Daniel Duval. L’Ombre des châteaux

Film, Fiction, 1978

Bella Lehmann-Berdugo

p. 46

Référence(s) :

L’Ombre des châteaux, Daniel Duval, France, Fiction, 1978, 1h30. (DVD copie restaurée, accompagné d’entretien de et sur le réalisateur).

Citer cet article

Référence papier

Bella Lehmann-Berdugo, « Daniel Duval. L’Ombre des châteaux », Revue Quart Monde, 256 | 2020/4, 46.

Référence électronique

Bella Lehmann-Berdugo, « Daniel Duval. L’Ombre des châteaux », Revue Quart Monde [En ligne], 256 | 2020/4, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10094

Sous le ciel bas du nord de la France, dans la gadoue, la famille Capello (émigrés italiens) vit au fond d’une baraque exigüe et sombre. Le décor du film1 est planté. Il y a le père, morose, taiseux, qui teste des ballons du matin au soir. Chaque petit « clac » résonne comme un cri bref. À ses côtés, la mère enfile des chapelets à revendre. Petits travaux mécaniques pour joindre les deux bouts. Pour « les vieux » c’est déjà « cuit ». Leurs fils Luigi (Philippe Léotard) et Rico vaquent à d’improbables besognes et rêvent surtout de partir aux Républiques du Canada d’Amérique. Leur sœur, Fanny, semble flotter autour de tout ça. Mais elle est placée dans un centre de rééducation après avoir été prise en flagrant délit de vol. 

Châteaux au Canada : l’argent, la réussite, avoir le respect des autres,… est-ce donc pour ceux qui sont nés du mauvais côté ? Dès la première scène on sent un poids peser sur les personnages. Mais aussi la tendresse de l’auteur pour leurs vies invisibles, pour les efforts démesurés qu’ils font pour s’en sortir.

Chez ces gens-là, on n’a pas les mots pour dire la peine, la joie, ni ceux pour se défendre. Pour faire sortir leur sœur du mauvais pas, ils se rendent au procès (et non les parents). Ils se feront rouler par un avocat incompétent et sans scrupule (scène emblématique où les frères s’habillent bien pour le tribunal, où ils interviennent lors du verdict, dans leur langage à eux).

La séquence du parloir est tout en retenue. Au-delà des murs, la fratrie se serre les coudes, se réinvente magnifiquement.

Certaines scènes sont totalement muettes (par exemple vues derrière une vitre), cela contribue au style très original du récit. Le couple des deux frères ressemble à celui de George et Lennie (Des souris et des hommes). L’un pense, l’autre suit cahin-caha, d’engueulades en raccommodages. À la fois libres et à la marge, ils « bricolent » leur existence de leur mieux. Parfois leur vitalité, leur inventivité paie, et un temps ils ont le dessus sur l’adversité. Alors on jubile de leur revanche sur les mauvais bougres, les vrais xénophobes autour d’eux. Cela donne lieu à des bulles d’air pleines de poésie et de légèreté, où s’invite parfois l’humour, sans moquerie, parce qu’on sent toute la tendresse de Daniel Duval. Il est des leurs, né dans « les banlieues », il a toujours voulu faire changer le regard du public.

Sans doute leurs rêves étaient-ils trop grands pour eux ? La fin se termine en crève-cœur. Bien au-delà du réalisme, un portrait tragique empathique, totalement anti-conventionnel de gens plus faibles que d’autres, niés, mis dans un carcan à cause de leurs différences. Des êtres démunis de tout, sauf peut-être d’une forme de liberté.

1 L’Ombre des châteaux, Daniel Duval, France, Fiction, 1978, 1h30. (DVD copie restaurée, accompagné d’entretien de et sur le réalisateur).

1 L’Ombre des châteaux, Daniel Duval, France, Fiction, 1978, 1h30. (DVD copie restaurée, accompagné d’entretien de et sur le réalisateur).

Bella Lehmann-Berdugo

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND