« La nuit où on a trouvé Donovan à moitié gelé, enveloppé dans une vieille couverture, on avait mis tout notre barda dans notre chez-nous, qui était garé à Pauvreté, pour aller en ville avec. Notre chez-nous avait un moteur à huit cylindres, quatre roues, de la peinture bordeaux, de la rouille, une moitié de pot d’échappement, et tout ce que nous possédions en ce bas monde » …
Ni misérabilisme, ni exaltation du mythe « peau-rouge » ; nous plongeons avec ce livre dans l’existence miséreuse d’une poignée d’Indiens reléguée dans un hameau au fond des bois à l’extrême nord du Minnesota. Un univers d’ennui, d’alcool et de baraques bancales rafistolées au chatterton, à mille lieues du miroir de la réussite dans lequel l’Amérique aime se regarder.
L’auteur, David Treuer, est né en 1972, dans la réserve indienne de Leech Lake dans le Minnesota. Il appartient à la tribu ojibwé et est diplômé en littérature et en anthropologie de l’université de Princeton. Son premier roman a été unanimement salué par la presse américaine. « Les paysages et les saisons du Minnesota ont inspiré à David Treuer ce récit complexe et puissant, où se mêlent les voix intimes de personnages pleinement aboutis », écrit de lui la grande romancière Toni Morrison, son « parrain » en écriture.
C’est là une des caractéristiques du label « indien » de ce livre. La manière dont la nature, les forêts bien sûr, mais aussi les champs, les lacs et les fleuves, le vent, les orages, la neige, la sécheresse, s’imposent comme des personnages principaux. Collés à cette terre, portés par elle, mystérieusement liés à elle, les différents héros nous deviennent très vite attachants. Il y a Stan, l’amputé, qui raconte sa guerre du Vietnam, les jumeaux Duke et Ellis qui squattent une voiture leur servant de refuge, le jeune Donovan fier de partir pour la première fois à la chasse, Jeannette qui se souvient de l’humiliation ressentie lorsque sa patronne lui a fait cirer toutes ses chaussures parce qu’elle avait par maladresse marché sur ses bottines… Tous soudés les uns aux autres par l’instinct de survie et une formidable tendresse. Leurs petits bonheurs et leurs tragédies s’ajoutent, se répondent, s’imbriquent pour ne plus former que l’histoire d’une communauté de parias.
Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur les réserves indiennes. Ce roman à plusieurs voix, à la fois terrible et magnifique, nous ouvre les yeux sur ce scandale social et ethnique avec une belle humanité.