Il s’agit bien d’un documentaire1, mais le réalisateur nous fait entrer dans la vie du protagoniste comme dans celle d’un véritable personnage. Avec son regard bleu et franc, son allure de cow-boy solitaire, Stijn Hilgers mène son troupeau de moutons dans la brumeuse lande néerlandaise. Il est l’un des derniers bergers traditionnels des Pays-Bas et ses bêtes une race en perdition2. Ces hommes sont devenus un patrimoine immatériel culturel, pourtant le budget du pays consacré à la nature et à la culture a baissé de 70 %.
Nous suivons les combats du héros avec l’agence régionale de gestion, nous suivons sa femme qui tient la comptabilité et tant d’autres postes. Son fils l’accompagne parfois dans ses pâturages ou à la ferme. Belles scènes où le père transmet un savoir immémorial à une génération pour qui il est peut-être trop tard. Stijn n’est pas seulement un homme accroché à ses idéaux, militant dans un monde dominé par la loi du marché. Lorsqu’il perd son principal contrat de pâturage, son pragmatisme et son courage le transforment — contre son gré — en entrepreneur moderne, entraînant avec lui femme, enfant et parents. Il organise des déambulations dans la ville avec son troupeau, s’improvise boucher et restaurateur (repas à la ferme). Il intervient à la radio et à la télévision, dans un regroupement professionnel. Il se bat pour préserver son métier, inscrit de tout temps dans un écosystème3. Année après année, la mécanisation, la concurrence, la baisse des subventions et les embûches administratives auront raison de vingt ans passés à son compte. Parce qu’il a la responsabilité d’une famille, il finira par abandonner le métier. « Mon rêve, c’était de vivre de la terre sans faire de mal à personne ».
Les prises de vues, la lumière dorée rasante sur la lande, les gros plans de visages, les panoramiques de moutons blottis les uns contre les autres, avançant à l’unisson, subliment ce métier, cette région préservée en sursis. Stijn nomme ses bêtes avec tendresse : « mademoiselle », « ma fille ». Nous nous attachons à ce personnage, à son histoire, à son univers. On peut penser que l’amitié du réalisateur le fait parfois « coller » à son sujet. Pourtant il pose ici une question universelle : peut-on vivre avec des idéaux malgré la pression que la société nous impose ?