Je suis institutrice au quartier Femmes d’une maison d’arrêt ; mes élèves ont entre vingt et cinquante ans. Beaucoup ont eu une vie très difficile dès leur enfance. Plusieurs ont appris à lire ici, depuis leur incarcération. Quand elles ont lu le projet de ce numéro de la revue Quart Monde, elles ont immédiatement accepté de réfléchir, de parler et de témoigner. Même si certaines des questions sont vraiment difficiles à évoquer sans être submergée par l’émotion. Je sais qu’elles en ont parlé à d’autres lors de la “ promenade ” car j’ai reçu plusieurs textes de témoignages spontanés, des textes très forts.
Nous avons travaillé en répondant aux questions de la présentation de ce numéro : soit je les ai écoutées, soit elles ont écrit. L’incarcération et la détention sont de telles épreuves que certaines parties de leurs textes dépassaient largement les questions envisagées pour ce numéro. Ensemble, nous avons repris tous les textes pour n’en garder que ce qui répondait aux questions.
- Rien ne m’a jamais fait penser que je “ visiterais ” un jour ce qui se trouve derrière les murs de la maison d’arrêt. Cette expérience a pris forme en moi le 18 août à l’âge de quarante huit ans.
J’ai fait la découverte de cette “ quatrième dimension ”. J’allais être pensionnaire de cette institution. Comme tout le monde passant par cette épreuve, je me suis rebellée intérieurement, en “ enfouillant ” ma rage au fond de moi, refusant tout dialogue.
- Surtout qu’on se retrouve en prison du jour au lendemain, on nous enferme pour toujours.
La peine infligée aux proches
Comment les détenues vivent-elles la peine qu’elles infligent à leurs proches ?
- Je souffre tout simplement, mais je le fais toute seule dans mon coin.
- Le plus pire, ce n’est pas moi, c’est mes enfants. Au début, ils venaient me voir, mais ils repartaient tristes. De plus leur niveau baisse à l’école. Il y a quelques semaines, j’ai eu une permission, j’ai vu mes enfants hors de la prison, ils étaient heureux. Moi, je suis rentrée le lendemain, ça a été très dur pour moi. Il y a aussi ma belle-mère qui souffre en silence, elle ne dit rien. Mais quand elle parle, je le ressens.
- Mes enfants, ils m’écrivent souvent et ils me disent : “ Quand est-ce que tu reviens ? ” Et je ne peux pas leur promettre. Je vis mal aussi la peine pour mon mari car il a peur de me perdre.
- Quand la justice prononce un verdict, il ne concerne pas seulement le coupable. Il condamne toute une famille à une peine morale.
- Au regard des gens, tes enfants sont marqués ; surtout quand c’est marqué dans le journal. Les gens disent aux enfants : “ Tu vois, ta mère... ” et ils sont montrés du doigt. Alors ils sont mal à l’aise. Le voisinage parle beaucoup. Mes enfants, ils ne comprennent pas pourquoi on s’en prend à eux. Mon fils, il n’a pourtant rien fait de mal ! Ca, ça nous fait mal !
- Je vis très très mal que mes enfants soient humiliés ; je suis très très triste qu’ils soient malheureux, qu’ils soient repoussés. Je me sens mal, je souffre beaucoup de ne pas être avec eux pour les protéger, les défendre, et faire comprendre aux gens que c’est nous, pas les enfants qui doivent prendre pour les bêtises des parents.
- Je me bats pour mes enfants. Ils ressentent mal mon incarcération, car ils disent qu’ils ne me retrouvent plus.
- Mais la honte était à mes yeux pour l’être qui occupe mes pensées nuit et jour : “ mon fils ”.
- C’est injuste de voir toute cette souffrance que j’attire sur ma famille ainsi que sur mes enfants.
La famille, une force ?
Les détenues puisent-elles ou non des forces à travers leurs relations familiales ?
