Histoire de solidarité

Georgia Haddad

p. 43-45

References

Bibliographical reference

Georgia Haddad, « Histoire de solidarité », Revue Quart Monde, 256 | 2020/4, 43-45.

Electronic reference

Georgia Haddad, « Histoire de solidarité », Revue Quart Monde [Online], 256 | 2020/4, Online since 01 June 2021, connection on 13 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10092

Beitouna est un modeste local ouvert en 1999 à Nabaa, une banlieue des plus pauvres de l’Est de Beyrouth. Des gens du quartier, avec deux Sœurs franciscaines, décident d’ouvrir ce petit lieu pour rencontrer les familles qui vivent isolées au milieu de situations de détresses. Ils proposent accueil et écoute, un accompagnement persévérant sans aucune discrimination, tout en se refusant à pratiquer des distributions. Ce local est branché sur les rues, les maisons, les associations… En 2002, les fondateurs ont créé une relation avec ATD Quart Monde, basée sur les mêmes options fondamentales : dignité de chaque homme, écoute, attention, participation, non-discrimination. Beitouna est un lieu où se construit la paix, où on cherche à atteindre ceux qui sont marginalisés, à offrir une voix aux sans-voix, à être ensemble comme une grande famille, « pour le meilleur et pour le pire », à changer le regard qui est porté sur le quartier, à vivre quelque chose de beau ensemble, et s’ouvrir pour avoir des amis du monde entier. Qu’ils soient des habitants du quartier ou des amis venant d’autres lieux, tous les membres de Beitouna sont engagés bénévolement. Les personnes qui fréquentent le Centre sont encouragées à la participation : porter une responsabilité, apporter un savoir-faire, vivre la richesse de l’échange, mettre en commun les pensées, les avis, les propositions, les réflexions, et surtout dynamiser ensemble la vie de Beitouna, par le travail régulier des comités. Les temps et lieux de rassemblement comprennent des célébrations (17 Octobre1, Fête des mères, Nouvel An, etc.), des activités régulières avec les enfants et les jeunes, une coopérative, des excursions et sorties, un camp d’été des familles, des temps d’échanges et de partages.

Si la Covid-19 marquera à jamais l’année 2020, la Solidarité humaine n’en fera pas moins. Cette pandémie qui a surpris le monde entier en y semant terreur et panique n’a pas tardé à susciter chez les hommes des initiatives d’entraide, de sympathie et de soutien les uns envers les autres. Mais qu’en est-il d’autres défis quand ils sont plus menaçants et plus graves ? Faudrait-il remettre en question le profil moral d’une société humaine dépassée par l’accélération des événements et leur exacerbation ?

Aujourd’hui, l’exemple le plus criant semble être celui d’un Liban meurtri, aux confins d’un lendemain incertain.

Du fond de la pire crise économique et géopolitique qu’il ait jamais vécue, aggravée par la Covid-19 et une explosion violente et destructrice qui a dévasté la zone portuaire la plus vitale du pays et le centre même de Beyrouth, des Libanais de tous âges, de toutes les confessions et classes sociales et de toutes les régions ont accouru, balais, pelles, bêches... à la main pour déblayer en l’intervalle de dix jours une zone sinistrée permettant ainsi aux travaux de restauration d’avancer rapidement avant la saison automnale, au risque d’être contaminés. Il a fallu oublier pour un temps la Covid-19 !

L’entraide urgente

Partout, tout le monde retroussait les manches et partait à l’entraide. Dans les quartiers les plus pauvres, celui de Nabaanotamment, les gens continuaient à s’épauler surtout avec la hausse excessivement élevée et incontrôlable des prix. Beitouna de son côté avait repris l’ouverture de sa coopérative pour aider les familles les plus pauvres et marginalisées.

Pendant des mois, le Centre avait entrepris avec ses amis une étude minutieuse pour faire face à une crise économique qui pouvait se prolonger. Dans les limites de ses moyens il l’établit sur trois mois pour assurer une certaine continuité aux familles les plus démunies. Parallèlement, il a mobilisé tous les jeunes ou Chabibé (c’est le groupe des adolescents qui aident les enfants aux activités de la bibliothèque) pour une collecte de fonds sans pareille ! Pendant trois mois, ces ados ont dû travailler sans relâche partout autour d’eux, dans leurs familles, chez les voisins et les cousins au ramassage des bouteilles en plastique. Ils les échangeaient ensuite contre des bons d’achat proposés par une ONG locale pour recyclage.

