Une matinée ordinaire dans un centre d’accueil

Marie-Hélène Boureau

References

Electronic reference

Marie-Hélène Boureau, « Une matinée ordinaire dans un centre d’accueil », Revue Quart Monde [Online], 193 | 2005/1, Online since , connection on 03 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/937

A Marseille, le centre d’accueil de la prison des Baumettes, à deux pas de la prison, a pour vocation d’être ouvert aux familles de détenus en attente de parloir et de les aider dans leurs démarches.

Index de mots-clés

Prison

Dans cet accueil simple et discret : des femmes. Ce sont surtout elles qui ont franchi le seuil de la porte ce matin-là, jeunes ou âgées, chacune chargée d’un gros sac rempli sans doute de linge propre. L’une d’elles ouvre le sac, vérifie et replie tous les vêtements avec précaution, peut-être pour voir si elle n’a rien oublié. Il n’est pas sûr que son linge sera aussi bien traité ensuite. Chacune apporte aussi La Provence sans oublier d’inscrire le nom du détenu sur ce journal : c’est un peu du monde extérieur, du voisinage “ d’avant ”, qui va rentrer avec les nouvelles locales.

Une jeune femme est seule devant son café. Trois fois par semaine, elle vient voir son compagnon : depuis Aix-en-Provence, elle fait en car, puis en métro et en bus au moins deux heures de trajet. Elle est la seule de la famille à venir au parloir, les autres membres comptent sur elle car ils n’ont pas la force ou les possibilités de se déplacer ainsi régulièrement.

Arrive Martine. Elles se connaissent toutes les deux, sont heureuses de se voir, s’encouragent, se donnent des conseils. Martine est en colère : son compagnon Marcel est passé devant le juge d’instruction et son avocate ne lui a rien dit de ce qui s’est décidé. Elle a l’impression que son compagnon est mal défendu et pourtant les honoraires d’avocat coûtent cher. Marcel était chauffeur routier. Il devait ramener le camion au dépôt à six heures du matin. A six heures moins dix, ébloui par le soleil levant, il a percuté une voiture et tué une jeune femme de vingt deux ans. “ On a dit qu’il avait de l’alcool dans le sang, c’est vrai qu’il boit, mais à six heures du matin, non. ” Il est en préventive, il pourrait sortir si le patron le reprenait mais celui-ci refuse. Marcel a bientôt soixante ans : “ Comment voulez-vous qu’il ait une promesse d’embauche pour sortir, à cet âge-là et avec ce qu’il a sur le dos ? ”

Martine habite Marseille mais il lui faut quand même plus d’une heure pour venir jusqu’aux Baumettes. Les jours de parloir, elle se lève à six heures, conduit sa fille à l’école. Le parloir terminé, elle va vite au travail - elle est aide ménagère chez des personnes âgées - et travaille plus tard le soir pour compenser les matinées  ; sans compter la maison et ses enfants, et tout cela malgré ses ennuis de santé, elle est diabétique. Les soucis s’accumulent et parfois la submergent. Une de ses filles vient de faire une fugue pendant quinze jours. Marcel a des enfants d’une première union mais ils ne viennent pas voir leur père et ne l’aident pas financièrement.

C’est l’heure du parloir, la première vague de femmes part rapidement. Dans la deuxième vague : une femme d’Aix-en-Provence qui vient voir son fils : “Je travaille à l’hôpital. Heureusement il est près de la gare routière, sinon, je ne sais pas comment je ferais. Je prends ma demi-journée de RTT (récupération de temps de travail) et puis le samedi matin, et ajoute-t-elle pudiquement, j’en ai pour un moment à faire ce trajet ! ”

Les personnes défilent ainsi tous les jours, arrivent, partent, reviennent après la demi-heure de parloir récupérer leur sac et déposent, le temps d’un café, leurs soucis près des animatrices

En attendant le bus

Arrêt Les Baumettes, en attendant le bus

Il passe un bus toutes les demi-heures. Heureusement, il fait beau car il n’y a ni abri, ni siège, à cet arrêt-là, juste un poteau. Deux femmes se retrouvent après le parloir. “ Eux, ils sont tranquilles, dit l’une d’elles, et nous c’est comme si on était en prison. ” L’une vient voir son fils incarcéré pour la troisième fois, pour vol ou trafic semble-t-il, l’autre, plus jeune, rend visite à son mari. Le ramadan approche : “ Comment ils vont se débrouiller pour faire ramadan ? s’inquiète la plus âgée. Il faut cantiner auparavant, ça se prépare. Je lui ai envoyé un mandat de cent euros il y a longtemps déjà, il ne l’a pas encore reçu, ils donnent l’argent quand ils veulent. Quand même, qu’au moins ils fassent le ramadan, ça sera un peu quelque chose de bien dans leur vie ”. La jeune femme part directement au travail. Elle aussi est aide ménagère chez des personnes âgées : “ Je n’ai pas dit que mon mari est en prison, je ne sais pas s’ils me garderaient, s’ils le savaient ”.

