Voici rééditée (1ère édition en 1998) la traduction en français du fameux texte (64 pages) de Georg Simmel (1858-1918) sur la pauvreté Der Arme, paru en 1908 dans l’ouvrage principal de ce philosophe et sociologue allemand : Soziologie.
Une longue introduction (38 pages) permet au lecteur de se familiariser avec la réflexion théorique de « ce père fondateur de la sociologie allemande » dont l’originalité a été de « penser le social de manière radicalement relationnelle. » On comprend dès lors qu’il se soit attelé à analyser la pauvreté à partir des relations d’assistance. Celles-ci mettent en jeu le droit moral et le devoir moral de leur venir en aide qui incombe solidairement aux proches, aux communes et à l’Etat, selon leurs capacités contributives respectives et la nature des handicaps et des besoins - étant entendu que ne devrait être satisfait par obligation que « le strict minimum nécessaire pour la vie des pauvres. » L’assistance a partie liée avec la notion de « minimum social » : il faut « s’assurer que les pauvres reçoivent ce à quoi ils ont droit – en d’autres mots, qu’ils ne reçoivent pas trop peu », mais aussi qu’ils « ne reçoivent pas trop ». Il suffit que les pauvres soient soulagés individuellement, au cas par cas, pour compenser la déficience sociale de leurs conditions.
Mais par ailleurs « la collectivité peut changer les circonstances économiques et culturelles fondamentales qui provoquent ces conditions. » Elle le peut. Elle n’a pas obligation de le faire, mais elle y a intérêt au nom de ce que nous pourrions appeler aujourd’hui la « cohésion sociale ».
A ceci près qu’on peut être pauvre individuellement sans l’être socialement et inversement. « Dans toutes les civilisations développées, il y a des personnes qui sont pauvres dans leur classe et qui ne seraient pas pauvres dans une classe inférieure… Il peut arriver qu’un homme vraiment pauvre ne souffre pas du décalage entre ses moyens et les besoins de sa classe, de telle sorte que la pauvreté dans le sens psychologique n’existe pas pour lui, tout comme il peut aussi arriver qu’un homme riche se donne des objectifs plus hauts que les désirs propres à sa classe et à ses moyens et qu’ainsi il se sente psychologiquement pauvre. Ainsi il est possible que la pauvreté individuelle - l’insuffisance de moyens pour les fins d’une personne - n’existe pas pour quelqu’un, alors qu’il y a pauvreté sociale, et il est possible d’autre part qu’un homme soit individuellement pauvre bien que socialement aisé. »
Dès lors, « le fait que quelqu’un soit pauvre ne veut pas dire qu’il appartienne à la catégorie sociale des pauvres… Ce n’est qu’à partir du moment où ils sont assistés (ou devraient l’être) que les pauvres deviennent membres d’un groupe caractérisé par la pauvreté. (Cependant), ce groupe ne demeure pas uni par l’interaction de ses membres mais par l’attitude collective que la société, en tant que tout, adopte à leur égard. »
« Ce n’est que lorsque la pauvreté implique un contenu positif commun qu’une association de pauvres, en tant que telle, apparaît… ». Mais cela est rare : « A cause de ce manque de qualification positive, la classe des pauvres n’engendre pas malgré leur position commune, de forces sociologiquement unificatrices. »
Ces quelques extraits n’ont d’autre ambition que de faire entrevoir la nature des réflexions de Georg Simmel, qui ont influencé la lutte la pauvreté, depuis plus d’un siècle, pas seulement en Allemagne.