John Grisham, La dernière récolte

Ed. Robert Laffont, coll. Best-Sellers, 383 pages, Traduit de l’américain par Patrick Berthon

Chantal Joly

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John Grisham, La dernière récolte, Ed. Robert Laffont, coll. Best-Sellers, 383 pages, Traduit de l’américain par Patrick Berthon

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Chantal Joly, « John Grisham, La dernière récolte », Revue Quart Monde [En ligne], 184 | 2002/4, mis en ligne le 25 mai 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9389

« L’inondation progressait plus vite que les hommes ne l’avaient prédit, ce qui, étant donné leur pessimisme naturel, avait de quoi étonner.

Jamais on n’a vu ça en octobre, affirma Grand-mère en tortillant son tablier.

Papy continuait à regarder autour de ses pieds ; nous ne le quittions pas des yeux. Le soleil se levait, mais le ciel était couvert et les nuages projetaient des ombres mouvantes. En entendant une voix sur la droite, je me suis retourné. Les Mexicains étaient là, formant un cortège silencieux ; ils nous regardaient. Un cortège funèbre n’aurait pas été plus sinistre.

Nous étions tous curieux de voir de plus près la montée des eaux. J’en avais été témoin la veille, mais je voulais voir l’inondation gagner du terrain, avancer lentement vers notre maison, comme un serpent géant dont rien ne pouvait arrêter la progression. »

Plongé dans une catastrophe qui le dépasse autant que les champs de cotonniers où il trime avec sa famille, Luke Chandler l’observe avec son regard de petit garçon de 7 ans. Nous sommes en automne 1952, dans le delta de l’Arkansas où des paysans endettés embauchent, pour la récolte de coton, des ouvriers agricoles encore plus pauvres qu’eux, de jeunes Mexicains et des familles entières venues des collines des monts Ozarks.

Parce que le narrateur est un enfant, curieux et sensible, observateur et intelligent, nous assistons à cette cohabitation de communautés soudées, de façon très éphémère, par la sueur et l’espoir de jours meilleurs. Un équilibre au fil du rasoir entre charité et injustice, respect et exploitation, résignation et révolte.

A travers quelques personnages forts, John Grisham fait couver au cœur de cette fournaise des drames (bagarres mortelles, guerre de Corée, faillite économique…) comme il fait éclater l’orage. Lentement, inexorablement. Mais sans pour autant altérer la fraîcheur d’âme de son jeune héros. Le récit est bercé par les émotions qui lui font battre le cœur : ses rêves de devenir un champion de base-ball, ses sentiments pour ses parents et ses grands-parents, ses premiers émois charnels, son émerveillement devant les attractions d’une fête foraine ou la table des desserts d’un pique-nique paroissial, sa peur de la violence, ses interrogations face à certaines incohérences de son éducation baptiste, son étonnement scandalisé devant l’extrême misère d’une famille, dernière des dernières de l’échelle sociale (« Ils étaient à l’abri, au chaud, ils ne mourraient plus de faim. Comment pouvait-on être aussi pauvre ? Je ne pouvais plus éprouver de l’aversion pour eux. C’étaient des gens comme nous, qui avaient le malheur d’être nés métayers ; je n’avais pas à les mépriser. »)

Documentaire social et quasi ethnologique sur la vie de fermiers d’une petite bourgade de l’Arkansas sous le joug de la religion baptiste, La dernière récolte est en même temps la chronique douce-amère d’une initiation à la sortie de l’enfance. Car Luke Chandler quittera, avec ses parents, les terres familiales pour une grande ville industrielle du nord du pays. John Grisham a su broder sur cet éternel mythe américain d’un nouveau monde tout en dépeignant avec nostalgie une civilisation qui s’apprête à disparaître. Celle d’une Amérique rurale, patriarcale, où les générations cohabitent sous le même toit et où la télévision n’a pas encore remplacé la radio.

L’auteur, un ancien avocat, est connu, entre autres, pour ses thrillers dont six ont été adaptés au cinéma notamment La firme et l’Affaire Pélican. Ce livre est très certainement son roman le plus personnel. Un roman réaliste, tendre et d’une lecture accessible à tous.

Chantal Joly

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