- La peine la plus dure n’est pas l’incarcération, mais la perte du soutien et de l’amour de mon fils. Pour passer cette épreuve, son soutien moral et affectif m’était nécessaire. Il me le refuse, je ne suis plus rien, juste un numéro d’écrou.
- Je leur écris toutes les semaines, je fais plein de dessins et ça leur fait très plaisir ; et puis je vais au Relais Parents-Enfants où je leur fais plein de choses comme des coussins. Ils m’ont dit que c’est gentil et qu’ils vont y faire attention. Quand je fais un coussin, je pense à eux, pour moi c’est un moment de plaisir, de joie.
- J’ai ma famille qui me soutient et me réconforte en écrivant. Ils font de leur mieux, mais je voudrais tant être à côté d’eux, eux aussi, ils sont condamnés. Il y a une chose que j’ai remarquée, quand on est en prison, on perd tout le monde ; avant, j’avais beaucoup de famille et d’amies.
- Heureusement que j’ai encore mes enfants, sinon, j’aurais arrêté de me battre depuis longtemps.
- Moi, je vis la prison moi-même, toute seule. Quand je sortirai, j’ai que mes enfants, j’aurai plus de famille. Tous les autres ils m’ont lâchée. Plus de contact avec ma mère, avec ma sœur.
- Quand t’es en prison, t’existes plus.
Si dehors on s’aimait, alors la famille nous manque... Mais déjà dehors ils ne m’aimaient pas, alors maintenant que je suis en prison, ils s’en foutent !
- Mais moi, personne ne peut venir, car ils n’ont pas de moyen de locomotion, ma mère est trop âgée. Ca me manque. Je leur en veux. Ils croient qu’il faut six mois pour avoir une autorisation de visite, alors, comme ils travaillent, ils ne viennent pas.
- Moi je trouve plus de force quand j’écris à mes enfants. Je pleure quand j’écris, mais ça me donne de la force quand même.
- Quand je suis passée en jugement, ils m’ont laissée dans une salle et j’ai pu serrer mes enfants dans mes bras. C’était vraiment la joie que j’avais.
- Il faut tenir pour les personnes que l’on aime, les enfants ; mon frère et la copine de ma mère qui me soutiennent dans les moments difficiles ; ainsi que les personnes qui viennent et qui m’écrivent à la prison, la visiteuse de prison et aussi la correspondante d’“ amitié sans visage ”.
- Quand je reçois une photo, un dessin, ça explose, il faut que ça explose. Je pleure, je suis enfermée. Je peux pas les voir, les embrasser fort.
- Le plus qu’on regarde la photo, et pire que c’est.
- Alors, il ne faut plus vous envoyer des photos ?
- Si, quand même.
- Ca fait plaisir et ça fait pleurer.
- On a une énorme émotion.
- Si on n’a plus d’émotion, on n’est plus rien.
- Mais ces émotions disent qu’on existe.
- C’est pas parce qu’on est en prison qu’on n’existe plus !
Comment dire son affection ?
Quels moyens ont-elles de manifester leur affection ?
- Je le fais par courrier ; j’aurais pourtant tellement d’affection pour eux. Voilà, mon affection en objet, en courrier, en dessins, et pourtant, je voudrais tant donner plus.
- Le Relais Parents-Enfants nous aide parce qu’on peut faire des choses pour nos enfants : on fabrique des coussins, des cœurs, des nounours, des sacs. C’est important ; ça montre qu’on est toujours là, qu’on les aime ; qu’on est toujours leur maman.
Les objets, on les fait par amour.
Je vais marquer son prénom, ses initiales, je vais écrire “ maman t’aime ”.
Peuvent-elles maintenir leur rôle de fille, mère, sœur, épouse ?
- Moi, mon rôle de fille, envers ma mère, je ne l’ai jamais donné, et puis mon rôle de mère, je l’ai donné un peu jeune, je suis devenue déjà maman à treize ans. Je ne le regrette pas, au contraire, c’est le plus beau cadeau dans ma vie que j’ai pu faire ; alors, je suis devenue adulte avant tout le monde.