Plus tard, Beitouna s’en servira pour se procurer des produits alimentaires basiques et les offrir contre des prix encore plus symboliques que d’habitude à plus de 35 familles.

Dans une seconde phase, quand il a fallu aménager le local, c’étaient les mamans et les papas des comités qui se sont proposés pour le nettoyage des lieux, la peinture des murs, l’installation des étagères et l’exposition des produits.

Aujourd’hui, le Centre ouvre ses portes trois fois par semaine pour les activités de la coopérative uniquement ; il y reçoit dix familles environ par jour par respect des mesures de prévention.

La poursuite des activités ordinaires

Cependant, Beitouna n’a pas arrêté ses activités ordinaires, ni avec les cent cinquante enfants de la bibliothèque ni avec les comités des mamans et papas. Il continue à les entretenir à travers WhatsApp.

En pensant aux enfants pendant le confinement, il a participé au projet des oiseaux messagers de Tapori2. À part les dessins, les enfants étaient ravis d’envoyer depuis leurs mobiles de petites vidéos et de pouvoir communiquer ainsi avec d’autres enfants à travers le monde.

Les fêtes religieuses que les familles chrétiennes et musulmanes avaient l’habitude de célébrer ensemble dans les locaux du Centre, Beitouna ne les a pas interrompues. Nous avons tenu à garder ces traditions, même de loin via Whatsapp. Plus que jamais, les familles se sont souhaité de bonnes fêtes à travers des messages et des vidéos à cause du confinement. Plus encore, pour remonter le moral et maintenir le lien entre ses membres, il leur a été proposé de partager entre elles des photos qui les montraient en pleine activité pendant le confinement ; c’était parfois une maman qui préparait un gâteau, des enfants qui jouaient aux cartes ou d’autres sur l’ordinateur… Comme s’ils rendaient visites les uns aux autres, même virtuellement !

Le Centre n’a pas manqué non plus à sa vocation initiale : l’écoute qui débouche sur le soutien moral des personnes, combien d’ailleurs nécessaire en ces moments. La toute dernière démarche qu’il avait entreprise auprès d’un centre de support psychosocial à travers les arts (musique, mouvements, dramathérapie) allait dans ce sens. En effet, deux assistantes sociales du centre ont visité Beitouna où elles ont rencontré les jeunes et le comité des mamans pour leur expliquer ce que ce centre pouvait leur offrir en vue de pouvoir s’exprimer sur leurs inquiétudes et leurs peurs éventuellement refoulées. Tout le monde s’y est inscrit !

Au Liban, nous ne savons pas encore ce qui nous attend, partagés entre l’angoisse et le manque de confiance en un lendemain prometteur ; notre histoire continue et nos gens sauront inventer les mille et une façons pour se soutenir mutuellement et guetter la joie dans une solidarité certaine.

Image 10000000000006A700000351DE99C61690E29796.png

1 Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté.

2 Branche enfance d’ATD Quart Monde, Tapori rassemble dans l’amitié des enfants de différents milieux qui veulent que tous aient les mêmes chances.

1 Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté.

2 Branche enfance d’ATD Quart Monde, Tapori rassemble dans l’amitié des enfants de différents milieux qui veulent que tous aient les mêmes chances. Ils apprennent des enfants dont la vie quotidienne est très différente de la leur et agissent pour un monde plus juste, en inventant une manière de vivre qui ne laisse personne de côté. Tous les mois, La Lettre de Tapori, éditée en plusieurs langues, permet à plus de 10 000 enfants à travers le monde d’échanger, et propose des idées d’actions. Site : https://fr.tapori.org/

Georgia Haddad

En parallèle à des études en sciences politiques et administratives à l’Université St Joseph de Beyrouth et des études en théologie, Georgia Haddad s’est investie dans des activités sociales pendant la guerre au Liban. Elle est amie de l’association Beitouna depuis plus de dix ans et participe en particulier au « Comité des papas » (pour les démarches administratives et sociales en particulier auprès des femmes et familles musulmanes). Elle collabore aux travaux de rédaction et traduction.

CC BY-NC-ND