Le soutien mutuel

A l’accueil et à cet arrêt de bus, transparaissent les amitiés qui se créent : on se comprend entre familles de détenus. Les femmes sont heureuses de se revoir, d’échanger leurs difficultés, leurs soucis. Elles se soutiennent, s’encouragent, certaines apportent du tonus comme cette femme chaleureuse et énergique qui, en dehors des visites, se démène pour empêcher l’extradition de son compagnon, étranger, et va de bureau en bureau en quête des papiers nécessaires pour obtenir l’autorisation de se marier avec lui.

Pour renforcer ce lien, ce soutien entre familles de détenus, Pitta Mutterer a créé l’association “ Parents Association Détenus ”. Elle-même a connu cette situation-là : un de ses fils a passé de nombreuses années à la centrale de Clairvaux, dans l’Aube. Elle reconnaît qu’elle avait plus de moyens (et pas seulement matériels) que bien des familles et elle a donc voulu soutenir toutes les familles et personnes confrontées à la même réalité.

Pendant des années, Pitta Mutterer est allée tous les mois à la prison de Clairvaux, près de Bar-le-Duc. Il n’y avait aucun moyen de transport autre que le taxi pour s’y rendre. Sur place, un hôtel et un bar. Maintenant il y a un accueil pour les familles de détenus. Elle a dû vendre des biens de famille pour payer les frais d’avocat et pour pouvoir venir voir son fils régulièrement. Alors imaginez ceux qui n’ont pas d’argent...

Et puis comment soutenir ceux qui n’ont personne, comme cet homme de cinquante ans. Tout jeune il s’est retrouvé sans famille. Il mangeait dans les poubelles. A quatorze ans, il a commencé par faire de petits larcins. Il s’est retrouvé en prison, et ce fut l’enchaînement : prison, récidive. Dehors, personne ne l’attendait. Il s’est retrouvé à la rue. Un soir de Noël deux couples qui vivaient aussi à la rue et lui ont acheté des vivres et squatté une cabane de chantier. A cause de l’alcool, la fête a dégénéré en bagarre, l’un d’eux a été blessé. Ils sont allés voir la police qui ne les a pas reçus. Le blessé, non secouru à temps, est mort. Ce monsieur a été accusé de meurtre. A sa dernière sortie de prison, l’association l’a soutenu pour qu’il puisse trouver un logement et à cinquante ans, commencer enfin, pour la première fois, une vie décente.

Pendant notre conversation, mon interlocutrice reçoit un appel d’une femme inquiète : son fils sort en permission ce soir et n’a pas de lieu pour coucher, elle-même semble-t-il habite un petit studio où elle ne peut pas l’héberger.

L’enfermement à la maison

Selon la directrice du centre d’accueil des Baumettes, l’incarcération provoque relativement peu d’abandon familial. Elle peut le déclencher, mais la famille déjà allait mal. Quand le chef de famille est incarcéré, tous les membres de la famille “trinquent ”, en particulier les enfants. Même des bébés, devenus nerveux, font des cauchemars. Les contraintes matérielles sont énormes en dépenses, en temps, en fatigue, surtout pour les femmes dont le mari est incarcéré mais elles assument malgré tout. Financièrement, c’est un gouffre : non seulement il n’y a plus ou il y a moins de rentrées financières à la maison, mais il y a plus de dépenses, ne serait-ce que les frais de transport pour aller au parloir, sans parler des mandats indispensables au détenu pour cantiner, et il faut quand même faire vivre la famille. Parfois, le logement ne peut plus être gardé. Certaines femmes vivent si fort avec le détenu qu’elles s’enferment, elles aussi, comme si elles se punissaient. Elles sortent seulement pour les courses et les parloirs lorsqu’elles n’ont pas d’enfants à conduire à l’école.

Marie-Hélène Boureau

Volontaire d’ATD Quart Monde depuis 1972, actuellement engagée à Marseille, Marie-Hélène Boureau est membre de l’équipe de rédaction de Quart Monde.

By this author

CC BY-NC-ND