Au sein du Mouvement ATD Quart Monde des personnes ayant une expérience de l’extrême pauvreté prennent la parole et, parfois, nous réussissons à ce que des oreilles les écoutent. Parmi elles, celles d’institutions locales ou internationales dont la priorité devrait être de s’attaquer aux causes de la pauvreté. Cette écoute est réelle, mais ne génère pas les changements profonds nécessaires pour éradiquer la pauvreté.
En tant que Mouvement, nous sommes fiers et heureux d’avoir contribué à introduire dans les Objectifs de Développement Durable de l’agenda 2030 adoptés par l’Assemblée Générale des Nations Unies, des orientations transformatrices : « Ne laisser personne de côté » et surtout « Atteindre d’abord les plus éloignés ». Mais comment les mettre en œuvre ? Nous constatons que les décideurs des politiques et programmes d’action retombent vite dans l’établissement de listes de catégories et dans des objectifs quantitatifs. Nous savons que des personnes échappent à toutes catégories, et que d’autres n’apparaissent pas dans les données chiffrées. De telles façons d’agir créent un écrémage, et ne permettront pas d’avancer vers l’Objectif de Développement Durable n° 1 « Éradiquer la pauvreté sous toutes ses formes ».
Refuser la misère, c’est refuser l’écrémage, refuser que politiques et programmes d’action prennent seulement en compte les plus visibles ou bien ceux avec lesquels on sera efficace, ou bien ceux avec lesquels on est assuré de réussir. Ce refus est une rupture radicale avec la manière habituelle de concevoir politiques et programmes d’action. Cela nous oblige à revoir de fond en comble les normes sur lesquelles ils s’appuient. Cela nous oblige à déconstruire et repenser ces normes avec les personnes concernées qui luttent chaque jour contre la pauvreté.
Dans la recherche participative Les dimensions cachées de la pauvreté, menée avec l’Université d’Oxford, les personnes ayant l’expérience de la pauvreté ont montré des réalités méconnues comme la souffrance, la résistance, la maltraitance institutionnelle, la dépossession du pouvoir d’agir, etc.1 Les politiques, généralement, s’appuient sur la seule dimension monétaire de la pauvreté, devenue la norme fondamentale. Les personnes ayant l’expérience de la pauvreté et les universitaires participant à cette recherche, ont remis en cause cette norme et proposé une autre vision. De tels changements sont à démultiplier dans les différents champs de nos actions et de nos vies. Le refus de l’écrémage est un défi ambitieux. Sans cette ambition, nous ne nous attaquons pas aux causes structurelles de la pauvreté.