Et puis mon rôle d’épouse ou plutôt de concubine car je devais me marier cette année, je crois que je suis en train de subir une séparation, je crois que ça va être douloureux pour moi, car mon rôle d’épouse, je l’ai mal vécu, j’ai eu des moments de joie, de bonheur, mais aussi de malheur.
- Quand on est parent, on maintient toujours le rôle de mère. Mais c’est dur quand on enlève des enfants à une mère de famille. Quand j’avais six ans, j’ai perdu ma mère lors d’un accouchement. C’est dur de perdre sa mère si jeune.
- Je ne peux pas maintenir mon rôle de mère envers mes deux enfants. Je ne peux plus m’occuper d’eux au quotidien. Le matin les laver, les habiller, les conduire à l’école. Aller le soir les rechercher, m’occuper d’eux, voir s’il y a des devoirs à faire. Profiter des journées où il n’y a pas d’école pour les emmener au zoo, à la piscine, etc. Vivre la vie quotidienne avec eux. Aujourd’hui, je suis jalouse que ce soit ma maman qui ait mon rôle.
Mais le plus important, c’est que mes enfants soient chez mes parents.
- Ca me manque de ne pas préparer la dictée avec lui, réviser les mots.
- Je n’ai plus ce rôle de fille parce que je ne l’avais déjà pas avant, depuis l’âge de seize ans que je suis partie de chez ma mère quand elle m’a fichue dehors. Je suis partie, j’avais rien. Alors mon rôle de fille... pff !
- C’est dur de garder son rôle de mère.
- Fêter l’anniversaire, fêter Noël...
- On demande des nouvelles de la santé, de l’école, s’ils ont été sages à l’école, s’ils sont sages avec la nounou, s’ils apprennent bien leurs leçons.
- C’est encore notre rôle, on l’a toujours en tête, mais ça ne peut se faire que par écrit. On peut pas bien le concrétiser.
- Marie (une ancienne élève) vivait ici au rythme de ses enfants, sa tendresse se disait en vivant à ce rythme là, chaque jour.
- Quand ils m’ont vue après le procès, ils m’ont dit “ Maman, tu es belle, t’as changé ! ”. Eux aussi ils ont changé, grandi, et ça compte beaucoup de les voir en bonne santé. C’est très important pour un enfant de trouver que sa maman est belle. Ils ont demandé : “ Quand est-ce que tu reviens ? ”
- Ici, on ne peut pas faire la cuisine pour eux, pourtant c’est important que ce soit la maman qui fasse à manger.
Sortir ensemble de l’épreuve
Que faire pour aider à renforcer ou renouer les liens familiaux afin que les détenus et leur famille sortent plus forts de l’épreuve ?
- La prison, c’est comme la toxicomanie, l’étiquette ne part pas.
- Il faudrait qu’on s’aide entre nous. Car il y a trop de jugements sur nous. Moi je pense qu’on paye ce qu’on a fait, c’est tout. Je n’aime pas les gens qui nous jugent trop vite.
- Ce qui m’importe le plus au monde, c’est que mes enfants se voient souvent.
- Il faudrait que tout le monde ne se mêle pas de juger.
Il faudrait que les enfants puissent rester ensemble, qu’ils ne soient pas éparpillés par les placements. Ils comprendraient ce que c’est d’être frères et sœurs.
- Il faudrait se laisser une seconde chance. Il faudrait nous laisser une seconde chance.
Il faudrait qu’on arrête de penser qu’on est une moins que rien : “ C’est moi qui ai tout cassé ”. Maintenant je veux reprendre une nouvelle chance, commencer une nouvelle vie avec mes enfants.
- L’amitié, elle tient pas l’épreuve de la prison.
- Je reçois du courrier de mes enfants, de mon frère, de la copine de ma mère. Je suis heureuse. Quand t’es en prison, tu sais qui c’est tes vrais amis.
Le plus dur dans la prison, c’est pas l’enfermement, c’est la séparation.