Rester parent en prison

Florence Piworunas

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Florence Piworunas, « Rester parent en prison », Revue Quart Monde [En ligne], 193 | 2005/1, mis en ligne le , consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/982

Comment permettre à des enfants, au-delà des conflits familiaux, de garder contact avec leur parent en prison et de leur permettre une relation affectueuse et constructive avec lui (propos recueillis par Marie-Hélène Boureau) ?

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Prison

Le Relais Enfants-Parents (REP) a pour mission de maintenir les liens familiaux malgré l’incarcération et lorsque l’enfant ne peut venir au parloir familial pour diverses raisons (difficultés familiales, parents séparés etc. ) Notre but : tout mettre en œuvre pour que les enfants, déjà privés de la présence de leur parent incarcéré, ne soient pas doublement punis par l’enfermement dans le silence, la honte, le mensonge.

Le Relais organise donc les visites des enfants mineurs à leurs parents incarcérés. Pour cela, nous rencontrons les différents partenaires : services sociaux de la prison, juges, etc., la personne incarcérée qui a fait la demande, puis nous prenons contact avec la famille ou l’organisme qui a la responsabilité de l’enfant, avant de solliciter le permis de visite. Notre préoccupation centrale est l’intérêt de l’enfant.

Lorsque la famille est favorable à la visite, les démarches peuvent aller vite, au minimum quinze jours. Elles peuvent être beaucoup plus longues s’il faut surmonter toutes sortes d’obstacles. Or, l’enfant n’a pas la même perception du temps qu’un adulte. Sait-on ce que représente pour un petit enfant d’être privé de voir sa mère ou son père pendant plusieurs mois ? Sans parler du changement de vie qu’a pu provoquer l’incarcération (cela peut aller jusqu’au placement)

Parfois, les visites sont impossibles. Il est malgré tout possible de rester parent et nous sommes médiateurs, par exemple, pour faire parvenir les cadeaux et pour échanger avec le parent à propos de sa responsabilité par rapport à ses enfants. Dans la majorité des cas, pouvoir rencontrer sa mère ou son père incarcéré est très structurant pour l’enfant et nous accompagnons celui-ci vers son parent. Un enfant qui ne voit pas son père incarcéré, par exemple, ou n’a pas de relation avec lui ne se construit pas dans la réalité.

Il faut cependant souvent argumenter pour permettre à un père de bénéficier de cette visite. En effet, s’il paraît le plus souvent normal que l’enfant garde un lien avec sa mère, la priorité ne semble pas si évidente quand il s’agit du père. On associe trop souvent la force du lien parental à l’émotif. Or, dans la plupart des cas, le père est moins “émouvant ” que la mère. Lorsqu’il demande à voir son enfant, il peut le faire sur un registre parfois revendicatif de droits. Là où une mère va pleurer, il va, par exemple, se mettre en colère.

L’enfant donne la force de s’en sortir

Au début, on ne nous mettait en relation qu’avec des pères dépressifs, qui pleuraient eux aussi. Avec la mise en place du Relais, les pères ont pu prendre le temps de s’exprimer avec dignité et ainsi s’est révélée la force de leur lien paternel. L’émotion est réelle, mais retenue, pudique. Leurs enfants les aident à assumer leur responsabilité. L’enfant apporte ce qu’il a : une fraîcheur, une bouffée d’air, il casse l’image de la prison. Nous pouvons constater que pères et enfants se soutiennent mutuellement, se rassurent.

L’enfant a en plus une capacité incroyable à pardonner les bêtises. Le regard qu’il pose sur son père est une aide extraordinaire pour lui, pour regarder vers le haut, pour puiser dans ce qu’il a de meilleur en lui pour trouver la force de s’en sortir. Ces rencontres de pères avec leurs enfants sont un soutien, souvent une prévention au suicide. Ils savent pour qui se soigner et pas seulement pourquoi, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Quand on voit les cellules, on mesure la force qui est nécessaire pour vivre là-dedans, à plusieurs, sans se détruire.

Le local où se passent ces rencontres n’est pas très grand. Nous avons fait de notre mieux pour qu’il soit gai, convivial et favorise la rencontre, pour que l’enfant ne se sente pas en prison lui-même. Les pères arrivent par un escalier dégradé, crasseux. Il faut voir ces hommes, au seuil de la salle, changer d’attitude, se redresser physiquement pour accueillir leurs enfants. Ils cantinent pour leur acheter des bonbons, fabriquent en atelier de petits cadeaux pour eux. “ J’ai oublié la prison ” nous a dit l’un d’entre eux en parlant de cette heure et demie bimensuelle où il peut recevoir ses enfants.

