaco, coll. Terres étrangères, 2004, 284 p., , traduit de l’anglais par Danièle Laruelle

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Référence électronique

Daniel Fayard, « Dorma Meehan, Mon enfance volée, Une vie d’Aborigène », Revue Quart Monde [En ligne], 192 | 2004/4, mis en ligne le 01 avril 2005, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9231

« Nous n’avions obtenu le droit de vote qu’en 1967. Jusque-là, personne ne nous consultait. Nous n’avions pas voix au chapitre sur les décisions prises. De 1936 à 1965, le gouvernement menait une politique d’assimilation qui visait à accroître son contrôle sur les populations aborigènes et à leur imposer le mode de vie des Blancs. Cette politique conférait an gouvernement le droit de soustraire les enfants aborigènes à leur famille. C’était une tentative franche et carrée pour éradiquer la culture aborigène. Les enfants de l’intérieur ont été déplacés vers les côtes, et ceux des côtes, vers l’intérieur ; ils ont été placés dans des familles d’accueil avec interdiction de chercher à contacter leurs parents avant l’âge de quinze ans. Plus de 5 600 enfants aborigènes ont ainsi été exilés de force vers des villes pour y absorber la culture blanche. C’est pour cette raison que mes frères et moi avons été emportés loin de Coonamble par le train fatidique. Cette politique est entrée en effet dans toute l’Australie, de sorte qu’aujourd’hui, dans toute l’Australie, des Aborigènes cherchent encore à retrouver leur terre d’origine et leur famille. (...) A la fin des années soixante, la ségrégation sévissait dans les piscines, les cinémas et les écoles. Les hommes aborigènes qui travaillaient dans de grands domaines bétaillers n’ont obtenu l’égalité des salaires qu’en 1984. » (p. 228-229)

Ce n’est qu’à l’âge de 23 ans, en 1978, alors qu’elle était déjà mariée à un Blanc et mère de deux garçons, que Donna a retrouvé la trace de sa famille biologique. Elle pourra effectivement la rencontrer trois ans plus tard, alors qu’elle aura mis au monde son troisième fils. Donna raconte son histoire pour témoigner de cette « enfance volée » : ses souvenirs d’une enfant de cinq ans dans sa communauté d’origine, l’incroyable enlèvement par les services sociaux de toute sa fratrie, son adoption par sa famille d’accueil (qu’elle adorera pour ses qualités humaines), les difficultés de son intégration sociale, scolaire et professionnelle, seule non-blanche dans son nouveau milieu, sa vie quotidienne faite de dévouement à son mari et à ses enfants, d’engagement social aussi avec le soutien de diverses associations confessionnelles, les retrouvailles enfin avec les siens et la joie de trouver la force d’assumer son identité biculturelle.

Ce récit autobiographique est plein d’émotions et d’une grande sensibilité. Il révèle une femme de cœur malgré ou à cause du déchirement intérieur enduré pendant tant d’années.

Bien sûr il s’agit là d’une protestation véhémente contre cette politique injuste et cruelle des pouvoirs publics australiens à l’égard des Aborigènes. Mais il s’agit en outre et bien davantage encore d’un destin personnel hors du commun car elle a su trouver les mots pour dire la souffrance de son peuple tout en prônant « la tolérance par la compréhension » entre Blancs et Aborigènes et en œuvrant pour leur réconciliation.

Un livre passionné et passionnant qui introduit le lecteur pris à témoin dans une leçon d’humanité. Son auteur, victime, parmi tant d’autres de ce qu’il faut bien appeler un génocide déguisé, est devenue aujourd’hui une citoyenne reconnue et respectée, la figure emblématique d’une dignité retrouvée, ayant contribué par son témoignage à un changement de politique et d’attitudes de la nation australienne à l’égard de son peuple.

Daniel Fayard

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