Dieudo Hamadi. “En route pour le milliard”

Documentaire, 2020

Bella Lehmann Berdugo

p. 49-50

Référence(s) :

En route pour le milliard, Documentaire de Dieudo Hamadi, 2021. 1 h 48. VOST. Prix Final Cut de la Biennale de Venise 2020

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Bella Lehmann Berdugo, « Dieudo Hamadi. “En route pour le milliard” », Revue Quart Monde, 260 | 2021/4, 49-50.

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Bella Lehmann Berdugo, « Dieudo Hamadi. “En route pour le milliard” », Revue Quart Monde [En ligne], 260 | 2021/4, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10498

D’abord un chant saisissant s’élève1 : « Qu’avons-nous fait pour mériter ça ? Nous ne sommes pas nés comme ça ! » Sola, la belle et jeune chanteuse marche mal ; petit à petit la caméra dévoile ses jambes de métal. Le film entre de plein fouet dans le sujet à travers une scène de théâtre.

La « Guerre des Six jours » comme on l’appelle, celle qui eut lieu à Kisangani en juin 2000, conflit entre deux armées étrangères, celles du Rwanda et d’Ouganda, sur le territoire de la République Démocratique du Congo, au fait, qui la connaît ?2

Depuis vingt ans, les victimes collatérales réclament le prix de leur sang. Réunis en Association des victimes de la guerre des six jours, Sola, Mogodo, Mama Kashinda, Papa Sylvain Bozi, Président Lemalema et les autres entament cette fois un long voyage sur le fleuve Congo vers la capitale Kinshasa, pour demander une audience à l’Assemblée nationale, aidés dans ce projet par « Maman députée ».

Pour illustrer là-bas leur propos, ils ont monté une pièce de théâtre. Des extraits de cette œuvre alternent habilement avec les séquences du périple lui-même. On aimerait même pouvoir voir plus de cette représentation pudique et forte (que finalement ils ne pourront pas jouer).

Le réalisateur embarque avec eux. Sa caméra se faufile partout et à sa juste place : dans l’hommage aux morts enterrés par morceaux, dans les débats préparatifs, chez le réparateur de prothèses, dans l’odyssée interminable sur un bateau soumis aux intempéries, dans le crépuscule rose sur les eaux sombres. Nous sommes à bord, au milieu de survivants surhumains de ténacité : chargement des sacs de riz, partage des repas. Avec une incroyable dextérité, Mama Kashinda, sourire entendu, se nourrit sans bras et nourrit un enfant qui ne veut pas manger avec sa mère. Il y a aussi les moments de dispute ou de solidarité sous les bâches dégoulinantes, le massage attentif des moignons douloureux entre femmes, les répétitions exigeantes de la pièce : « Vous êtes déplorables, on recommence ! », dans l’intelligence collective des débats : « Tu ne nous as pas tous consultés, Président ! », dans les chants et les danses improvisés au rythme du djembé.

Nous sommes tout contre leurs corps magnifiquement vivants parés de couleurs vives, contre leurs cœurs remplis d’espoir. Nous sommes dans leurs discussions pleines de pertinence, dans leurs cris sur les marches des institutions, devant les gardes qui les repoussent et les cols blancs qui les considèrent avec dédain : « Nous ne sommes pas des mendiants, nous réclamons simplement nos droits ». Nous sommes dans leurs silences et leur calme impressionnants quand Maman, députée, décide de les lâcher pour se consacrer à sa campagne électorale, et enfin dans leur liesse à l’élection inattendue d’un opposant.

Ils ne sont pas au bout du voyage. Pourtant aujourd’hui leur extraordinaire énergie vitale et la parole de ces survivants hors-norme est entendue, reconnue. Ils ont presque gagné.

1 Documentaire de Dieudo Hamadi, 2021. 1 h 48. VOST. Prix Final Cut de la Biennale de Venise 2020, sélectionné au festival de Cannes 2020. Contact

2 De 1998 à 2003 la RDC en guerre civile est coupée en deux, armée loyaliste et factions rebelles, chacune soutenue par l’un et l’autre pays.

1 Documentaire de Dieudo Hamadi, 2021. 1 h 48. VOST. Prix Final Cut de la Biennale de Venise 2020, sélectionné au festival de Cannes 2020. Contact associations : philippe.hague@gmail.com ou distribution@laterit.fr

2 De 1998 à 2003 la RDC en guerre civile est coupée en deux, armée loyaliste et factions rebelles, chacune soutenue par l’un et l’autre pays. Kisangani, entourée de mines d’or et de diamants, est le théâtre stratégique des combats. En 2005 la Cour de Justice internationale reconnaît officiellement l’Ouganda coupable de « crimes de guerre ». En 2010 le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme répertorie les violations les plus graves et identifie les options de justice. En 2020 de premières indemnités sont versées à quinze membres de l’association.

Bella Lehmann Berdugo

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