Dans cette petite salle, nous ne pouvons accueillir à la fois que trois pères avec leurs enfants. Nous assurons une présence discrète pour que tout se passe bien mais aussi pour soutenir quand cela est nécessaire. Nous prenons des photos à l’occasion des fêtes ou des anniversaires. Offertes aux pères et aux enfants, ces photos sont très importantes pour eux.

Nous avons aussi la demande de pères qui, même s’il n’y a pas conflit avec la mère de l’enfant, nous prient d’intervenir pour éviter les conditions d’accueil difficiles du parloir famille : longue attente, mauvaises conditions d’hygiène et d’accueil, inadaptation au monde de l’enfant. Ces conditions suscitent honte, humiliation, colère. Certains vont jusqu’à se priver de voir leurs enfants pendant plusieurs mois et même plus pour leur éviter ce traumatisme.

“ On a passé la journée  avec papa ! ”

Les moments denses sont les fêtes. Il n’y a pas plus dure période en prison que celle des fêtes. Nous avions l’habitude d’organiser une petite fête pour Noël avec les mères. En 2004 nous avons décidé de la faire chez les hommes. Tout le monde s’y est mis, l’administration, des associations nous ont offert le goûter, le spectacle, nous avons décoré... Les pères ont pu offrir un cadeau à leur enfant et ont vécu intensément ce moment festif. Les enfants ont pu dire à l’extérieur : j’ai fêté Noël avec mon père. De même pour la fête des pères que nous avons aussi organisée. L’espace était restreint, aussi avons-nous mis des tapis et tout le monde s’est assis par terre. De ce fait, la relation entre les parents et les enfants (ils étaient 70 !) a été plus chaleureuse, plus directe qu’autour d’une table. Ce n’était plus la prison pour personne et une émotion profonde a traversé toute l’équipe en voyant la joie commune des pères et des enfants. “ C’est trop bien, on a passé la journée avec papa ! ” nous dit un enfant en sortant de cette heure et demie festive.

Malgré tout, il ne faut pas oublier la souffrance des enfants et leur désir profond de voir leur parent en dehors de ce monde carcéral. Une petite fille, par exemple, s’est inspirée de la publicité montrant quelqu’un qui d’un souffle brisait une bulle de glace et libérait une personne qui s’y trouvait emprisonnée. Arrivée devant la prison, elle se mit à souffler en disant : “ Je voudrais que tout se casse et comme ça, mon papa, il va sortir ”.

Une attente de dix ans

Rémi avait trois mois quand son père a été incarcéré. Sa mère a refait sa vie ; il a aujourd’hui un petit frère. Son père a gardé contact comme il a pu mais la situation était plus que tendue. Cet homme a beaucoup réfléchi sur lui-même, sur ses actes. Ce n’est que lorsque Rémi a eu dix ans qu’il a pu, grâce au Relais Enfants-Parents revoir son père. Sa maman écrit : “Je suis désolée de ne pas vous avoir écrit plus tôt pour vous remercier de ce que vous avez fait pour Rémi. Votre aide a été très précieuse pour l’aider à reprendre contact avec son papa, avec le plus de “naturel ” possible, vu le lieu de leur rencontre... Noël a eu une signification pour Rémi qui a enfin des souvenirs comme les autres enfants. ” Et aujourd’hui, il vient voir régulièrement son père, à toutes les vacances scolaires.

Coupable d’avoir un papa en prison ?

La maman de Gabriel a témoigné, elle aussi, de l’importance de ce Relais Enfants-Parents : “ J’étais séparée du père de mon fils et en situation de conflit avec lui lors de son incarcération. Sans famille proche sur Marseille et comme je travaillais, donc j’avais peu de temps disponible, je me suis tournée vers le Relais afin qu’il tienne un rôle de médiateur et de trait d’union, car je tenais à tout prix à préserver le contact familial père-fils. Déjà fragilisés par la séparation, honteux pour certains d’avoir un papa en prison qui ne signe pas les cahiers, faut-il punir les enfants du mal qu’ils n’ont pas fait et couper tout contact familial ?

Bien sûr, il y aura toujours des personnes pour dire : ils sont en prison, c’est bien fait pour eux, ils n’ont que ce qu’ils méritent ces mauvais pères... A tous ceux qui pensent de cette façon, je réponds : on peut être un bon père et être incarcéré. Arrêtons de faire payer au prix fort les plus faibles, les plus démunis déjà confrontés à des situations pénibles.

Ne punissez pas les enfants car ils ne sont pas coupables ou alors, vous les rendrez coupables d’avoir un papa en prison ”.

Florence Piworunas

Psychologue, Florence Piworunas est directrice du Relais Enfants-Parents de Marseille.

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